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Le MR veut reconquérir Bruxelles: pourquoi Bouchez y croit, malgré les scepticismes

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Décrocher une victoire électorale en 2024 en région bruxelloise: l’objectif est clairement affiché par le MR. Mais ses prises de position catégoriques peuvent représenter une arme à double tranchant, tant pour convaincre l’électeur que pour séduire de potentiels partenaires.

« On n’est plus dans le gouvernement régional depuis quinze ans. Maintenant, il est temps qu’on revienne.» Ce n’est sans doute pas la phrase qui a le plus attiré l’attention dans la vidéo publiée par le MR au début de la semaine dernière. Interrogée par le service communication du parti réformateur, une passante y disait avoir l’impression de se trouver au Congo plutôt que dans la capitale de l’Europe. La séquence a vu nombre d’adversaires politiques reprocher au MR de diffuser sans filtre des propos banalisant le racisme. Georges-Louis Bouchez s’est défendu en argumentant sur le discours vérité et la liberté de ton. Soit.

La capsule traduit la volonté très explicite des libéraux de reconquérir la Région de Bruxelles-Capitale après un long séjour dans l’opposition. Aux élections régionales de 2024, cela fera deux décennies qu’ils n’y ont plus goûté au pouvoir.

En 2004, suite à la démission du ministre-président Daniel Ducarme, Jacques Simonet reprenait pour quelques mois la tête de l’exécutif bruxellois. Après les élections de juin, la même année, Charles Picqué redevenait ministre-président, à la tête d’une coalition incluant les libéraux flamands, sans le MR. L’époque semble lointaine.

En avril dernier, le MR Bruxelles tenait un congrès de précampagne en vue des élections régionales de 2024. Sous le slogan «Bruxelles, le bleu t’ira mieux», les libéraux entendent, notamment, partir à la (re)conquête des quartiers, au nord de Bruxelles, où ils peinent à convaincre. Dans la foulée, à la mi-juin, un sondage LeSoir-RTL-Ipsos donnait, pour la première fois depuis les élections de 2019, le MR en tête à Bruxelles avec 22% des intentions de vote. De quoi alimenter les ambitions du parti et de son président.

La nouvelle génération du MR bruxellois, emmenée, entre autres, par David Leisterh, son président, ramènera-t-elle les libéraux en tête des suffrages?
La nouvelle génération du MR bruxellois, emmenée, entre autres, par David Leisterh, son président, ramènera-t-elle les libéraux en tête des suffrages? © belga image

La suite aura encore placé le MR au centre de l’attention, avec la démission de Sophie Wilmès du gouvernement fédéral. Elle restera une locomotive à l’occasion des élections de 2024, fédérales cette fois. Son remplacement par Hadja Lahbib a suscité un certain mécontentement en interne, face à ce qui est perçu par certains comme un parachutage. On peut aussi y voir un coup stratégique qui permettra au MR de s’appuyer sur ce renfort à Schaerbeek, dans la perspective des élections communales qui se tiendront également en 2024.

Réservoir électoral

Au fond, le MR peut-il raisonnablement espérer revenir en force en région bruxelloise? Voire devenir incontournable?

Georges-Louis Bouchez en est convaincu. Lui qui entend faire de la capitale une des grandes priorités du parti. «J’ai toujours considéré que Bruxelles est plus accessible au MR, contrairement à ce que certains veulent faire croire. Tout l’indique si vous faites une lecture attentive des sondages et des résultats électoraux, commente-t-il. La formation d’une coalition, en définitive, ce sont toujours des mathématiques.» Lors des élections régionales de 2019, le MR reculait à 16,87% dans la capitale, perdant 6,17% par rapport au scrutin de 2014.

Je suis convaincu qu’il y a une tendance de fond favorable au MR. Elle est même, sans doute, sous-estimée.

Georges-Louis BOuchez

L’ analyse du président du MR? Ces 6% constituent un réservoir électoral que son parti est en mesure de reconquérir. «Ces voix-là sont allées chez des gens qui venaient initialement de chez nous et qui ont rejoint d’autres partis ou formé leur propre liste. Je pense notamment aux Listes Destexhe (NDLR: 2,59% en 2019). Je suis convaincu qu’il y a une tendance de fond favorable au MR. Elle est même, sans doute, sous-estimée.»

Cette façon de voir les choses n’est pas partagée par tous. «N’oublions pas qu’il y avait 4% de marge d’erreur dans ce sondage, commente une personnalité PS de la capitale. Par ailleurs, certains partis sont systématiquement sous-évalués dans les sondages, ce qui est le cas du nôtre.»

Malgré les projections optimistes de Georges-Louis Bouchez, séduire un électorat qui s’est détourné du MR risque d’être ardu. C’est du moins l’analyse formulée par Pascal Delwit, politologue à l’ULB. Pour lui, les transferts de voix ont surtout eu lieu en faveur d’Ecolo. «Il existe des obstacles structurels que le MR devra outrepasser, indique le politologue. Les élections communales de 2018 et régionales de 2019 avaient été mauvaises pour le parti. Sauf logique de polarisation entre le PS et Ecolo, je ne vois pas très bien ce qui pourrait changer la donne en 2024. Même si, évidemment, les résultats électoraux demeurent une inconnue.»

Pour Pascal Delwit, «il y a peut-être une forme d’incompréhension des mutations de la ville. Je pense à un positionnement très provoiture en 2018, alors que clairement, c’est une préoccu- pation d’une partie déclinante de la population. A présent, on observe un discours assez ferme du MR qui ne parle sans doute pas à une population issue de l’immigration.» La structure sociologique de Bruxelles et la position du MR sont-elles conciliables? La question est d’autant plus épineuse que, selon Pascal Delwit, le MR peine à séduire les électeurs de 18 à 24 ans à Bruxelles. «On observe aussi une faible pénétration chez les 25-39 ans. C’est compliqué face aux générations montantes.»

Séduire ou faire fuir

Ce n’est pas neuf, même si d’autres personnalités du parti sont plus consensuelles: à travers la figure de son président, le MR capitalise volontiers sur les clivages. Ce qui s’apparente à un jeu dangereux pour ses concurrents relève de la clarté, de la lisibilité de la ligne politique pour Georges-Louis Bouchez. Face à «une gauche vraiment caricaturale à Bruxelles», il assume le fait de «défendre une position claire, que ce soit, par exemple, sur les thématiques de l’abattage rituel ou de la neutralité de l’Etat. C’est une erreur que commettent certains partis: avoir un mot pour chaque sensibilité. Moi, je dis qu’il faut assumer le fait de ne pas plaire à toutes les sensibilités, accepter l’idée que des gens ne voteront pas pour vous. La clarté du message est un élément stratégique important.»

Faites la liste des tensions au gouvernement bruxellois et vous constaterez qu’on peut se chamailler sans que le MR soit dans la coalition.

Georges-Louis Bouchez

Elle peut aussi être une arme à double tranchant. «C’est quitte ou double pour le MR, y compris en interne, glisse un opposant socialiste. Je me souviens que sur les visites domiciliaires, à l’époque, il y a eu un véritable malaise chez les libéraux. Ici, on assiste à un Bruxelles-bashing, qui devient inquiétant, pour ne pas dire rédhibitoire. Après Destexhe qui évoquait les “Norvégiens” à Bruxelles, Reynders qui consi- dérait Molenbeek comme l’étranger, on assiste aujourd’hui au déploiement de recettes similaires.»

Une coalition qui s’essouffle

En cas de succès électoral en 2024, une des questions sera: une formation de gauche ou de centre-gauche est-t-elle prête à s’allier au MR? A l’inverse, les divergences apparues entre partis au pouvoir – PS, Ecolo et DéFI côté francophone – pourraient représenter un atout pour les Réformateurs, qui s’engouffreraient dans la brèche d’une majorité à bout de souffle. «On parle de la Vivaldi et du gouver- nement wallon, mais faites la liste des tensions au gouvernement bruxellois et vous constaterez qu’on peut se chamailler sans que le MR soit dans la coalition», ironise Georges-Louis Bouchez.

Cela étant, «c’est un élément de nature politique qui pourrait vraiment servir le MR. La coalition entre PS et Ecolo ne se passe pas au mieux, avec des divergences sur certains sujets comme la mobilité ou le logement. Le logement social, c’est une difficulté pour le PS, alors que le PTB est très implanté dans des communes comme Molenbeek ou Anderlecht», constate Pascal Delwit.

Vingt ans que les libéraux sont relégués dans l’opposition au parlement bruxellois...
Vingt ans que les libéraux sont relégués dans l’opposition au parlement bruxellois… © belga image

Un autre paramètre politique pourrait peser: la solidité des liens entre le MR et l’Open VLD, ce dernier faisant partie de la coalition au pouvoir. Didier Reynders avait lâché en son temps qu’il existait trois partis socialistes à Bruxelles: le PS, le sp.a et l’Open VLD. Il faisait allusion à la proximité entre le socialiste Rudi Vervoort et le libéral flamand Guy Vanhengel. Ce dernier a annoncé qu’il se retirerait après 2024, ce qui pourrait, éventuellement, faciliter la tâche du MR. Georges-Louis Bouchez mise, pour sa part, sur le renforcement des liens au sein de la famille libérale avec son homologue Egbert Lachaert.

«Je pense que cet élément-là est assez peu saillant. Après tout, l’Open VLD bruxellois continue de vivre sa vie. Généralement, les discussions pour la formation d’un gouvernement se déroulent du côté néerlandophone et du côté francophone, séparément, avant d’avoir une discussion globale à Bruxelles», estime le politologue de l’ULB.

Nouvelles têtes

La politique est aussi une affaire de personnes. En l’occurrence, une génération a pu émerger, pouvant se présenter aux élections sans devoir assumer tel bilan ou telle mesure impopulaire.

«C’est un luxe de pouvoir repartir d’une feuille blanche», assure Georges-Louis Bouchez. A côté des «profils d’expérience comme Françoise Schepmans ou Vincent De Wolf», il cite le président du MR bruxellois, David Leisterh, la cheffe de groupe Alexia Bertrand, les députés régionaux David Weytsman, Aurélie Czekalski et le transfuge des Engagés Bertin Mampaka. La ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Glatigny pourrait aussi jouer un rôle, elle qui n’avait pas été élue en 2019 (mais avait recueilli 19165 voix de préférence en tant que première suppléante aux élections européennes). «Il y a désormais Hadja, sans oublier des gens comme Michel De Maegd et, évidemment, Sophie Wilmès au fédéral. Franchement, ça commence à ressembler à une dream team», se félicite-t-il.

«Avec ces personnalités, on reste néanmoins principalement cantonnés dans les zones de force du MR», tempère Pascal Delwit. Qui pointe une autre difficulté: avec l’omniprésence de Georges-Louis Bouchez, où se situe exactement le leadership chez les libéraux de la capitale?

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