Le terroriste de Bruxelles avait-il vraiment disparu des radars? Les 6 réponses d’un criminologue

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Pour le criminologue et spécialiste du terrorisme Michaël Dantinne (ULiège), il faut oser poser la question de la responsabilité des services de renseignement belges, après l’attaque, à Bruxelles, d’un terroriste islamiste contre deux supporters suédois. « Il y a un degré de préparation qu’on ne mesure pas bien », souligne-t-il. Interview.

1. Michaël Dantinne, comment expliquer ce retour soudain du terrorisme à Bruxelles ?

Ce n’est pas un retour soudain. Le terrorisme ne s’est jamais arrêté. Il a changé de forme, d’intensité. On a tendance à oprérer une lecture trop belgo-centrée. Un attentat a coûté la vie d’un policier à Bruxelles il y a moins d’un an (Thomas Montjoie). Entre-temps, toute une série de projets terroristes ont été déjoués. Ce n’est donc pas un retour, mais la triste concrétisation d’un projet radical. Cependant, la Belgique n’est pas le seul pays concerné, et tout le monde partage un même contexte.

2. La guerre qui oppose Israël et le Hamas pousse-t-elle certains individus à agir ?

C’est possiblement un élément parmi d’autres. Y-a-t-il un lien à faire entre ce qui s’est passé à Bruxelles, à Arras, avec le contexte israélo-palestinien ? On ne peut pour l’instant pas le prouver, mais j’estime qu’on a été trop vite en besogne pour conclure qu’il n’y avait aucun rapport. Rien ne nous dit que ce qui se passe en Israël n’a pas alimenté le processus de décision en vue du passage à l’acte, comme des gouttes d’eau qui remplissent un vase. On ne peut donc pas exclure que plusieurs éléments viennent se superposer dans l’esprit d’un certain nombre d’individus.

On ne peut pas exclure que plusieurs éléments viennent se superposer dans l’esprit de certains individus, comme des gouttes d’eau qui remplissent un vase.

Michaël Dantinne

La vraie question, c’est surtout de savoir si l’auteur avait coché cette date sur son calendrier depuis longtemps, avec les supporters suédois en ligne de mire ? Car, quelque part, il y avait d’autres moyens de s’en prendre à la Suède, avant ce match. Il est donc plus que probable qu’on ne soit pas dans un projet de cette nature-là. Car il y a une espèce d’incapacité à attendre.

3. Y-a-t-il eu un élément déclencheur ?

Il y a certainement une maturation chez l’individu. Mais il y a des déclencheurs et des accélérateurs. En général, le processus est plus long au début et s’accélère sur la fin, avec comme le passage à l’acte comme point d’orgue. Après ce dernier, l’auteur en question ne semblait pas avoir de plan B, ou de suite à son acte. Il ne savait plus quoi faire. A ce propos, le mode opératoire « je tue et puis je me fais tuer » est une marque du terrorisme islamiste qu’on ne retrouve pas dans d’autres formes de radicalisme.

4. L’auteur était en séjour illégal et connu pour atteinte à la sûreté de l’Etat et trafic d’êtres humains. Où le bât blesse-t-il dans le processus de suivi ? Est-ce exagéré de dire que nos services de renseignements ont échoué ?

Il faut oser poser la question, c’est certain. Il faudra se donner les moyens de savoir si on a fait les choses correctement. Inévitablement, le jeu politique va commencer. Mais n’oublions pas que le coupable, c’est lui. Les services de renseignement se font critiquer lorsque cela survient, mais rarement applaudir quand ils déjouent des projets terroristes.

La question de son domicile répond davantage des logiques administratives. A-t-il volontairement disparu des radars pour mettre en œuvre son attaque ? On ne peut pas l’affirmer. En revanche, il est plus vraisemblable qu’il ait agi de la sorte pour éviter que son ordre de quitter le territoire ne soit exécuté. Il est loin d’être le seul à s’être évaporé dans la nature.

A cet égard, le système administratif belge demeure complexe et n’a pas pour vocation de pister les terroristes. Mais tous les étrangers en situation irrégulière sur le territoire ne deviennent pas des terroristes.

L’auteur n’avait pas totalement disparu des radars, mais il n’était certainement pas au cœur de la surveillance: il faisait l’objet d’interrogations.

Michaël Dantinne

Sur le plan purement sécuritaire, je ne dirais pas qu’il avait totalement disparu des radars, mais il n’était certainement pas au cœur de la surveillance. L’individu faisait probablement l’objet d’interrogations quant à son statut. Il a des antécédents, oui, même si le doute est permis quant à ce qu’est une infraction à la sûreté de l’Etat en Tunisie. Donc, on discute de son cas, mais pendant ce temps, lui, il accélère. A ce stade, il est donc difficile d’être péremptoire. La vraie est question est de savoir ce qui fait qu’un individu décide de se fournir en (au moins) une arme automatique, d’apprendre à la manier avec efficacité -pour parler froidement-.

5. Il s’agit a priori d’un loup solitaire. S’agit-il des cas les plus complexes à appréhender ?

Certes, c’est un loup solitaire dans le sens où il a agi seul lors du passage à l’acte. Mais en réalité, il n’est pas vraiment seul : il n’a pas fabriqué son arme automatique lui-même. Quelqu’un le lui a fourni. D’ailleurs, on trouvera certainement chez lui des traces de radicalité et d’autres informations quant à de potentiels complices.  

Il y a un degré de préparation qu’on ne mesure pas bien à l’heure à actuelle.

Michaël Dantinne

Il ne faut pas aujourd’hui répéter des erreurs qui ont été commises après l’attentat contre Thomas Montjoie. Dans le sens où il faut éviter de jouer au jeu des parapluies, et se donner des moyens -peut-être indépendants- afin de déterminer si on a suffisamment bien travaillé, sans chercher d’autres coupables que le coupable. Mais en gardant en tête qu’on doit tendre vers le risque 0, qu’on atteindra jamais vraiment. Par exemple, on pense que BE-Alert n’a pas bien fonctionné, que le Centre de crise a saturé : ce sont des voies d’amélioration. En revanche, l’évacuation du stade a été bien gérée. Aurait-il fallu prêter plus d’attention au cas de la Suède lors de l’évaluation des risques autour du match ? C’est aussi une question qui doit être abordée.

6. Fallait-il remonter le niveau d’alerte plus tôt à Bruxelles, au vu du contexte ?

On a une échelle qui va de 1 à 4. Si elle allait de 1 à 10, peut-être aurait-on pu la remonter d’un ou deux paliers. Mais fondamentalement, qu’est-ce cela aurait changé ? On prête une vertu magique à cette échelle. Or, même si on avait été en Ocam 4 lors du match, je ne pense pas que l’attentat n’aurait pas été possible. On ne saura jamais pourquoi il a tué ces supporters-là, à cet endroit précis. C’est dramatique de le dire, mais le terroriste aurait pu trouver des lieux à plus forte concentration de supporters. Peut-être les a-t-il d’ailleurs cherchés. Il y a donc un degré de préparation qu’on ne mesure pas bien à l’heure à actuelle.

Attentat à Bruxelles

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire