Pour le coprésident d'Ecolo, le principal frein à la transition est le système financier et ses investissements dans le soutien au carbone. © belga image

Jean-Marc Nollet publie un livre pour faire contrepied à la culture du buzz: « Il faut sortir de l’économie de marché »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le coprésident écologiste Jean-Marc Nollet sort ce jeudi un livre-programme, qui sera présenté dans une tournée de conférences. Il veut s’en servir pour « gagner la bataille culturelle » et assurer la transition écologique. Rien que ça.

Il regrette d’avoir « inutilement alimenté cette frénésie », notamment lorsque, dans un débat télévisé de campagne, il avait offert une marionnette à Charles Michel: pour sortir de la polarisation et de la culture « du buzz et du clash », encouragée par les réseaux sociaux, Jean-Marc Nollet publie Conquêtes. Chemins, adversaires et alliances pour la transition écologique (1). Au fil des quelque 250 pages, le Carolorégien dresse un constat alarmant de la situation environnementale actuelle, énonce 23 propositions (à lire ci-dessous) – dont toutes ne sont pas inscrites au programme de son parti -, dénonce par de subtils jeux de mots ses adversaires (« terreuristes », « inactivistes », « technolâtres », etc.) et les alliances à nouer – il écrit « lianer » – avec certains secteurs de notre société pour « assurer l’habitabilité de la terre ». Pour Le Vif, il en dévoile les grandes lignes.

Les failles du systu0026#xE8;me sont reconnues par leurs plus chaleureux partisans libu0026#xE9;raux…

Vous empruntez le concept de « terreuristes » du philosophe français Yves Citton pour évoquer certains de vos adversaires de la droite populiste, mais n’en êtes-vous pas un vous-même , vous qui comparez la Terre au Titanic quelques centaines de mètres avant son accident?

Les « terreuristes » sont ceux qui vivent de la terreur. Ils l’alimentent, voire la suscitent. Nous, nous ne vivons pas de la terreur, nous vivons de la Terre. L’objet est de préserver son habitabilité. Les « terreuristes » se basent sur un mensonge où tout étranger est une menace, un terroriste en puissance, nous, nous nous basons sur la science et sur les limites qu’elle détermine pour que notre planète reste habitable. C’est toute la différence.

Ils sonnent l’alarme pour de mauvaises raisons, vous pour de bonnes?

Nous exerçons une fonction de réveil, autour de données scientifiques, et nous assumons. Nous savons que le meilleur antidote à la peur, c’est l’action. Nous avons une fonction de réveil, eux, de bombe à fragmentation: division de la société, boucs émissaires, etc.

Vous déplorez qu’on ne parle pas assez de l’effondrement de la biodiversité alors que le réchauffement climatique est, lui, en tête des préoccupations dans le débat public. Mais votre parti lui-même en fait plus sur le climat que sur la biodiversité, non?

L’appauvrissement de la biodiversité et le dérèglement climatique sont les deux faces de la crise écologique. Les deux s’alimentent. Dans l’histoire de l’écologie politique, on a historiquement davantage parlé de biodiversité que de climat. C’est pour rééquilibrer les choses que je consacre deux fois plus d’espace dans ce livre à la première plutôt qu’au second, oui, si on veut. Je veux pointer ce déséquilibre qui n’a pas lieu d’être. Si on s’intéresse aux chiffres, ils sont objectivement encore plus alarmants sur la biodiversité que sur le climat.

Vous dites vouloir « sortir de l’économie de marché ». Cela signifie que l’écologie politique, la vôtre en tout cas, est nécessairement anticapitaliste?

Il faut réenchasser l’économie, sur un socle social large, et en respectant les limites de la planète. J’ai toujours été interpellé par cette notion d’économie de marché, comme si le marché était pour lui-même la seule chose à faire tourner, qu’importe les conséquences. Dans ce paradigme, « sky is the limit », alors que pour nous, écologistes, c’est la Terre, la limite. Il faut sortir de cette logique du marché, redéfinir ce qui doit en dépendre, et ce qui doit en être protégé, dans une économie plurielle et durable, dans laquelle il y a un rôle pour l’Etat, un rôle pour les associations, un rôle pour les communes. Notre critique antiproductiviste vise tant le capitalisme que le communisme: je ne passe pas sous silence les exactions environnementales commises par les régimes communistes.

Vous proposez une tarification du carbone, c’est un instrument de marché, ça, le « signal-prix »…

On n’est pas dans un refus absolu de tout et de tous les outils! On veut seulement remettre les choses à leur juste place. Sur un domaine comme l’énergie, on a clairement laissé le marché tout déréguler, et je suis heureux que le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) ait rejoint la proposition de la ministre fédérale de l’Energie, Tinne Van der Straeten (Groen), de bloquer les prix. C’est assez intéressant de voir que dans trois grandes crises récentes (la crise financière, le Covid et la guerre en Ukraine), à chaque fois, les gouvernements se disent qu’il faut reprendre des parts au marché. Les failles du système sont reconnues par leurs plus chaleureux partisans libéraux…

Les entreprises vous ont surpris par la rapidité de leur prise de conscience écologique. C’est donc bien que l’économie de marché, ce n’est pas si mal?

Beaucoup d’entreprises vont plus vite que le système économique, et certainement beaucoup plus vite que le système financier. Aujourd’hui, le principal frein à la transition est ce système financier, ses investissements dans le soutien au carbone. Donc, on doit être fiers de voir nombre d’entrepreneurs anticiper. Ils sont de plus en plus à venir nous voir et a nous demander des visions de long terme pour sortir de la spéculation et s’inscrire dans un cap durable avec un Etat partenaire. J’ai beaucoup dialogué avec Jacques Crahay, l’ancien patron des patrons wallons, et à son image, beaucoup d’entreprises évoluent plus vite que ce que les conservateurs pensent.

Quand on s’allie avec quelqu’un, c’est donc que ce quelqu’un n’est pas soi. Dire que vous voulez signer une alliance avec les classes populaires, notamment, ça signifie quand même en creux que celles-ci ne sont pas des vôtres…

Je considère que notre responsabilité, comme écologistes, est d’ouvrir les portes et les fenêtres du monde politique, de ne pas considérer cette question des alliances comme une question politique ou électorale. Le propre des écologistes est de s’allier avec des gens qui ne sont pas du sérail. Nous gagnerons le rapport de force politique si, culturellement, on a pu « lianer », j’insiste sur cette image de la liane, une plante grimpante à la fois souple et solide et qui, en s’entrelaçant, forme un réseau de plus en plus dense, au point de devenir hégémonique. L’écologie a besoin d’une stratégie de « lianage ».

Quelles sont les « méthodes de fonctionnement qui sont à remettre en question » que vous évoquez, eu égard à cette alliance avec les classes populaires?

Le lianage n’a pas été suffisant. Pourquoi? On est trop restés dans des modes de discussion, de transmission, d’échanges intellectuels et écrits. Dans les milieux populaires, on a des experts du vécu, des gens qui vivent au quotidien les difficultés qu’on pointe. Pour gagner la bataille culturelle, il faut réussir cette alliance…

Les 23 propositions de Jean-Marc Nollet pour la transition énergétique

  • Isoler toutes les habitations d’ici à 2050 en commençant par les logements sociaux d’ici à 2030.
  • Viser une production européenne 100 % renouvelable qui couvre l’entièreté de notre consommation électrique dès 2040 et énergétique en 2050.
  • Concrétiser notre trajectoire climatique grâce à un chèque planète et la création d’une inspection carbone.
  • Mettre fin aux vols d’une distance inférieure à 1 500 km en réinvestissant dans le rail.
  • Garantir qu’au moins 30 % des espaces terrestres et maritimes soient des zones protégées d’ici à 2030.
  • Offrir l’accès à un espace vert à maximum 500 mètres de chez soi.
  • Répartir plus équitablement l’espace public consacré à la mobilité.
  • Diminuer de plus de 75 % l’usage des pesticides en Wallonie et supprimer l’usage des néonicotinoïdes et du sulfoxaflor à l’échelle de la Belgique.
  • Individualiser les droits sociaux et supprimer le statut de cohabitant.
  • Développer la prévention de la santé et renforcer la première ligne de soins.
  • Assurer à tout travailleur le droit à une année sabbatique pour disposer de temps pour soi, pour ses proches et pour la société.
  • Offrir un permis de travail aux travailleuses et travailleurs sans-papiers.
  • Changer d’indicateurs.
  • Globaliser les revenus et réhabiliter des tranches d’impôt pour les très riches.
  • Mettre fin à l’obsolescence organisée des produits.
  • Taxer la publicité et les géants du numérique pour refinancer la culture et la presse écrite.
  • Intégrer la possibilité d’organiser un référendum dans la Constitution.
  • Créer une Assemblée des Futurs Désirables, composée de citoyens tirés au sort.
  • Attribuer le tiers des sièges de toute assemblée à l’échelle de l’ensemble du territoire concerné.
  • Renforcer le rôle du Parlement dans la période de formation du gouvernement.
  • Mettre en place un service citoyen pour la planète.
  • Lutter plus résolument contre les discriminations par la généralisation des tests de situation.
  • Se donner les moyens juridiques de punir les discours de haine.

(1) Conquêtes. Chemins, adversaires et alliances pour la transition écologique, par Jean-Marc Nollet, éd. Couleur livres, 248 pages.

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