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Grève des profs: « Forcément, avec des conditions de travail pareilles, le métier n’attire plus »

Stagiaire Le Vif

Ce jeudi, plusieurs milliers d’enseignants de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont répondu à l’appel à la mobilisation lancé par le front commun syndical. Si certains professeurs ont décidé de quitter les bancs de l’école, d’autres n’ont pas exercé leur droit de grève. Nous les avons rencontrés.

Aujourd’hui, entre 5000 et 7000 enseignants ont manifesté place Surlet de Chokier, devant le siège du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, pour réclamer un « changement de cap » dans l’enseignement. À l’origine de ce rassemblement, le front commun syndical dénonce l’indifférence du gouvernement lors de la crise sanitaire, mais aussi la politique générale de l’école et ses réformes, la pénurie des enseignants et leurs conditions de travail (classes surpeuplées, bâtiments scolaires délabrés). S’ajoutent à cela les négociations sectorielles qui n’avancent pas.

Si à la vue de ces revendications, certains ont fait le choix de participer, tous n’ont pas exercé leur droit de grève aujourd’hui. Rencontres.

« Tu peux perdre ta nomination »

Institutrice primaire à Liège, Caroline faisait grève aujourd’hui. Elle dénonce les « plans de pilotage », « contrats d’objectifs » dans lesquels l’enseignant s’engage à améliorer les résultats de ses élèves. « Ce sont des objectifs pédagogiques, mais qui ne sont pas relatifs au programme et sur lesquels nous n’avons parfois aucune prise », déplore Caroline. La maîtresse prend l’exemple du taux d’absentéisme, évalué dans les plans de pilotage : « Quand nous fermons une classe à cause de contaminations au Covid-19, les enfants ne reviennent pas. Dans ma classe, j’ai une enfant qui, sur le mois de janvier, a été présente deux demi-journées. Je n’ai aucune prise là-dessus, et eux nous demandent de tout mettre en oeuvre pour atteindre ces objectifs. » Elle craint d’être évaluée par des personnes qui travaillent au Conseil de l’Enseignement des Communes et des Provinces (CECP), et qui n’ont donc jamais enseigné. « S’ils te remettent deux évaluations négatives, tu peux perdre ta nomination à cause d’une personne qui n’est même pas dans l’enseignement. »

Dans son école primaire, fréquentée par un public majoritairement défavorisé, les conditions de travail sont difficiles. « Cette année, je suis dans une classe qui n’a même pas de fenêtres et parfois pas de chauffage », raconte Caroline. « En temps de Covid, il y a des fois où je n’ai même pas de savon pour laver les mains des enfants. Je n’ai pas non plus de détecteur de CO2, même avec douze élèves dans une classe de 20 mètres carrés. » « Quand des enfants sont répartis dans ma classe parce que des collègues sont malades, je dois les mettre dehors, dans le couloir, par manque d’espace », ajoute-t-elle.

Caroline explique que « forcément, avec des conditions de travail pareilles, le métier n’attire plus« . L’enseignante poursuit : « dans la classe de ma collègue, il y a des champignons. Tu peux attendre dix ans avant qu’on ne repeigne ta classe. Tu n’as pas de budget pour tes photocopies, pas de craies… Et, en plus, quand on te dit combien tu es payé… Plus personne n’a envie de faire quatre ans d’études pour se taper un salaire de 1350€ net en commençant. Personne. »

« Ma place était auprès de mes élèves »

Professeur de français dans le secondaire général, Geoffrey a choisi de ne pas prendre part à la grève des enseignants. « Avec la crise du Covid-19, l’école a été fortement touchée par l’absence de bon nombre de professeurs et d’élèves. Ma place était donc auprès de mes élèves en ces temps un peu compliqués. Je trouvais que ce n’était pas le moment opportun de le faire, même si je soutiens en partie leurs revendications. »

L’enseignant pointe également du doigt la pénurie de professeurs et le manque d’attractivité du métier. « On entend souvent que les enseignants sont toujours en congé ou payés à ne rien faire. On entend aussi, depuis deux ans, avec la crise du Covid-19, que c’est un métier essentiel. Et quand on regarde dans le rétroviseur maintenant, on sait que si l’économie a pu tourner, c’est parce que les écoles sont restées ouvertes. »

Professeur depuis 20 ans, Geoffrey constate tout de même que de moins en moins de jeunes sont tentés par le métier, pourtant essentiel. « Je ne sais pas quelles sont les solutions à apporter, que ce soit une revalorisation salariale ou une augmentation de l’attractivité par d’autres moyens… Je ne sais pas. C’est à nos décideurs de trouver. Mais il est vraiment grand temps, puisque c’est un métier essentiel et que cela nous a été dit depuis deux ans, de remettre un petit peu l’enseignement comme priorité de notre Etat. »

Il déplore qu’au sein des établissements de la FWB, ça soit « la règle de la débrouille ». « À aucun moment, notre ministre n’a réalisé qu’un absent covid, c’est dix jours. Or, pour remplacer un prof, c’est 15 jours. » Les enseignants d’un même établissement se relaient donc, à un rythme éreintant, pour donner cours à la place des professeurs contaminés. « Je peux vous assurer que, sur le dernier mois, j’ai repris pratiquement un mi-temps par semaine d’heures, en plus de mon temps plein, pour que les enfants puissent avoir cours car c’est important. »

« Déjà assez sollicités, nous ne voulions pas les perturber »

De son côté, Françoise, institutrice maternelle en région liégeoise, a décidé avec quelques collègues de faire un arrêt de travail d’une heure. L’équipe souhaitait soutenir le mouvement, sans trop perturber les enfants et les parents. Ils ont adressé à ces derniers un courrier, rédigé au terme de cette heure d’arrêt, pour sensibiliser les parents aux conditions dans l’enseignement.

« Dans l’école où je travaille, beaucoup de parents proviennent du secteur médical ou culturel, qui ont aussi énormément souffert du Covid-19. Comme ils ont déjà été assez sollicités durant la période du Covid-19, nous ne voulions pas partir en grève et perturber leur organisation. Mais on voulait marquer le coup, car on soutient vraiment les revendications qui ont été faites par le mouvement syndical », témoigne Françoise.

En plus du manque de moyens et de la pénurie d’enseignants, Françoise s’exaspère de la charge administrative. « Le pacte d’excellence, les plans de pilotage qu’ils réclament, ou encore les réunions qui finalement ne servent pas à grand chose, nous font perdre une énergie dingue qui pourrait être consacrée à nos enfants. » Si ces réformes constituent des avancées, l’institutrice maternelle déplore un manque de moyens octroyés aux enseignants pour leur permettre de s’adapter à ces évolutions. Mais, pour elle, rien de nouveau là-dedans : « La crise du Covid-19 n’a fait que cristalliser les difficultés déjà vécues dans les écoles ».

Dans leur courrier pour les parents, les enseignants ont expliqué que cette grève n’était faite ni pour leurs jours de congés ni pour une revalorisation salariale. « Au départ, elle est faite pour les enfants, qui commencent à souffrir de cette situation. Ce n’est pas normal qu’une classe de maternelle dépasse les 20 élèves, car on ne peut pas y faire un travail convenable. » Pour Françoise, comme pour les syndicats, « il est grand temps que nos politiciens l’entendent ». « Quand on voit les impacts petit à petit, parce qu’on ne fait que découvrir l’impact de cette crise covid chez les enfants, pour l’instant, on a découvert que la croûte. J’ai l’impression que d’ici peu, on parlera beaucoup plus de catastrophes, en particulier au niveau des adolescents », conclut-elle.

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