« Un casse-tête chinois »: une semaine de quatre jours dans les écoles pour lutter contre la pénurie d’enseignants ?

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

A la rentrée prochaine, plusieurs écoles primaires flamandes appliqueront la semaine de quatre jours. L’objectif est d’attirer davantage d’enseignants en limitant leurs déplacements. En Fédération Wallonie-Bruxelles, le modèle est loin de séduire.

Ce n’est une surprise pour personne. Le métier d’enseignant n’attire plus et la grande majorité des écoles belges sont touchées par de criantes pénuries de personnel. Face à ce défi, plusieurs établissements primaires bruxellois du réseau flamand Go ! passeront à la semaine de quatre jours dès la rentrée prochaine. En supprimant une journée de cours le mercredi, les écoles espèrent attirer davantage d’enseignants, pour la plupart des navetteurs effectuant de longs trajets quotidiennement.

A l’instar du système mis en place dans certaines entreprises du secteur privé depuis novembre 2022, la semaine de quatre jours n’est pas synonyme d’une réduction du temps de travail. L’idée est de concentrer les enseignements sur quatre journées au lieu de cinq, en allongeant les horaires les jours de classe. Le mercredi, les enfants ne seront pas tenus de venir à l’école, mais une garderie sera organisée. Des activités (musique, sport…) seront également proposées pour occuper les enfants, au prix de 3€ par initiation.

Si le modèle semble séduire au nord du pays, il est loin de faire l’unanimité en Fédération Wallonie-Bruxelles, où il n’est d’ailleurs tout bonnement pas envisagé à l’heure actuelle. « Nous ne voyons pas comment cette organisation pourra concrètement résoudre la pénurie de personnel, objecte Bernard Hubien, secrétaire général de l’UFAPEC (Union Francophone des Associations de Parents de l’Enseignement Catholique). Le nombre d’heures de cours à dispenser restera équivalent et on ne pourra pas augmenter de manière disproportionnée le nombre d’élèves par classe. » Pour Arnaud Michel, porte-parole du Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique (SeGEC), développer cette formule à grande échelle serait inopportun : « Dans les écoles du réseau Go ! ciblées par ce système, de nombreux professeurs viennent de l’autre bout de la Flandre pour enseigner à Bruxelles. C’est une situation spécifique que l’on ne retrouve pas forcément en FWB. »

Nuisible au taux de réussite

Les acteurs de l’enseignement francophone s’inquiètent également des nombreux problèmes organisationnels qu’impliquerait ce nouveau système. « Les directions d’écoles sont déjà asphyxiées par les dernières réformes et leur mise en place, insiste Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC Enseignement. Ici, ce serait à nouveau un casse-tête chinois pour réorganiser les horaires sur quatre jours au lieu de cinq. »

« L’amélioration du confort et des horaires des enseignants ne peut aucunement correspondre à une détérioration des conditions d’apprentissage des enfants »

Ce nouveau rythme hebdomadaire ne serait pas non plus l’idéal pour la réussite des élèves, pointe l’UFAPEC. « Les spécialistes de la chronobiologie sont unanimes : une rupture dans le cycle des apprentissages le mercredi n’est pas bénéfique au taux de réussite. Quitte à avoir un jour sans classe, mieux vaut le placer le lundi ou le vendredi. » Et le SeGEC d’insister : « L’amélioration du confort et des horaires des enseignants ne peut aucunement correspondre à une détérioration des conditions d’apprentissage des enfants ».

En outre, l’organisation réservée à la journée du mercredi entraîne de nombreuses interrogations dans le chef des parents d’élèves. « Transformer l’école en garderie est vraiment un signal inquiétant, tonne Christophe Cocu, directeur général de la Ligue des Familles. L’école, c’est un lieu d’apprentissage et cela doit le rester. » « Si cette garderie gratuite s’apparente à du ‘parquage d’enfants’, la majorité des parents n’en voudront pas », abonde l’UFAPEC. Pour Christophe Cocu, cette mesure risque de forcer encore plus de parents, et spécialement des mamans, à passer en quatre-cinquièmes. « Pour ceux qui ne se verront pas octroyer un congé parental par leur entreprise, cela se traduira par une diminution nette de revenus, à court et à long terme car cela aura également un impact sur la pension. »

« Discriminatoire »

Surtout, proposer des activités payantes comme alternative à la garderie suscite une véritable levée de boucliers. « C’est totalement incompatible avec la gratuité de l’enseignement, droit fondamental inscrit dans la Constitution », rappelle la Ligue des Familles. « Certains parents pourront se permettre d’offrir des activités à leurs enfants, pendant que d’autres seront forcés de les laisser à la garderie. Si ça, ce n’est pas discriminatoire, je me demande ce qui l’est encore, s’inquiète Roland Lahaye. Il faut arrêter de créer des écarts au sein de la société. »

« Transformer l’école en garderie est vraiment un signal inquiétant. L’école, c’est un lieu d’apprentissage et cela doit le rester. »

Si ce modèle peine à convaincre les acteurs de l’enseignement francophone, d’autres alternatives pour pallier la pénurie de personnel existent. Pour le réseau Wallonie-Bruxelles Enseignement, l’hybridation des cours pourrait être une piste de solution. « Ce modèle pourrait être intéressant, en repensant le travail à distance voire en priorisant le présentiel, avec des moments spécifiquement dédiés pour les élèves nécessitant du soutien lors de ce jour qui ne serait plus un jour de cours ‘classique’. » Pour la CSC Enseignement, pour retenir davantage de professeurs, il faudrait déjà envisager de prendre en charge leurs déplacements. « Un enseignant qui se déplace de son domicile à son lieu de travail ne bénéficie d’aucun remboursement, rappelle Roland Lahaye. Pire : celui qui doit se déplacer d’un lieu de travail à un autre au cours de la même journée ne touche pas un centime. »

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