Les Engagés est un mouvement politique, initié par l'ex-cdH pour "régénérer la démocratie". © belga image

Du cdH aux « Engagés »: passer d’un parti à un mouvement, un pari « peu tenable »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

L’étiquette de parti deviendrait-elle trop lourde à porter? Les mouvements tendent à les remplacer et ont aujourd’hui la cote dans plusieurs pays, dont la Belgique. Emilie van Haute, politologue à l’ULB, pointe les obstacles à la réussite de la mue. Une affaire plutôt mal engagée?

Passer de parti à mouvement, la tendance se fait-elle de plus en plus lourde?

Elle est observable dans plusieurs pays européens et est aussi liée à l’apparition de nouvelles formations politiques qui, à leur création, ont du mal à recourir à la terminologie de parti. Les Verts se sont ainsi d’abord revendiqués comme mouvement avant de devenir parti lorsqu’ils se sont institutionnalisés. Tous les mouvements fondés sur l’horizontalité finissent par se doter de structures partisanes. La République en marche en France, Podemos en Espagne n’ont pas échappé à cette évolution. Le CDH qui mue en Les Engagés adopte en quelque sorte la logique inverse, celle d’un parti qui se refonde en mouvement.

Parce qu’un parti devient moins fréquentable et fréquenté qu’un mouvement?

L’idée selon laquelle l’appellation « parti » sonne comme un gros mot n’est pas neuve. Dès leur émergence au XIXe siècle, les partis politiques étaient déjà accusés de tous les maux. « L’ âge d’or » des partis a été finalement plus une exception que la règle au cours du temps. La notion même de parti dégage une rigidité, un sentiment d’être pris dans des structures. Tout ce qui relève d’une forme d’engagement organisé tend à perdre des affiliés au profit de formules plus individualisées de participation collective, jugées plus attrayantes.

Les Engagés s’engagent à ouvrir portes et fenêtres pour y faire entrer et circuler le vent frais de la participation citoyenne: cette nouvelle culture politique pourra-t-elle résister à l’épreuve des faits?

Le mouvement annonce effectivement plus d’horizontalité que de verticalité dans son mode de fonctionnement, dans le prolongement du processus « Il fera beau demain » (NDLR: dialogue citoyen lancé en janvier 2020 par le président Maxime Prévot pour transformer le CDH en nouveau mouvement politique). La gestion du passage du temps de la discussion à celui du positionnement et de la décision politiques s’annonce délicate. L’écueil se présentera surtout si le mouvement intègre une majorité gouvernementale. Il devra alors articuler cette dimension participative avec les contraintes inhérentes à l’exercice du pouvoir et le respect des compromis passés avec les partenaires d’une coalition. Le défi sera difficile à relever, à moins de s’inscrire dans une logique de mandat impératif (NDLR: les élus doivent respecter les directives de leurs électeurs ou militants sous peine d’être révoqués) qui ne vit pas du tout dans notre culture politique ni même au CDH.

Feu le CDH s’expose à des lendemains chahutés?

La cohabitation de cette logique horizontale avec des structures du parti inchangées pourrait être source de tensions. On a vu des mandataires et des cadres intermédiaires grincer des dents lors des débats sur le port de signes convictionnels menés dans le cadre du processus « Il fera beau demain ». Nier les structures intermédiaires pour un parti qui s’est précisément construit sur ce type de corps et en avait fait des alliés, se passer de l’ancrage local/rural qui a fait la force du PSC/CDH au profit d’une logique participative, n’est-ce pas renier son ADN?

Un mouvement comme Les Engagés, qui se veut en rupture avec la particratie sans avoir l’intention de ne plus en vivre ou de se distancier de ses codes, deviendra-t-il réellement crédible?

Que met exactement Maxime Prévot derrière la notion de particratie lorsqu’il annonce vouloir s’en distancier? Il est facile de se dire contre la particratie lorsqu’on siège dans l’opposition. Cette posture me paraît difficilement tenable à terme pour un mouvement qui aura vocation à rester dans le jeu politique des partis.

« Les Engagés », n’est-ce pas un peu court pour forger une identité claire, n’est-ce pas enfoncer une porte ouverte: quel parti n’est pas engagé?

Le recours à des intitulés « soft » traduit une tendance à la dilution des références idéologiques, par frilosité d’être trop identifié à une position, par peur d’une logique de l’enfermement. « Vooruit » (NDLR: l’ex-SP.A) mais vers quoi? « La République en marche » mais vers où? « Les Engagés » mais dans quoi? A force de vouloir s’adresser à tout le monde, le risque est réel de ne plus « parler » à personne.

Nouveau nom, nouveau logo et nouvelle couleur avec le bleu turquoise au lieu de l’orange, couleur qui se veut « apaisée, inspirante, rafraîchissante ». L’avenir de la politique appartient-il à la « zen attitude »?

Le choix est en tout cas en porte-à-faux avec les tendances polarisantes actuelles sur la scène politique. Ce qui devient « mainstream », c’est la logique du conflit, de la confrontation, de la surenchère illustrée en Belgique par la montée du PTB, du Vlaams Belang, ou par le tournant au sein du MR opéré par son président Georges-Louis Bouchez. Mobiliser par une approche « zen » me paraît difficile si cette marque distinctive ne peut être associée à un angle saillant du mouvement, à une marque de fabrique, à un enjeu clairement porté. Je suis plutôt dubitative quant à la force attractive du nouveau mouvement. Jusqu’ici, le processus interne « Il fera beau demain » ne s’est pas traduit par l’émergence de nouveaux visages, par des ralliements présentés lors du congrès de refondation du 12 mars.

Où ces diverses refondations mèneront-elles l’art de la pratique politique?

A l’inverse de ce qui se passe en Flandre où la plupart des partis sont passés par de tels repositionnements, le phénomène dans l’espace francophone concerne les plus petites formations politiques, celles qui sont le plus en difficulté comme DéFI (ex-FDF) et le CDH. Dans le chef du CDH, la conjonction d’une lourde défaite électorale en mai 2019 (NDLR: le parti avait obtenu le plus mauvais score de son histoire), d’un renvoi dans l’opposition, d’une perte d’adhérents et d’un changement à la présidence rendait plus simple le déclenchement d’un tel processus de refondation.

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