Comment Willy Demeyer a transformé Liège depuis 25 ans: « On a été visionnaires »

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

En un quart de siècle, la ville a été transfigurée. Un quart de siècle? La durée actuelle du maïorat de Willy Demeyer. Tout sauf une coïncidence.

Cette fois, cela semble acquis. Promis, juré. La majorité des travaux sur les douze kilomètres du tracé du tram seront terminés à la fin novembre. Sur ce très long chantier – dans tous les sens du terme, il a démarré en 2019 – où cinq cents ouvriers s’affairent, on voit désormais les paveurs à l’œuvre. «Cela représente cinquante hectares d’espace public», précise le bourgmestre Willy Demeyer, qui se sait voué aux gémonies par beaucoup.

Le tram, toutefois, ne roulera, de Sclessin à Coronmeuse et Bressoux, que début 2025. Mais ce qui ressemblait depuis quatre ans à une énorme plaie béante correspondra enfin au projet défendu par certains contre vents et marées: la colonne vertébrale d’une ville remodelée de fond en comble. «Cela fait dix ans qu’il n’y a que des bulldozers, des marteaux-piqueurs, des grues, des trous et des barrières métalliques partout, résume, avec un air dégoûté, Clara, 30 ans. Pour les piétons, les cyclistes, les automobilistes et les habitants, c’est l’enfer

Sauf que les grands chantiers remontent à bien plus loin. Ceux de la place Saint-Lambert ont duré de 1974 à 2000, soit 26 ans. Ceux de la gare des Guillemins, version Calatrava, de 1999 à 2009. Mais il suffit d’énumérer quelques inaugurations majeures d’autres édifices ou quartiers entièrement réaménagés ou créés depuis, grâce à des fonds publics ou privés, pour mieux saisir l’enfer liégeois évoqué par Clara: Médiacité et le Grand Curtius en 2009, l’Opéra en 2012, le Théâtre en 2013, la Cité Miroir en 2014, le parc Sainte-Agathe en 2015, la Boverie, le bâtiment du Génie civil au Val Benoit et la passerelle cyclo-pédestre La Belle Liégeoise en 2016, la place de l’Yser en 2017, les nouvelles salles du Trésor de la cathédrale en 2018, le nouveau pôle universitaire de formation en langues en 2019, l’hôpital MontLégia, le Trinkhall Museum, le Liège Office center et la piscine de Jonfosse en 2020, la Grand Poste en 2021, le parc d’activités économiques Life Sciences Center LégiaPark et le nouveau campus HEC de l’ULiège en 2022. Et, cette année, le Pôle des Savoirs et la place des Arts sur le site de Bavière, la nouvelle Cité administrative, une partie de l’écoquartier à Coronmeuse… Soit des montagnes et des abîmes de gravats et de boue, de sang et de larmes, de fièvre et de colère.

Le privé doit savoir ce qu’on laissera faire, ce qu’on souhaite et ce qu’on ne veut plus.

«J’avais tout ça en tête»

Des projets ont été bloqués, d’autres retardés, certains ont coulé ; des zones ont été occupées, des permis refusés, des budgets multipliés. Mais personne ne peut nier la transformation spectaculaire de la ville. Dont une très large part a été initiée sous ou par celui qui y fut échevin des Travaux de 1991 à 1999 et qui en est bourgmestre depuis. D’ailleurs, il le dit lui-même, de façon cash: « Je n’ai pas de permis de conduire, je suis un piéton, donc je vis la ville comme tel. Les espaces publics, pour moi, sont importants. La vision actuelle, avec la nature en ville, la mobilité douce… correspond à celle que j’ai toujours eue. Ça a demandé du temps, il a fallu trouver des stratégies, des financements, mettre en place les équipes. Mais j’avais tout ça dans la tête, comme le tram. Prenez la place Saint-Etienne: c’était un chancre, on l’a rachetée soixante millions de francs belges à l’époque, on y a rasé la galerie et on en a fait une des plus belles places, sans voitures. C’est là que le fonds d’investissement Noshaq se développe, avec tout le quartier.»

Ancien chancre, la place Saint-Etienne est devenue l’une des plus belles de Liège, de surcroît sans voiture.
Ancien chancre, la place Saint-Etienne est devenue l’une des plus belles de Liège, de surcroît sans voiture. © DR

Le terme «vision», ou «idée», le maïeur l’utilise plusieurs fois. Comme lorsqu’il affirme que «nous avons une vision globale pour la région et elle est occupée à se concrétiser». Ou que «l’évolution à cause du changement climatique, à cause de tout ce qui nous est arrivé, correspond assez à l’idée que je me fais d’une ville». Ou que «si tout ça se déploie maintenant, ça a été réfléchi, de longue date ; on a été visionnaires». Et pas repus, puisque les nouvelles Halles des Foires sont en construction, comme le reste de l’écoquartier ou le boulevard urbain à Bressoux, que des chantiers sont en cours ou projetés aux Guillemins, dans le centre ou dans les quartiers de Chênée, Sainte-Marguerite et que quatre lignes de Busway (bus à haut niveau de service) seront créées d’ici à 2026. Sans parler des deux nouveaux tronçons du tram (Seraing/Herstal). Heureusement que «les travaux du tram ont eu de telles conséquences que beaucoup de projets très importants – pour les quais de Meuse et les places du centre-ville notamment – ont été retardés».

L’Expo 2017 comme déclic

Le tram… Toujours ce tram! «Si on veut parler du développement de la ville, on doit en parler! Tout comme de la candidature de Liège pour l’Expo universelle de 2017: Astana a été désignée mais, en matière d’aménagement du territoire, les deux plus grandes conséquences de ce dossier – le tram et l’écoquartier – sont occupées à se mettre en place. Et ce tram est la colonne vertébrale de l’agglomération liégeoise: Haute-Meuse, Seraing, Centre, Basse-Meuse, Herstal. Beaucoup d’infrastructures se situent ou se situeront le long du tracé, qui est une référence de développement.»

Les investisseurs privés ne s’y sont pas trompés: l’hebdomadaire économique Trends-Tendances annonçait mi-septembre dernier, sur la base de chiffres collectés par Smartblock, spécialiste de l’analyse des données de l’immobilier résidentiel, que «le marché liégeois – surtout au centre-ville – reste le plus dynamique de Wallonie, avec 1 345 appartements neufs en cours de commercialisation et, vu les nombreux projets dans les cartons, le stock ne devrait pas faiblir à l’avenir». Selon les autorités communales, «des milliers, voire des dizaines de milliers de permis sont en cours. On vend sur plan et on va deux à trois fois plus vite que prévu pour commercialiser. Par conséquent, on doit aller plus vite pour construire.» Mais pas (ou plus) n’importe où et n’importe comment. Dans son «Schéma de développement communal», coélaboré avec les citoyens, la Ville a défini neuf ambitions tenant compte des enjeux relatifs au développement du logement, au développement économique, à la reconversion des sites industriels et à l’évolution climatique. Pour que «le secteur privé sache ce qu’on laissera faire, ce qu’on souhaite et ce qu’on ne veut plus». Il y est notamment décidé de préserver les terres boisées, de créer une chaîne de parcs, de désimperméabiliser et renaturer les sols, de garantir une mobilité apaisée et de ne plus bâtir que sur du bâti, sauf exception.

Tout cela a été réfléchi de longue date. On a été visionnaires.

Le rêve d’une communauté urbaine

Entre-temps, relève Smartblock, «les prix des appartements neufs ont gonflé de près de 20% en trois ans». Willy Demeyer ne conteste pas mais «si nous avons une population dont le revenu augmente proportionnellement, ça ne fera pas de tort à la ville. Le tout est que les revenus modestes puissent aussi trouver à se loger. Cela nécessite la mise en place de politiques plus sociales. A la condition qu’elle soit bien aménagée, avec des services, des espaces verts, de la mobilité douce, Liège redeviendra très tendance car ce sera la bonne manière de vivre au meilleur coût avec accès à un maximum de services.» Surtout que le GRE, le groupement chargé de déterminer les orientations stratégiques du développement de toute la région liégeoise sortira bientôt son plan «Liège, Cap 2030!», qui devrait encore accélérer le processus de redynamisation. Et si, en plus, en 2026 normalement, la candidature belgo-germano-néerlandaise pour accueillir le téléscope Einstein, l’observatoire européen pour la détection des ondes gravitationnelles, est retenue, «ce sera bingo pour tout le monde».

Pour le bourgmestre Willy Demeyer, ça ne fait aucun doute: «Liège redeviendra très tendance.»
Pour le bourgmestre Willy Demeyer, ça ne fait aucun doute: «Liège redeviendra très tendance.» © getty images

Que du bonheur, donc? Celui qui fêtera bientôt ses 25 ans à la tête de la cité tempère. C’est que «la ville a toujours été une métropole, mais inachevée. Parce qu’elle n’en a pas le cadre institutionnel. Il lui faudrait un statut de communauté urbaine, à la française. Cela s’appliquerait assez bien à Liège dans la mesure où, dans le pays de Liège, tout le monde se déclare liégeois jusqu’à Verviers, les cantons de l’Est, Huy-Waremme, soit l’hinterland de l’ancienne Principauté, qui correspondait à quelque chose du point de vue économique, topographique et historique. Et il en reste quelque chose. Puis vous avez ici toutes les composantes de la métropole: un territoire, une identité, un fleuve, une université, un opéra, un orchestre, un club de foot, un club de basket, un positionnement géographique exceptionnel. Tout y est! Une communauté urbaine, comme en France, permettrait à tous ceux qui, de fait, sont liégeois d’avoir leur mot à dire sur ce qui se fait et d’y contribuer fiscalement. Avec une forme d’organisation à 500 000, 600 000 ou un million d’habitants, Liège aurait les moyens de son développement. Les moyens financiers et institutionnels. C’est à ce niveau que notre ambition se situe.»

Pas qu’à l’échelle de cette ville redessinée, donc. Pour les Liégeois, les grands travaux sont sans doute loin d’être terminés.

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