L'avocat de Faycal Cheffou. © Ca.L

Attentats de Bruxelles: émotions et soulagement au terme de la seconde journée d’audience

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

La chambre du conseil a entamé ce matin la deuxième journée d’audience du procès des attentats de Bruxelles. On était sur place au Justitia, sur l’ancien site de l’OTAN, pour recueillir les impressions des victimes et des inculpés.

Les débats en chambre du conseil dans le dossier des attentats qui ont touché l’aéroport de Bruxelles et la station Maelbeek le 22 mars 2016, ont repris ce mardi matin au Justitia, le bâtiment de justice spécialement aménagé pour le procès. Le bâtiment, situé sur l’ancien site de l’OTAN à Haren est soumis à des règles de sécurité très strictes. Une cinquantaine de policiers de la zone locale Bruxelles-Capitale/Ixelles, sont mobilisés. Ils sont appuyés par la police fédérale. Ils veillent au grain, en toute discrétion, la preuve avec l’arrestation en fin de matinée d’un suspect connu de la sûreté de l’Etat « suite à des agissements suspects devant le bâtiment. »

Peu de victimes viennent en personne assister aux débats, parmi les centaines qui sont constituées partie civile.Le long couloir, un peu clinique, qui mène aux salles des audiences est calme, apaisant même, pour ces visiteurs, la plupart traumatisés à vie.

Lors des débats qui se déroulent à huis clos dans une ambiance dite « relativement sereine » des personnes prennent la parole elles-mêmes, d’autres via leurs avocats.

Mais ce qu’on retiendra avant tout au terme de cette journée, c’est la grande émotion exprimée autant par les victimes, que par certains inculpés. Au sortir de la chambre du conseil, une des victimes de l’aéroport s’est confiée à la cohorte d’une vingtaine de journalistes présents. Manuel Martinez travaillait en tant que bagagiste chez Swissport au moment de l’explosion. Il a été grièvement blessé. Pour lui, même si c’est dur, physiquement et mentalement, de venir sur place et d’être confronté à nouveau aux atrocités des attentats, l’arrivée du procès le soulage. « Je suis très stressé, c’est énormément d’émotions de venir ici mais c’était important pour moi d’avoir la vérité. Aujourd’hui encore, je dois marcher avec des béquilles ou être en chaise roulante. C’est très très dur d’être là, parce qu‘on repense à ce qu’il s’est passé le 22 mars 2016″, a-t-il confié.

Manuel Martinez, victime de l'aéroport.
Manuel Martinez, victime de l’aéroport.© Ca.L

Son collègue, Abdallah Lahlali, victime avec lui de l’explosion à l’aéroport de Bruxelles-National déclare: « On a tellement de questions à poser quand on a vécu un tel traumatisme… C’était très important pour moi de poser quelques questions, même si j’y ai pensé toute la nuit et que je stresse ». Il ajoute: « J’espère que la Belgique prendra ses responsabilités, que le procès aille jusque la fin, parce qu’au début on a été abandonnés par tout le monde, par les autorités ».

Emotion et soulagement aussi pour Faycal Cheffou, qui avait été pris à tort pour l' »homme au chapeau », un suspect vu sur les images des caméras de vidéo-surveillance de l’aéroport de Bruxelles-National, peu avant les attentats. Il a déjà été mis hors de cause, mais la procédure veut qu’il reste inculpé jusqu’à la clôture de l’instruction. À la fin de l’audience, un énorme poids semblait être tombé de ses épaules, lui qui se considére comme « une autre victime, celle de la Justice ». Volubile devant les caméras, il parle d’entrevoir enfin le bout du tunnel, de ce qu’il qualifie de « cauchemar » depuis plus de 4 ans. «  Cela fait quatre ans que je prépare ce moment. J’ai pris la parole, je me suis un peu embrouillé mais j’ai laissé parler mes émotions. C’est un soulagement aujourd’hui, ne fut-ce qu’entendre quelques excuses de la procureure, cela fait déjà beaucoup de bien. Un gros poids est tombé« , confie-t-il. Il ajoute: « J’ai l’impression d’avoir retrouvé mon honneur, dans un sens. »

« Un soulagement »

D’autres parties civiles, plus intimidées, ne veulent pas parler à la presse, laissant le soin à leurs avocats, ou aux proches qui les accompagnent de s’exprimer. L’époux de l’une d’elles explique, non sans une certaine émotion, que sa femme a été touchée par une bombe située à seulement 5 mètres d’elle « Ce ‘blast’, ce ‘blast’ ! », répète-t-il « était d’une violence ! ». Il déclare que son épouse n’entretient pas de bonnes relations avec les médias et qu’elle ne désire pas s’exprimer. D’autres confient leurs difficultés au quotidien, près de 5 ans après les faits. « C’est toujours dur« , lâche brièvement à l’assemblée de journalistes un homme se déplaçant avec des béquilles.

Les avocats de la défense, avec le bagou qui leur est propre, passent d’une caméra de télévision à l’autre pour réitérer leurs déclarations ou exprimer leur soulagement lorsque le procureur fédéral confirme une demande de non-lieu. C’est le cas de Me Jonckers. Elle défend Brahim T. qui avait été soupçonné pour avoir vendu des produits qui ont servi à la confection des explosifs. Il avait fait deux mois de détention préventive avant d’être libéré.

Me Sébastien Courtoy, conseil de l'inculpé Smail Farisi.
Me Sébastien Courtoy, conseil de l’inculpé Smail Farisi.© Ca.L

Me Sébastien Courtoy, conseil de l’inculpé des frères Farisi, et jugé par ses pairs comme « excessif« , n’a pas failli à sa réputation. Refusant en premier lieu de s’exprimer devant les caméras, il a ensuite fait volte face pour une déclaration des plus houleuses à l’encontre du procureur fédéral dont il critique « la faillibilité totale des raisonnements, grotesques, voire malhonnêtes« . « Ce qui aura une répercussion sur la grille de lecture du jury d’assises vis-à-vis de tous les accusés« , a-t-il encore commenté. Les frères Smail et Ibrahim Farisi sont suspectés d’avoir prêté leur appartement à Khalid El Bakraoui, l’un des kamikazes.

Un procès en cour d’assises confirmé

La question du jury populaire revient d’ailleurs souvent dans les questions des journalistes aux avocats des victimes et de la défense. « Un jury de cour d’assises est beaucoup plus cruel« , estime l’avocat d’une centaine de victimes des attentats de Bruxelles. Pour lui, « la punition doit être aussi importante que les blessures« . On apprenait un peu plus tard dans la journée que le procès des attentats de Bruxelles se déroulera bien aux assises. La commission Constitution de la Chambre ayantrejeté ce mardi une proposition de révision de la Constitution qui retirait à la cour d’assises les crimes terroristes. Seuls la N-VA et le Vlaams Belang ont soutenu le texte, les autres partis ont voté contre.

Dans les déclarations à la presse, d’autres sujets et préoccupations émergent. Me Guillaume Lys, avocat de l’association de victimes V-Europe, a notamment regretté que les audiences ne se tiennent pas au Palais de Justice pour l’aspect symbolique dans ce dossier hors norme, qualifié de « Procès du Siècle. » Pour le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, le palais de Justice de Bruxelles, bien qu’il soit le plus grand du monde, n’était pas adapté pour tenir de telles audiences impliquant la présence de centaines de personnes – de surcroît en pleine pandémie – et nécessitant une très haute sécurité.

Me Guillaume Lys et Me Adrien Masset ont, par ailleurs, déploré l’attitude de certains de leurs confrères de la défense, lors des débats de ce mardi. Le premier a encouragé à plus de décence, tandis que le second a rappelé que les débats actuels ne devaient porter que sur la suite à donner à la procédure.

Réquisitoire

Le procureur fédéral a dressé oralement son réquisitoire, dont la teneur était déjà connue, après un bref rapport de la vaste enquête qui a été menée, présenté par les juges d’instruction. Il demande le renvoi aux assises de huit inculpés (Salah Abdeslam, d’Oussama Atar (qui serait mort en Syrie en novembre 2017), Mohamed Abrini, Sofien Ayari, Osama Krayem, Ali El Haddad Asufi, Bilal El Makhoukhi et Hervé Bayingana Muhirwa), pour assassinats et tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste, ainsi que pour appartenance à un groupe terroriste.

Il a ensuite requis un renvoi en correctionnelle des frères Smail et Ibrahim Farisi, pour y répondre uniquement de participation aux activités d’un groupe terroriste. Enfin, il a requis le non-lieu pour Brahim Tabich, Youssef El Ajmi ainsi que Faycal Cheffou, qui a déjà été complètement mis hors de cause depuis plusieurs années.

La chambre du conseil entendra les derniers avocats de la défense ce mercredi, ce qui clôturera déjà les débats (initialement prévu sur dix jours) première étape vers le procès au fond. La chambre du conseil prendra l’affaire en délibéré et rendra sa décision dans les jours, voire les semaines à venir. Le procès sera long, entre six à neuf mois, et devrait commencer fin 2021 voire début 2022. Aucune date n’est à ce jour confirmée mais l’espoir de voir les auteurs condamnés en 2021 s’éloigne pour les victimes du 22 mars. La situation sanitaire reporte en effet l’organisation du procès français des attentats de Paris et par conséquent, celui de Bruxelles.

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