Les mesures prises par le gouvernement Vivaldi pour soulager les ménages : des compromis politiques qui déçoivent tout le monde parce qu'ils sont censés ne vexer personne. © Belga

Accord sur les prix de l’énergie: quand le communautaire s’en mêle (analyse)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le compromis décroché par le gouvernement De Croo pour atténuer les hausses délirantes des factures d’énergie a déçu un peu partout. Il est le résultat d’impossibles tentatives d’équilibrage social… et communautaire.

Sept partis dans un gouvernement, autant de vice-Premiers à table, une autre nuit qui dure jusqu’à 2 heures, et encore un de ces décevants accords, dénoncé par tous ceux qui n’y ont pas participé, de l’opposition, bien sûr, à Test Achats. Le tout noyé dans des annonces recuites, prévues depuis six mois, sur le pouvoir d’achat (le bonus à l’emploi et la suppression de la cotisation sociale généralisée pour les bas salaires) : les mesures prises par le gouvernement Vivaldi pour soulager les ménages confrontés à la hausse de leur facture d’énergie semblent relever de ces tristes compromis politiques, qui déçoivent tout le monde parce qu’ils sont censés ne vexer personne. Comme toute décision politique, pourtant, elle ne doit pas être réduite au résultat, aussi bancal fût-il, de marchandages et de chamailleries entre politiciens égoïstes et immatures déconnectés de la population. En fait, c’est parce que chacun des négociateurs s’est comporté comme le défenseur du segment de la population qu’il pense représenter que le compromis noué mardi 1er février, sur le coup de 2 heures du matin au 16 rue de la Loi, a été si difficile à faire advenir.

Les sommes déboursées et leur affectation (1,18 milliard d’euros au total, dont 278 millions pour la prolongation du tarif social élargi au deuxième quadrimestre de 2022, 520 millions pour la prime de 100 euros sur chaque facture d’électricité, et 320 millions pour la baisse, annoncée comme temporaire, de la TVA sur l’électricité de 21 à 6 %) témoignent en effet d‘un équilibre social et géographique auquel un gouvernement de sept partis et de quatre familles, du sud et du nord, de gauche et de droite, est condamné à s’accrocher.

En miroir, les déséquilibres de leur distribution, sociale et géographique, vouent l’opposition, qu’elle soit de droite ou de gauche, ou du sud ou du nord, à les dénoncer. Ainsi, le chef de groupe N-VA à la Chambre, Peter De Roover, présentait la baisse temporaire de la TVA sur l’électricité, et non sur le gaz, comme le signe d’une trop molle défense, par les partis néerlandophones du gouvernement De Croo, des intérêts de la Flandre : en Belgique, 65 % des ménages raccordés au gaz sont flamands, 12 % bruxellois, et 22 % wallons, déplorait- il sur Twitter.

Une très importante part des 320 millions d'euros employés à réduire la TVA sur l'électricité ira, mécaniquement, aux ménages flamands.
Une très importante part des 320 millions d’euros employés à réduire la TVA sur l’électricité ira, mécaniquement, aux ménages flamands.© GETTY

Or, c’est pourtant une très importante part des 320 millions employés à réduire la TVA sur l’électricité qui ira, mécaniquement, aux ménages flamands. Ce sont, en effet, pour les plus gros consommateurs que les sommes consacrées seront les plus élevées, et la consommation d’électricité moyenne par ménage est très supérieure en Flandre (où le régulateur régional l’estime à 3 305 kWh par ménage) qu’en Wallonie (2 000 kWh) et à Bruxelles (2 036 kWh).

Cette différence, très importante, s’explique par un habitat plus grand, et mieux équipé (en pompes à chaleur, en piscines et en voitures électriques, notamment) dans la Région la plus prospère du pays. Elle a probablement poussé les partis francophones à refuser d’y ajouter une baisse de la TVA sur le gaz, qui aurait, elle aussi, concentré proportionnellement encore plus d’argent fédéral à aider les ménages flamands (55 % sont connectés au gaz pour leur chauffage)… et bruxellois (78 %).

Car en Wallonie, 50 % des ménages se chauffent au mazout, contre 29 % en Flandre et 20 % à Bruxelles. Et comme la législation européenne proscrit la baisse de la TVA sur le gasoil de chauffage, cette moitié de ménages wallons se serait retrouvée démunie face à la hausse de ses frais.

Les Bruxellois oubliés ?

Le choix de consacrer plus de la moitié de l’effort fédéral à une prime sur la facture d’électricité d’absolument tous les ménages, donc aussi celle de ceux qui se chauffent au mazout, qui sont surtout wallons, plutôt qu’à une baisse de la TVA sur le gaz, est donc plutôt une correction communautaire qu’une correction sociale face à l’envolée des prix de l’énergie. Une correction régionale, plutôt que communautaire même, dont souffriront surtout les très nombreux Bruxellois connectés au gaz, et qui, locataires de leur logement en majorité (seuls 40 % des ménages de la Région de Bruxelles-Capitale sont propriétaires de leur habitation), n’ont aucune possibilité, en auraient-ils les moyens financiers, face à la hausse des prix, de changer de chaudière…

Les corrections sociales auront surtout été imposées par une impulsion communautaire.

Trois mécanismes, en revanche, portent le signe d’une volonté de correction sociale. L’ automaticité des mesures, tout d’abord : aucune démarche ne sera nécessaire pour en profiter, ce qui permet d’éviter les « non-recours aux droits », très fréquents parmi les ménages les plus précaires. Ils sont généralement les plus mal informés, et ignorent dès lors les avantages auxquels ils peuvent avoir droit. Appliquer la baisse de la TVA et la prime « chauffage » à la facture d’électricité assure également d’une certaine universalité. Les 100 euros pour tous (520 millions, donc), ensuite, aideront proportionnellement davantage ceux qui ont de petites ressources que ceux qui ont de gros revenus, c’est-à-dire les plus petits consommateurs plutôt que les plus gros. La prolongation du tarif social élargi (185 millions pour sa prolongation et 93 millions pour le surcoût du trimestre précédent), enfin, concerne le million de ménages les plus modestes de Belgique.

Mais comme, en Belgique, la question sociale n’est jamais loin de la question communautaire, et que les plus petits revenus sont proportionnellement plus nombreux en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre, on pourra arguer que ces corrections sociales auront surtout été imposées par une impulsion communautaire. Elles seront quoi qu’il en soit considérées comme insuffisantes, vu l’importance des hausses qu’elles sont censées atténuer. Au sud comme au nord, et à droite comme, surtout, à gauche. « Ils se foutent de nous ? Lachen ze ons uit ? », a réagi, sur Twitter, le président bilingue du PTB, Raoul Hedebouw.

Mais le gouvernement De Croo a pris cette habitude des accords décevants et des reports impossibles. Le véritable remodelage de la facture d’électricité, qui pourrait perpétuer la baisse de la TVA, et l’élargir au gaz, tout en modulant les accises perçues sur l’énergie, est annoncé pour mars, sous l’égide des ministres des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) et de l’Energie Tinne Van der Straeten (Groen). Autant déjà le savoir : les nuits de discussions sur ce sujet produiront encore des accords décevants. Socialement et communautairement.

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