Le plus commandé - après celui de Pfizer-BioNTech - au sein de l'Union européenne, et notamment par la Belgique, le vaccin d'AstraZeneca voit son efficacité de plus en plus discutée. © belga image

Vaccin AstraZeneca: des revers et une surprise

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le vaccin d’AstraZeneca, très attendu, accumule les controverses. Or, il représente le pilier de la stratégie vaccinale.

Et de trois! Après ceux du duo germano-américain Pfizer-BioNTech et de la société américaine Moderna, la Belgique dispose du vaccin anglo-suédois, développé avec l’université d’Oxford. A la différence des produits Pfizer-BioNTech et Moderna, AstraZeneca n’utilise pas la technologie à ARN messager. Il s’agit d’un vaccin à vecteur viral, c’est-à-dire que le fabricant s’appuie sur des virus qui ne sont pas pathogènes pour l’homme (des adénovirus), transformés et adaptés contre le Sras-CoV-2. Surtout, il se conserve plus facilement, au réfrigérateur, se montre nettement plus aisé à manier et largement moins cher que tous ses concurrents (2,5 euros par dose). Ce qui en fait un produit plus adapté à des campagnes de vaccination de masse.

Il nous faudra peut-être une seconde et une troisième génération de vaccins pour faire plus.

La livraison de 443 000 doses, dès la mi-février, va permettre de vacciner le segment 18-55 ans, parmi lequel les personnels de santé, ceux d’autres collectivités, comme les institutions psychiatriques, leurs résidents, les personnes présentant des comorbidités et, enfin, celles exerçant une fonction critique, c’est-à-dire une activité où la distance physique, les gestes barrières et le port de matériel de protection ne peuvent être assurés. C’est donc une belle nouvelle. Des individus qui auraient dû patienter un, voire deux mois, pourront être vaccinés plus rapidement et être protégés plus vite. Mieux encore, la durée entre les deux injections, comme l’indique le protocole d’AstraZeneca, est plus longue que celles des autres vaccins: de quatre à douze semaines, mais plus la distance entre les deux doses est grande, plus l’efficacité grimpe. Résultat: il n’oblige pas à anticiper des stocks en vue d’une seconde injection. Un plus appréciable dans un contexte de pénurie.

Un vaccin controversé

Mais voilà, alors que le vaccin reste la seule perspective, l’efficacité de ce produit tant attendu (70% contre 90% pour ses concurrents) et le plus commandé (notamment par la Belgique et au sein de l’Union européenne, après celui de Pfizer-BioNTech) ne cesse d’être discutée. La dernière controverse porte sur son peu d’efficacité contre le variant sud-africain. Ainsi, selon une étude préliminaire sud-africaine, de 75%, elle passe à 22% face à ce variant contre les formes légères et modérées de la maladie. Or, ce chiffre ne fait pas l’unanimité. Il s’appuie sur un échantillon très réduit (quelque 2 000 personnes) et, surtout, une population jeune (de 24 à 40 ans) et en bonne santé. Voilà qui interdit toute conclusion statistique. Peut-être ce vaccin protège-t-il au moins contre les infections sévères nécessitant une hospitalisation, qui, selon Muriel Moser, chercheuse et professeure d’immunologie à l’ULB, « reste le premier objectif, rapide et immédiat de la vaccination ». Là, aucune étude, mais des premières données suggèrent que le produit demeurait puissant.

Ce mecredi 11 février, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a cependant annoncé que le vaccin anti-Covid élaboré par AstraZeneca pouvait être administré aux plus de 65 ans et dans les pays où circulent des variants, mais l’agence européenne du médicament veut savoir quels vaccins sont vraiment efficaces contre ces variants.

« Les personnes de plus de 65 ans devraient recevoir le vaccin », a déclaré le président du Groupe d’experts de l’OMS, Alejandro Cravioto. Pour tenter d’y voir plus clair, l’Agence européenne du médicament (EMA) a annoncé avoir demandé à tous les développeurs de vaccins d’évaluer si leur produit est efficace contre les nouvelles mutations du coronavirus. L’Agence a indiqué qu’elle « élabore des lignes directrices pour les fabricants prévoyant des changements aux vaccins Covid-19 existants, pour lutter contre les nouveaux variants du virus ».

Les autres, en tout cas, font mieux qu’AstraZeneca. Des essais en labo montrent que le vaccin Pfizer, au même titre que celui de Moderna, semble conserver l’essentiel de son efficacité contre le variant sud-africain, même si aucune étude clinique ne permet pour l’instant de confirmer ces résultats. Confronté au variant sud-africain, le candidat du groupe Johnson & Johnson, basé sur le même modèle qu’Astra- Zeneca mais à dose unique, voit lui aussi son efficacité chuter de 72% à 57%. Mais il reste au-delà des 50% recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

En revanche, pour le variant britannique, tant les vaccins à ARN messager que ceux à vecteur viral conservent une bonne efficacité. Autrement dit, le produit AstraZeneca protège contre les virus qui circulent chez nous. C’est bien le mutant britannique qui prend de l’ampleur en Belgique, le variant sud-africain y restant très peu présent.

Mais ces deux bonnes nouvelles n’éclipsent pas le malaise du fabricant comme de l’OMS, qui n’a pas encore homologué le produit. Le mutant sud-africain a déjà été repéré dans 32 pays. Que faire, dès lors, face à un vaccin bien moins coûteux et sur lequel repose la stratégie vaccinale vers les pays à faibles et moyens revenus? Après l’euphorie suscitée par l’arrivée de vaccins, serait-ce un dur retour à la réalité? Pour l’OMS, c’est non. « La tâche première des vaccins, actuellement, c’est de réduire le nombre d’hospitalisations et de morts. Et il me semble qu’à l’heure actuelle les données nous montrent que c’est ce que font tous les vaccins, réplique Michael Ryan, en charge des questions d’urgence sanitaire au sein de l’agence onusienne. Il nous faudra peut-être une seconde et une troisième génération de vaccins pour faire plus. » Il faudra probablement aussi une troisième injection, une espèce de booster adapté aux variants les plus préoccupants.

Bientôt Spoutnik V?

A côté de ces boosters, envisagés pour l’automne prochain, il y a cette surprise venue de Russie. Développé par l’institut d’Etat Gamaleya, Spoutnik V est également un vaccin à vecteur viral reposant sur deux injections et utilisant deux adénovirus transformés. Il vient de faire l’objet d’une publication dans The Lancet. Les données intermédiaires montrent une efficacité de 91,6%, détrônant AstraZeneca. L’étude ne met pas en évidence d’effets indésirables notables. Il serait aussi efficace dans le sous-groupe des plus de 60 ans l’ayant reçu que chez les plus jeunes. Un atout potentiel face à AstraZeneca, que les experts ne recommandent pas d’administrer chez les plus de 65 ans, voire chez les plus de 55 ans, faute de données au sein de ces populations.

Pourrait-on bénéficier de Spoutnik V en Europe? En théorie, oui, à la condition que son processus de fabrication respecte les normes de qualité européennes en vigueur. Si les usines sont à l’étranger, elles doivent être agréées. Lorsqu’elles ne le sont pas déjà, l’Agence européenne des médicaments (EMA) mène alors une enquête, dès qu’une demande d’autorisation de mise sur le marché lui est soumise. Jusqu’à ce jour, aucun dossier d’autorisation de mise sur le marché n’est déposé en Europe. Mais plusieurs Etats ont décidé de ne pas attendre, comme les autorise une directive en cas d’épidémie, et ont déjà opté pour ce vaccin facilement conservable et peu coûteux (8,40 euros la dose).

Un espoir inattendu… mais qui risque d’être douché. L’Union européenne (UE) attend encore deux autres vaccins, ceux de l’américain Johnson & Johnson et de l’allemand CureVac, le premier au plus tôt en avril, le second, au cours du second semestre 2021. De quoi largement immuniser les Européens, sauf que, pour l’instant, les statistiques disent autre chose: selon OurWorldinData.org, géré par l’université d’Oxford et consulté le 9 février, 12,7 Américains sur 100 ont reçu au moins une injection, au Royaume-Uni, ce ratio s’approche de 19, et en Israël, le champion du monde, de 66. Au sein de l’UE, il ne dépasse pas 4, et en Belgique, 3,63 personnes sur 100 ont reçu une première dose.

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