Société Réformer sans drame

Quoi qu’en dise la droite républicaine, l’avortement et la lutte contre les inégalités ne sont plus des lignes de fracture. Le nouveau président, pour s’attaquer aux discrimina-tions, aura à cour de jouer la carte du consensus.

S’il avait voulu gâcher son arrivée au pouvoir, Barack Obama n’aurait pas agi autrement. En invitant le pasteur Rick Warren à prononcer une homélie lors de son investiture, le 20 janvier, le président élu a provoqué la confusion, la hargne même, de milliers d’Américains. Comprenons-les. Rick Warren, fondateur de l’énorme église Saddleback, près de Los Angeles, est connu autant pour ses chemises à fleurs et ses guides de vulgarisation spirituels que pour ses anathèmes contre les homosexuels et le mariage gay. Ces propos-là sont désapprouvés par le nouveau président. Mais alors, que fait Rick Warren à son intronisation ?

La main tendue de Barack Obama à la droite conservatrice n’a pas fini d’intriguer, qu’il s’agisse des coups de fil aimables à Brent Scowcroft, qui fut conseiller de la Sécurité nationale de George Bush père, ou de ses confidences un rien admiratives sur l' » esthétique politique  » d’un Ronald Reagan. Elu avec une majorité confortable le 4 novembre 2008, il a cru nécessaire de nommer dans son gouvernement des républicains tels que Robert Gates à la Défense et Ray LaHood aux Transports. Un choix étonnant de la part d’un président porté au pouvoir au nom d’un nouveau leadership moral. Est-il de gauche ou de droite ? Sur le plan économique, il croit au rôle de l’Etat. Pour le reste, selon la formule de son conseiller David Axelrod,  » c’està compliqué « .

En niant le monopole des républicains sur les fameuses valeurs morales, lors de son célèbre discours de la Convention démocrate de 2004, Obama brouillait déjà les pistes quant à ses convictions réelles. Au fond, à bien écouter ses innombrables prises de parole, depuis près de deux ans, il semble que, si Obama est bel et bien de gauche, il l’est autant que l’Amérique tout entière.

Des clivages droite-gauche réfutés par le président

Quoi que laissent entendre les agitateurs droitiers des plateaux de télévision, les idéaux de tolérance, de non-discrimination et de solidarité nés dans le tumulte des années 1960 sont désormais partagés par une majorité d’Américains. Même Sarah Palin, diva conservatrice, se dit  » sincèrement féministe « . Et cherche à le prouver en citant, l’une après l’autre, toutes les lois adoptées en faveur de l’égalité des sexes.

Rick Warren peut vitupérer, mais nombre d’Américains acceptent au moins tacitement le mariage gay, opérant un distinguo subtil entre leur credo moral ou religieux et l’exigence d’égalité devant la loi. Obama, comme des millions de ses compatriotes, considère que le mariage est l’affaire d’un homme et d’une femme. Mais il est, surtout, opposé à la moindre discrimination. D’ailleurs, afin de calmer la polémique suscitée par le choix de Rick Warren, le président a fait appel à un évêque anglican ouvertement homosexuel, Gene Robinson, pour lancer le coup d’envoi des cérémonies.

Obama est favorable à la peine de mort, comme 60 % de ses concitoyens, mais, autant que ses électeurs, il se déclare hostile aux inégalités devant la justice et à la surenchère répressive et morbide qui prévalait sous George W. Bush.

Sur le plan des m£urs et des grandes questions de société, l’Amérique aurait donc viré à gauche. Seul problème, elle refuse encore ce qualificatif, tant il évoque la guerre civile culturelle, la violence interraciale, la  » débauche  » des années 1960 et les divisions nées du Vietnam. Obama, qui n’avait que 7 ans en 1968, réfute ces clivages comme les derniers vestiges de la génération des baby-boomeurs. Le progrès collectif, à l’entendre, est affaire de consensus et non de confrontation. Il aura bientôt à le prouver. l

P. C.

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