Génération Bounty

Les jeunes Noirs africains sont souvent associés à la violence. Une image fausse, mais néanmoins révélatrice de la crise identitaire d’une génération.

Blanc à l’intérieur, noir autour. Pas mal de jeunes d’origine africaine sont affublés du nom de cette friandise chocolatée qui évoque les îles tropicales. Les  » Bounty  » n’ont plus d’africain que la couleur de leur peau.  » Ils sont nés ou arrivés très jeunes en Belgique et ne connaissent pas leur culture d’origine, constate Bertin Mampaka (CDH), échevin des Sports et de l’Environnement à la Ville de Bruxelles. Leurs seules valeurs sont celles de la culture occidentale, dont ils ont adopté tous les travers. « 

Appartenant à la deuxième génération des immigrés venus d’Afrique noire, ces Noirs qui rejettent leur négritude espèrent ainsi mieux s’intégrer et échapper au racisme. Le  » bountysme  » existe également en France, dans les communautés sénégalaise, malienne, camerounaise… En Belgique, il s’agit surtout de Congolais d’origine.

 » Les Bounty sont acculturés, leurs parents ne leur ont pas transmis leurs racines africaines « , confirme Christopher Kashale, 28 ans, de l’association Génération bruxelloise. Ils tentent alors, par tous les moyens, de se fondre dans la culture européenne, mais souffrent de ne pas être reconnus comme ils le souhaiteraient par les jeunes Blancs uniquement parce qu’ils n’ont pas la même couleur de peau. Ils se font refouler à la porte des dancings, comme tous leurs frères blacks.  » Ces gosses sont déchirés. Ils se sentent perdus à la fois dans la communauté africaine et dans la communauté belgo-belge, déplore Mama Mwadi, de l’ASBL Carrefour des jeunes Africains ( lire le portrait p. 47). Quand je les rencontre, je les exhorte à connaître leurs racines. C’est primordial pour pouvoir exister.  »

Perte d’identité, parents démissionnaires ou en guerre contre leur propre communauté… Les Bounty sont des jeunes à la dérive. Beaucoup connaissent des problèmes à l’école. Certains – pas la majorité – tombent dans la délinquance au sein de bandes urbaines. Les magistrats de la jeunesse à Bruxelles, mais aussi à Charleroi et à La Louvière, connaissent bien le phénomène Bounty, même s’ils n’aiment pas trop utiliser publiquement ce terme plutôt péjoratif. Un terme inventé par la génération des quadras africains. Les Bounty violents sont minoritaires, mais font beaucoup parler d’eux.  » L’image qu’ils véhiculent est désastreuse pour toute la jeunesse africaine qu’on associe aux bandes de délinquants, déplore Tamusa Lumembo, 22 ans, étudiant aux Facultés universitaires Saint-Louis, à Bruxelles. Mais nous ne sommes pas tous révoltés et haineux ! « 

Selon Tamusa, qui est aussi vice-président du cercle Kilimandjaro pour promouvoir la culture africaine, le christianisme et le colonialisme sont à la base de la crise identitaire de beaucoup d’adolescents.  » Les jeunes Noirs ne se sentent pas fiers de leur culture comme les Maghrébins ou les Asiatiques, dit-il. Beaucoup copient les Blancs tout en se demandant pourquoi ils portent un prénom chrétien.  » Tamusa, lui, a abandonné le sien et ne veut plus qu’on l’appelle Yannick. Une manière de retrouver ses racines.

La réalité Bounty se trouve, en grande partie, à la base de la création de l’ASBL Génération bruxelloise, située à Bruxelles-Ville.  » Nous proposons des projets concrets pour réussir à l’école et sur le marché de l’emploi, précise Christopher Kashale. L’association accueille surtout des jeunes Noirs, mais elle est ouverte aux ados de toutes origines, car nous voulons éviter le communautarisme. Le but est de leur redonner confiance, de les intéresser à la vie politique, culturelle, au monde des affaires. Et de les faire peut-être un peu ressembler à Barack Obama, à qui ils peuvent désormais s’identifier.  » Obama, l’anti-Bounty, qui a déjà donné son nom à une autre génération, fière et forte de ses racines. l

Thierry Denoël

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