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Gênes: un adieu sobre et solennel aux victimes du pont effondré (en images)

Le Vif

Des proches et des milliers d’anonymes ont participé, dans une grande émotion, aux funérailles des victimes l’effondrement du pont Morandi à Gênes, dans le nord de l’Italie.

Dans l’immense pavillon Jean Nouvel du parc d’exposition de Gênes, 18 cercueils étaient alignés, recouverts d’énormes gerbes de fleurs, sur des tréteaux posés sur un énorme rectangle de tapis rouge.

Un peu en avant, un petit cercueil blanc: celui de Samuele, 8 ans, aspiré dans le vide avec ses deux parents alors qu’ils étaient en route pour des vacances en Sardaigne.

La moitié des familles ont refusé de participer à la célébration. Certaines pour dénoncer ce qu’une mère considérant l’Etat comme responsable du drame a qualifié dans la presse de « farce de funérailles », d’autres pour des adieux plus intimes.

Sur le parking devant l’une des entrées du vaste bâtiment, les proches et familles des victimes ont afflué toute la matinée, parfois vêtus de noir, souvent en silence.

Une femme sort d’un taxi, tenant une rose blanche. Puis un homme en chemise grise, un cadre en bois à la main. Sur la photo encadrée, un homme d’âge mûr en costume, souriant.

Quelques minutes plus tard, un homme âgé arrive au loin. Il avance péniblement. Des proches le soutiennent, prenant soin de le maintenir à l’ombre pour lui éviter le supplice d’un soleil de plomb.

« Nous sommes venus pour Marius, mon cousin », confie un peu plus loin Ayde Djerri. « Il avait 22 ans et se trouvait sur le pont. Il se rendait au travail avec un collègue, il était jardinier. »

A l’intérieur du vaste hall, l’émotion croît à mesure que la foule afflue. Un millier de personnes, certaines arrivées très tôt, sont assises derrière les dépouilles. Au fond, des milliers de personnes se tiennent debout.

Salves d’applaudissements

A plusieurs reprises, des salves applaudissements viennent résonner pour saluer l’arrivée de pompiers, à pied d’oeuvre depuis mardi dans les décombres, des footballeurs des deux grands clubs de la ville, le Genoa et la Sampdoria, arrivés ensemble tout comme Matteo Salvini et Luigi Di Maio, les deux chefs de file du gouvernement populiste.

Arrivé en dernier, le président italien, Sergio Mattarella, prend le temps d’échanger quelques mots avec les proches autour des cercueils. Visiblement ému, il sert plusieurs d’entre eux dans ses bras.

Peu après 11H30, l’hommage débute. L’orgue et les choeurs se lancent et l’encens enveloppe l’espace.

Nouvelle salve d’applaudissements quand un prêtre lit un à un au micron les prénoms des 38 victimes du viaduc Morandi et évoque celles retrouvées à l’aube et pas encore identifiées.

Dans la salle, les visages trahissent l’émotion.

Et quand l’archevêque de Gênes, Angelo Bagnasco, cède la place pour quelques minutes à un imam en l’honneur de deux Albanais musulmans figurant parmi les victimes, c’est encore un silence respectueux qui accueille ses « Allah Akbar » (Dieu est le plus grand) rituels.

« J’ai perdu un ami mais je suis venu pour toutes les victimes », confie Nunzio Angone, venu avec son épouse.

Salvatore Catrini est là aussi avec sa femme « pour la ville » et pour toutes les victimes, même s’il a aussi perdu un ami d’enfance.

« On a grandi ensemble… Il travaillait dans une rue sous le pont quand il s’est écroulé », confie-t-il.

Son épouse poursuit: « Ce jour-là, il devait être de repos. Mais comme il faisait un temps horrible, il était parti travailler et avait dit qu’il poserait un jour plus tard, quand il ferait beau. »

La cérémonie a aussi été marquée par un temps de prière islamique pour deux Albanais musulmans. Dans un pays où l’extrême droite est au pouvoir et où les violences verbales et physiques se multiplient contre les étrangers et contre les musulmans, un imam a mené quelques minutes de prière en silence, ponctuées de quatre « Allah Akbar » résonnants.

Tous les plus hauts responsables de l’Etat étaient présents, mais aussi les principaux dirigeants d’Autostrade per l’Italia.

« C’est une tragédie inacceptable », a fait valoir à la télévision le président Sergio Mattarella, les yeux rouges, après la fin de la cérémonie, évoquant son engagement « à ce que des enquêtes rapides et rigoureuses aboutissent à des condamnations ».

Les familles d’une partie des victimes ont cependant choisi de ne pas participer à la cérémonie, certains préférant des funérailles plus intimes et dans leur ville, d’autres annonçant clairement un boycott.

« Mon fils a été assassiné », a répété vendredi sur toutes les ondes le père de l’un des quatre jeunes de Torre del Greco, près de Naples, morts sur la route de leurs vacances, en pointant la responsabilité de l’Etat.

« On ne doit pas mourir de négligence, d’incurie, d’irresponsabilité, de superficialité, de bureaucratisme », a martelé l’archevêque de Naples, Crescenzio Sepe, dans son homélie lors des obsèques des quatre jeunes, célébrées vendredi comme pour d’autres victimes à travers l’Italie.

L’archevêque de Gênes, Angelo Bagnasco, a gardé un ton réconfortant. « Gênes ne se rend pas. L’âme de son peuple est traversée ces jours-ci de mille pensées et sentiments, mais elle continuera à lutter », a-t-il assuré.

Les photos souriantes et les destins brisés des victimes s’affichaient dans tous les journaux italiens: un ancien champion de moto trial, un médecin et une infirmière qui allaient se marier, des jeunes Français partis faire la fête, trois Chiliens qui s’étaient installés en Italie, un routier napolitain qui rentrait après une livraison en France, un couple de retour de voyage de noces…

Haro sur la société gestionnaire

Face à l’émotion et à la colère, le gouvernement a attaqué Autrostrade per l’Italia, la famille Benetton qui contrôle le groupe, l’incurie des gouvernements précédents — même si la Ligue a toujours été un allié au pouvoir de Silvio Berlusconi — et l’Union européenne.

Vendredi, le ministère des Infrastructures a officiellement adressé un courrier à Autostrade en vue de révoquer la concession de la société sur le tronçon du pont.

Après avoir assuré dans la semaine du sérieux de ses contrôles et prévenu qu’une révocation « en l’absence de toute certitude sur les causes effectives » du drame coûterait cher en indemnités à l’Etat — la presse et l’opposition parlent de milliards d’euros –, Autostrade a annoncé une conférence de presse samedi après-midi à Gênes.

Les dirigeants comptent faire état de leurs efforts pour fournir « une aide concrète » à la ville, aux proches des victimes et aux centaines de personnes dont les habitations sont condamnées.

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