Le parti grec d'extrême droite Aube Dorée organisait des démonstrations de force en rue et, à l'occasion, des ratonnades. Il a été reconnu comme organisation criminelle. © Getty Images

« L’extrême droite ne peut plus se permettre le discours d’il y a vingt-cinq ans »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le recours à la justice est-il efficace contre les actes d’extrémistes ? En Grèce, Aube dorée a été reconnue comme organisation criminelle. En 2004, le Vlaams Blok était contraint de se transformer en Vlaams Belang à la suite d’une décision judiciaire. L’avocat qui a mené ce combat, Luc Walleyn, explique cette mutation de la droite fascisante à la droite populiste.

Une condamnation comme celle prononcée par la justice grecque à l’encontre du parti Aube dorée, reconnu comme « organisation criminelle », est-elle rare en Europe ?

Ces dernières années, plusieurs groupes ont été condamnés pour des faits que l’on peut qualifier de terroristes ou, en tout cas, de violents. Des organisations ont même été explicitement mises hors la loi, par exemple Combat 18 en Allemagne. Il est beaucoup plus rare que cela concerne des partis qui ont des représentants au Parlement, ce qui est le cas d’Aube dorée. Il est en revanche de moins en moins rare de constater des actes violents de l’extrême droite radicale. Même en Belgique où un incendie a touché un centre d’asile le 10 novembre 2019 à Bilzen. Il y a quelques mois, un rapport de l’organisation des Nations unies a mis en évidence ce phénomène

En Grèce, la gravité des préventions, et notamment l’assassinat du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas, explique-t-elle à elle seule la condamnation ?

Toute l’enquête est partie de cet assassinat. Mais ce n’était pas un fait isolé. Aube dorée avait un passif d’actes violents. Cette agression mortelle a été en quelque sorte « la goutte qui a fait déborder le vase ». L’Allemagne a aussi connu récemment l’assassinat d’un homme politique, Walter Lübcke (NDLR : le président proréfugiés du district de Kassel, le 2 juin 2019).

La voie judiciaire contre l’extrême droite ne comporte-t-elle pas un risque : pousser à la clandestinité des militants qu’il est plus aisé de contrôler s’ils ont pignon sur rue ?

Ce qui se passe en Grèce et dans d’autres pays ne résulte pas d’un choix politique contre l’extrême droite mais plutôt de l’accroissement de la violence de ces groupes. Si une organisation, quelle que soit sa tendance, s’adonne à des activités criminelles, la poursuivre n’est pas, dans le chef de la justice, une tactique antiextrême droite. Cela relève de sa fonction primaire. Quand on assassine quelqu’un, on se met soi-même dans la clandestinité. Il serait même dangereux de présenter l’action de la justice comme partie d’une stratégie politique antiextrême droite. Les idées de l’extrême droite et de l’extrême gauche doivent être combattues par leurs adversaires avec des moyens politiques.

Les poursuites engagées en justice contre des associations proches du Vlaams Blok en 2004 avaient abouti à un changement de nom et de programme du parti. Les formations d’extrême droite fontelles attention aujourd’hui de ne pas dépasser des limites légales ?

Nous avons initié cette procédure, au nom du Centre pour l’égalité des chances de l’époque (NDLR : devenu Unia) et de la Ligue des droits de l’homme (NDLR : devenue la Ligue des droits humains), non pas parce que le Vlaams Blok était le mouvement d’extrême droite qu’il était mais parce qu’il ne respectait pas la loi qui interdit l’incitation à la haine et à la discrimination. Au plan juridique, cela se situe à la limite de ce qui est possible dans ce que vous appelez la lutte contre l’extrême droite. Ce n’est pas le parquet qui a lancé les poursuites contre le Vlaams Blok. Elles ont été engagées sur la base d’une constitution de partie civile par le Centre pour l’égalité des chances et la Ligue flamande des droits de l’homme, à laquelle le parquet ne s’est pas opposé. Ces associations ne dénonçaient pas une idéologie d’extrême droite mais des faits précis d’incitation à la haine et à la discrimination. Mais un parti n’est pas pénalement responsable ; il ne peut donc pas être poursuivi en justice. Et ses dirigeants pouvaient difficilement l’être en raison de l’immunité parlementaire et à cause de la compétence réservée de la cour d’assises pour les délits de presse. Deux lois, la correctionnalisation des délits de presse, racistes, xénophobes ou révisionnistes sur la base d’une modification de la Constitution, et la responsabilité pénale de la personnalité juridique ont permis d’engager cette procédure et de citer en correctionnelle non pas des individus mais des asbl. La cour d’appel a constaté que le parti dont ces asbl étaient l’émanation, le Vlaams Blok, pratiquait d’une façon répétée et ouverte la discrimination et l’incitation à la haine pas pour un fait unique mais à la suite d’un examen de l’ensemble de leur propagande politique.

Filip Dewinter, le président Frank Vanhecke et Gerolf Annemans lors du procès contres les associations du Vlaams Blok en 2004.
Filip Dewinter, le président Frank Vanhecke et Gerolf Annemans lors du procès contres les associations du Vlaams Blok en 2004.© Belga Image

Le Vlaams Blok s’est-il transformé en Vlaams Belang de crainte que la dotation publique lui soit retirée ?

Cela a fortement joué parce que, pour pouvoir condamner les asbl, la cour a dû répondre à la question : « Le Vlaams Blok est-il une organisation raciste ? » En y répondant positivement, la cour a en réalité qualifié le VB d’association illégale. Or, la législation en matière de financement des partis politiques prévoit que celui-ci puisse être retiré si un parti ne respecte pas les principes de la Convention européenne des droits de l’homme. La suite logique aurait été l’introduction d’une procédure de retrait de ce financement.

Le Vlaams Belang a-t-il adapté son discours en fonction de cette procédure judiciaire ?

C’est clair et net. On ne peut pas comparer le programme et même la propagande du Vlaams Belang aujourd’hui à ceux du Vlaams Blok à l’époque. J’ai étudié le programme du Vlaams Blok pour ce procès. Il pouvait être qualifié de parti fascisant avec des accents de totalitarisme, d’antiparlementarisme, de sacre de l’homme fort, de morale réactionnaire… Ce programme n’était pas si différent, par exemple, de celui de Benito Mussolini, sauf qu’il ne disposait pas officiellement de milices. Pour qualifier le Vlaams Belang aujourd’hui, j’utiliserais plutôt le terme de populiste. C’est toujours l’extrême droite. Mais ce n’est pas la même extrême droite que celle du Vlaams Blok ou Aube dorée.

L’association d’extrême droite Schild &Vrienden, dont la nature a été révélée par une émission de la VRT en septembre 2018, a annoncé la création d’un média sur les plateformes numériques. La justice est-elle armée pour combattre les dérives des formations d’extrême droite sur les médias sociaux ?

La justice a évidemment toujours un pas de retard sur le développement de la criminalité en général. Mais des progrès intéressants ont tout de même été réalisés sur le plan des moyens pour surveiller Internet, les médias sociaux… A tel point que, parfois, l’utilisation de ces réseaux facilite la démonstration de la preuve de certains délits. Il est difficile de prouver une infraction en cas de conversation privée ou de meeting en petit comité. En revanche, on peut utiliser une discussion dans une chatbox comme preuve. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec Schild & Vrienden. Le simple transfert de messages racistes peut déjà constituer une incitation à la haine si cela est fait d’une façon collective, par exemple à toute sa liste d’adresses. Il y a des dossiers où l’on examine ce genre d’éléments. En général, il y a deux niveaux.

Il faut examiner les messages en soi. Parfois, ils peuvent être subtils, à double sens, ou faits de sous-entendus. Il faut les décoder ; ce qui peut être une difficulté. Le deuxième problème est qu’une fois qu’on a déterminé qu’un message Facebook, par exemple, est clairement une incitation à la haine ou à la discrimination, il faut encore en identifier l’auteur. En matière de prévention, on observe aussi une avancée de la part des opérateurs comme Facebook qui ont de plus en plus tendance à bloquer des messages à la source.

L’arsenal juridique s’adapte donc aux possibilités offertes par les nouvelles technologies…

On trouve de nouvelles méthodes pour diffuser des messages racistes et autres comme on applique de nouvelles procédures pour les poursuivre. Mais les partis qui sont représentés au Parlement ou souhaitent l’être ne se permettent plus aujourd’hui ce qu’ils pouvaient se permettre il y a vingt-cinq ans. C’est évident. La condamnation des associations du Vlaams Blok en 2004 y a certainement contribué. Cela n’a d’ailleurs pas été une condamnation isolée puisque plus tard, le Front national de Daniel Féret et le Front nouveau de Belgique de Marguerite Bastien l’ont également été. En Flandre, il est sûr que le Vlaams Belang se présente de façon beaucoup plus respectueuse qu’à l’époque du Vlaams Blok. Il ne veut plus et il ne pourrait plus se permettre de tenir un discours semblable. D’ailleurs, ce n’est pas une rhétorique agressive, raciste ou fascisante qui pourrait lui apporter de nouveaux électeurs. Dans ce sens, il y a peut-être une évolution positive même si dans les marges de la société, on observe une forte radicalisation au sein de petits groupes extrémistes, réellement néonazis comme Blood and Honour. C’est marginal. Mais ce n’est pas parce que c’est marginal que ce n’est pas dangereux. Il ne faut pas être très nombreux pour perpétrer des assassinats ou des incendies.

Efficacité grecque

La cour pénale d’Athènes a reconnu, le jeudi 8 octobre, comme groupe criminel le parti Aube dorée dont des membres étaient poursuivis pour l’assassinat du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas, en septembre 2013, et pour des tentatives d’homicide contre ouvriers étrangers et des syndicalistes communistes. L’action en justice avait été lancée il y a cinq ans et demi. Elle a nécessité plus de 400 audiences. Aube dorée avait récolté jusqu’à 7% des suffrages des électeurs grecs, aux législatives de juin 2012. Sept ans plus tard, lors du dernier scrutin parlementaire en juin 2019, le parti ne récoltait plus que 3% des voix. Son déclin a correspondu au lancement et à l’entame de la procédure judiciaire lancée en 2015. (Luc Walleyn)

Paroles d’experts

  • « Ce procès historique est un signal fort envoyé à l’ensemble des partis et organisations d’extrême droite impliqués ailleurs en Europe dans des faits de violence. »– La rédaction du journal de RésistanceS, l’Observatoire belge de l’extrême droite, à propos de l’arrêt de la cour d’appel d’Athènes concernant les membres du parti Aube dorée.
  • « Il y a un mythe à considérer que de telles interdictions feraient des dirigeants de partis extrémistes des martyrs. Peu de gens sauraient vous citer qui était à la tête des partis allemands néonazi et communiste d’après-guerre. »Jan-Werner Müller, politologue allemand, professeur de sciences politiques à l’université de Princeton (Etats-Unis) dans une tribune au quotidien Les Echos, en novembre 2013, à propos du « combat engagé » à l’époque par le gouvernement grec à l’encontre d’Aube dorée.
  • « C’est un parti qui n’est pas républicain, il a été condamné 19 fois. […] Moi je pense qu’il faut l’interdire, oui. Mais c’est compliqué parce qu’après, il y a reconstitution d’une ligue dissoute, vous savez… Et puis on est tellement habitués non seulement à ces gens, mais à ce qu’ils véhiculent comme idées, que ce serait difficile aujourd’hui. »Eric Dupond-Moretti en mai 2015 au micro de France Inter à propos du Rassemblement national de Marine Le Pen, alors qu’il était avocat et pas encore ministre français de la Justice.
  • « L’hésitation vaccinale augmente avec le rejet des gouvernants. » – La virologue française Marie-Paule Kieny expose dans l’hebdomadaire Le 1 qu' »au nord de l’Europe, où les populations ont confiance en leur gouvernement, il y a très peu de rejet (des vaccins). C’est le contraire dans les pays du sud de l’Europe. »
  • « L’agora publique n’a plus l’obligation de tendre le micro à toutes les opinions, comme si toutes se valaient. Elles s’expriment déjà partout et sans filtre. »– L’essayiste Caroline Fourest explique dans Marianne que l’important aujourd’hui pour les médias est d’assumer de trier et de discerner.
  • « C’est une chance d’épouser quelqu’un en dehors de sa culture et de sa communauté ! Cela vous apprend que l’étranger ne l’est pas tant que ça. » – L’écrivaine guadeloupéenne Simone Schwarz-Bart raconte dans une interview au Monde le bonheur de sa vie partagée avec son époux, André Schwarz-Bart, juif d’origine polonaise, prix Goncourt 1959 pour Le Dernier des Justes.

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