Johan Leman © Franky Verdickt

Vlaams Belang : « Un nouveau procès pour racisme? La pression politique est trop forte « 

Michel Vandersmissen
Michel Vandersmissen Journaliste pour Knack

Ancien directeur du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, Johan Leman a été le moteur du grand procès contre le Vlaams Blok au début du siècle . Comment voit-il la renaissance du Vlaams Belang, le parti qui est né des cendres du Blok? « Le Vlaams Belang n’a pas encore beaucoup changé. »

« En 1991, les membres du Vlaams Blok tels que Filip Dewinter parlaient encore de tapis volants et de musulmans à dos de chameau », explique Johan Leman. « L’islam était encore inconnu de la plupart des Flamands et le Blok a averti que les Turcs et les Marocains allaient supprimer les emplois des Flamands qui travaillent dur. Personne ne connaît mieux les racines du Vlaams Blok/Belang que Johan Leman. Après ce premier dimanche noir, il a continué à suivre le parti de près. Leman a longtemps été chef de cabinet de Paula D’Hondt, Commissaire royal à l’Immigration, puis, en 1993, il a été nommé directeur du Centre pour l’égalité des chances et de la lutte contre le racisme. Il a été l’un des initiateurs du grand procès contre le Vlaams Blok en 2004. Ensuite, le parti s’est transformé en Vlaams Belang.

Les autres partis ont-ils mieux réagi au dimanche noir de 2019 qu’en 1991?

Leman : Au fond, la victoire du Vlaams Belang n’est pas la plus grande surprise de ces élections. Le parti a déjà obtenu de meilleurs résultats. Je suis plus frappé par la disparition des partis traditionnels: en Flandre, ils n’atteignent même plus 40%, alors que dans le passé, deux d’entre eux suffisaient pour former un gouvernement. Selon moi, la raison la plus importante est l’individualisation de la société. Aujourd’hui, tout le monde souhaite un programme de parti qui lui correspond.

Les partis traditionnels sont peut-être un peu usés?

Pourquoi seraient-ils usés ? Il y a tout de même de nouvelles personnes?

Sont-ils du même niveau qu’avant?

Vous me forcez à jouer le rôle d’un vieil homme sage, je n’aime pas ça. (rires) Autrefois, il y avait évidemment quelques figures politiques de haut niveau. Je pense à Jean-Luc Dehaene, Louis Tobback et – même si les Flamands n’aimeront pas ça – Philippe Moureaux. Aujourd’hui, je ne vois plus de tels personnages. Ils s’appréciaient tous les uns les autres, cela m’a toujours frappé. Ils ne passaient par leur temps à médire et ne se poignardaient pas dans le dos.

En 1991, on craignait que le Vlaams Blok ne continue à se développer considérablement. Ressentez-vous maintenant la même peur du Vlaams Belang?

Après ce premier dimanche noir, le Vlaams Blok a rapidement baissé le ton. Le parti a même édulcoré une partie du fameux programme de 70 points. Le ton s’est à nouveau durci après les attentats du 11 septembre 2001. La question est de savoir ce que le parti va faire maintenant. J’ai l’impression qu’il veut à nouveau passer pour plus modéré. Tom Van Grieken n’a toujours pas avancé de points de rupture. On peut discuter de tout, dit-il. Il n’y a pas d’obligations.

Vous le croyez? Ou y a-t-il un Filip Dewinter dissimulé en Tom Van Grieken ?

J’ai été très surpris quand il a accueilli Dries Van Langenhove. Cela me fait douter de ses intentions. Je comprends parfaitement qu’il ne renvoie pas Filip Dewinter. Ce dernier lui permet de couvrir le flanc droit de son parti. Dewinter reste un attrape-voix, et Van Grieken court le risque que ce dernier fonde un parti dissident s’il l’expulse du parti.

Pourquoi étiez-vous surpris par l’arrivée de Dries Van Langenhove ?

Restons sérieux. Regardez les personnages fascistes que fréquente Van Langehove à l’étranger. Soit il joue un double jeu, soit il est à moitié psychopathe. Je vois une énorme différence entre ce que l’homme dit dans les médias grand public et le discours d’extrême droite qu’il diffuse sur les réseaux sociaux via Schild & Vrienden.

Cela peut paraître étrange que je dise ça, mais je pense que Dewinter est un politicien sincère dans son genre, alors que personne ne connaît le fond de la pensée de Van Langenhove. Il glisse entre les doigts comme une anguille.

Le Vlaams Belang est-il toujours un parti raciste ?

Il y a une grande différence entre enfreindre la loi antiraciste et faire des déclarations racistes. La loi antiraciste est très stricte : par exemple, il faut qu’il y ait répétition et il doit y avoir une intention d’inciter délibérément à la discrimination. Ce n’est pas facile à prouver. Toutefois, si vous me demandez si le parti fait des déclarations racistes, je dirais oui sans hésiter.

À quelles déclarations pensez-vous ?

Par exemple, quand Filip Dewinter dit : « Jamais d’Africain bourgmestre d’Anvers « . Cela signifie que vous dites à la population qu’un Noir est inférieur, qu’un Noir n’est pas assez bien pour signifier quelque chose à Anvers. C’est du pur racisme, mais ne suffit pas à le faire condamner par la loi antiraciste. Il ne multiplie pas les incitations à la haine. Cela ne fait pas non plus des électeurs du Vlaams Belang des racistes, tout comme les électeurs du CD&V ne sont pas forcément de bons chrétiens.

Mais pour vous le Vlaams Belang est un parti raciste ?

C’est un parti qui tolère le racisme. Il n’a pas beaucoup changé à cet égard. J’ai participé à toutes sortes de panels avec Filip Dewinter. Il me demandait toujours pourquoi nous le blâmions, lui et son parti, d’être racistes. À ses yeux, il faisait du bon travail. « C’est ainsi que nous canalisons le racisme existant en Flandre et l’empêchons de s’aggraver », disait-il. Selon lui, les propos racistes relèvent de la liberté d’expression.

Le Vlaams Belang pourrait-il être à nouveau condamné sur base de la loi antiraciste ?

Intellectuellement, ce serait un exercice intéressant. Peut-être que quelqu’un peut faire une comparaison pour un doctorat entre le dossier qui a été soumis à l’époque et la situation actuelle. Par exemple, cela nous apprendrait à quel point la société a changé.

Est-ce politiquement opportun de le faire?

Ce n’est pas la bonne question. Lorsque j’étais directeur du Centre pour l’égalité des chances, l’actuel Unia, j’ai tranquillement commencé à le faire, avec mon conseil d’administration. Je n’en ai discuté avec aucun politicien auparavant, pas même avec le Premier ministre de l’époque, Guy Verhofstadt. Certains politiciens ont même réagi avec mécontentement lorsqu’ils l’ont appris, y compris certains membres du CD&V. Ils craignaient que nous apportions de l’eau au moulin du Vlaams Belang, mais ce n’était pas là notre préoccupation.

Pourquoi le faisiez-vous ?

Nous étions des fonctionnaires qui devaient veiller à l’application de la loi. Un point c’est tout. C’est d’abord et avant tout la tactique du Vlaams Blok qui a motivé le lancement de ce procès. Le credo de ce parti était le suivant : nous ne sommes pas racistes, car nous n’avons jamais été condamnés. Nous craignions que cette position ne soit finalement acceptée par la population, que de plus en plus de citoyens soient convaincus que le Vlaams Blok n’était pas vraiment un parti raciste. Nous avons donc laissé le juge en décider.

Unia pourrait-il réessayer aujourd’hui ?

En théorie, oui, mais la pression politique sur le Centre interfédéral pour l’égalité des chances est aujourd’hui si forte qu’il n’oserait probablement plus.

Depuis ce dimanche noir, le cordon sanitaire est sous pression.

Avec le Centre, nous n’avons jamais rien dit à ce sujet, ni pour ni contre. Bien sûr, aujourd’hui, il va de soi que Bart De Wever parle au Vlaams Belang, tout comme il va de soi que le roi Philippe reçoit Tom Van Grieken comme l’un des vainqueurs des élections. Moi aussi, j’ai parlé à des membres du Vlaams Blok – d’Alexandra Colen à Filip Dewinter en passant par Gerolf Annemans – mais cela ne signifie évidemment pas que je suis d’accord avec eux. À mes yeux, cela ne légitime pas leurs idées.

Comprendriez-vous les partis qui forment une coalition avec le Vlaams Belang?

Je ne le ferais pas spontanément, non. Les hommes politiques qui prennent ce risque doivent savoir qu’ils s’associent à un parti dont certains membres fréquentent le parti d’extrême droite violent Aube dorée en Grèce et entretiennent de bons contacts avec le président russe, Vladimir Poutine. Ils devraient également savoir que certains représentants élus du parti prennent des positions sur l’homosexualité qui ne sont probablement pas les leurs.

Ce grand groupe d’électeurs du Vlaams Belang ne mérite-t-il pas le respect ?

Le premier devoir des politiciens est de respecter la volonté de leurs électeurs. Ils ne le feraient probablement pas s’ils concluaient une entente avec un tel parti.

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