© Belga

Comment le PS s’est résigné à négocier avec la N-VA, et pourquoi ce n’est pas gagné (analyse)

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La perspective d’une nouvelle opposition fédérale et d’un plan de relance ont fait basculer le parti de Paul Magnette en juillet. Voici les coulisses de ce choix. Mais aussi de sa difficile concrétisation: il reste à convaincre en interne, en plus des écologistes et/ou des libéraux.

Pendant des mois et de mois, ce fut un leitmotiv, un slogan, une intransigeance de fond: pas question pour le PS de négocier avec la N-VA de Bart De Wever. « Tout nous oppose », martelait Paul Magnette, président du PS. Et puis soudain, au mois de juillet, tout a basculé.

Il y avait pourtant eu une approche, réelle : avant le début de la crise du coronavirus, le président du PS avait déjà tenté de faire passer l’idée auprès de sa base au nom de l’urgence sanitaire à venir. Mais il avait dû faire marche arrière aussi sec: trahison! En arrière-plan, les siens estimaient que le PS se ferait hara-kiri en se mariant avec la N-VA et qu’il vendrait son âme au diable. La FGTB et Solidaris, les places fortes de de l’Action commune, veillaient au grain.

Mais peu à peu, tout s’est détendu…

L’urgence sociale et la crfainte du Belang

Aujourd’hui, Bart De Wever et Paul Magnette sont des missionnaires royaux déterminés à réussir. Ils doivent tenter d’élargir le « Club de cinq » qu’ils ont composé (N-VA, PS, SP.A, CD&V et CDH) aux écologistes et/ou aux libéraux, très critiques jusqu’ici, en amendant le contenu de leur note. Sans indisposer la N-VA, ni le PS. Un tour de force.

Les informations du Vif/L’Express, corroborées par deux reconstitutions faites par BX1 et Le Soir, dévoilent les dessous des cartes qui a mené à l’improbable duo qui est aux commandes.

En mai-juin, l’urgence de la crise sanitaire et les conséquences graves sur le plan socio-économiques ouvrent progressivement les yeux socialistes sur la nécessité de prendre ses responsabilités. En interne, la voix d’Elio Di Rupo, ministre-président wallon, fait son bonhomme de chemin : depuis plusieurs semaines, il lance des signaux pour se déclarer favorable à une négociation dans l’intérêt du pays et pour éviter que le Vlaams Belang ne grimpe encore en cas d’élections anticipées. Il est rejoint, en interne, par d’autres : Rudy Demotte, Pierre-Yves Dermagne, André Flahaut, Willy Demeyer…

Mais le plus intransigeant, depuis la première tentative du printemps, c’est Ahmed Laaouej, à la tête de la Fédération bruxelloise. Normal, la sensibilité progressiste y est forte et, surtout, la réalité bruxelloise est niée par les nationalistes flamands.

L’espoir d’une relance et la crainte de l’Arizona

Le double déclic, après l’échec de la mission Magnette – Rousseau avec leur proposition de tripartie minoritaire, vient… de la crainte de se retrouver pour une deuxième législature dans l’opposition fédérale, ce sacro-saint niveau de pouvoir où se trouve logée la sécurité sociale, « le » lien belge.

La mission menée par les « rois mage » (comme on les surnomme en Flandre) Georges-Louis Bouchez (MR), Joachim Coens (CD&V) et Egbert Lachaert (Open VLD) tend à démontrer qu’une coalition sans le PS est possible. Petit nom: Arizona, en raison des couleurs du drapeau de cet Etat américain. Elle réunirait les partis de l’ancienne suédoise (N-VA, MR, CD&V, Open VLD) avec le CDH et la SP.A. Le CDH choisit désormais de quitter l’opposition à laquelle il se disait voué. Le SP.A confie ne pas être marié avec le PS. Cela tangue au sein des troupes de Magnette…

Qui plus est, le moment est crucial : non seulement la crise du coronavirus se prolonge, mais des perspectives de relance socio-économique s’ouvrent, avec l’appui du gigantesque plan de 750 milliards d’euros adopté au niveau européen. Difficile pour un parti soucieux de relâcher l’austérité budgétaire de passer à côté de telle aubaine. Pour en bénéficier, la Belgique devra en outre adopter un plan de relance adopté par toutes les entités fédérées.

Les voix de Bodson et Daerden

Alors? Les dernières barrières tombent en interne. L’Action commune – Jean-Pascal Labille (Solidaris) et désormais Thierry Bodson (FGTB), qui a remplacé Robert Vertenueil « coupable » d’avoir parlé sans mandat avec Georges-Louis Bouchez – donne son feu vert. Dans les médias, le message est clair: tant que l’on ne détricote pas la sécurité sociale fédérale ou, autrement dit, que la solidarité financière Nord-Sud n’est pas compromise.

Lors du bureau du PS décisif du 13 juillet, souligne BX1, la voix de Frédéric Daerden, ministre francophone du Budget, s’avère décisive, lui qui était resté discret jusque-là? Faut-il dire qu’il détient les cordons la bourse de la Fédération Wallonie-Bruxeles, bien mal en point. Le lendemain, jour de la fête national française, Paul Magnette lance sur LN24 que « seul le contenu compte » et qu’il est possible de parler avec la N-VA.

Le dialogue est noué entre les deux plus grands partis du pays, salué jusqu’aux « rois mages » toujours en piste, et le palais royal prend rapidement au mot cette possibilité inédite.

Le dernier mot aux militants

En interne, révèle toutefois Le Soir, rien n’est définitivement acquis : des militants ont écrit au président pour lui demander d’avoir le dernier mot. Sur le mode suivant: « Une décision aussi critique ne peut être prise sans l’accord de la base. » Un vote au suffrage universel des membres est demandé.

Les mises en garde reviennent, d’ailleurs. Ce mercredi, Thierry Bodson (FGTB) adopte dans L’Avenir un ton moins mesuré à la vue du menu institutionnel qui se trouverait sur la table: « La sécu doit rester fédérale, nous sommes contre toute réforme institutionnelle. Je suis régionaliste ok. Mais ici, c’est non. S’il y a une nouvelle réforme, on va toucher à l’os. On sait très bien où veut aller la N-VA. » Il est notmment question, selon plusieurs sources, de régionaliser la gestion opérationnelle des soins de santé, tandis que les normes et le lien de solidarité financier resteraient fédéral.

Il reste en outre à convaincre des partenaires pour avoir un gouvernement fédéral majoritaire, tout en conservant les promesses institutionnelles concédées à la N-VA.

Le duo De Wever – Magnette revoit les écologistes ce mercredi et doit les convaincre de leurs accents verts, tout en démentant que leur approche institutionnelle soit une « antichambre du confédéralisme » comme affirment les coprésidents Ecolo. Pas simple. Et par tradition, on sait que les assemblées générales de participation écologiste ne sont jamais une sinécure. Plus tard,De Wever et Magnette devraient rencontrer à nouveau les libéraux qui se disent, avec des messages répétés, « unis comme jamais », MR et Open VLD.

Paul Magnette n’a jamais exclu un gouvernement fédéral « minoritaire ». Mais s’aller avec la N-VA en étant ultra-minoritaire du côté francophone serait difficile à avaler. Voilà pourquoi la présence du MR ne serait pas négligeable, en dépit de l’irritation causée par son président, Georges-Louis Bouchez. Voilà pourquoi la piste écologiste serait encore plus souhaitable : cela permettrait d’éviter les critiques d’un rival proche (et, accessoirement, cela donnerait peut-être la possibilité de changer les majorités en Wallonie et en Fédération, en remplaçant le MR par le CDH).

Pour tout cela, le chemin du PS est encore long. Faites vos jeux, rien n’est fait…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire