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Changement d’heure: l’Europe remettra-t-elle les pendules à l’heure? (infographies)

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Retour à l’heure d’été ce week-end. Un rituel saisonnier très contesté. Le Parlement européen avait approuvé la fin du changement d’heure pour 2021, mais le projet est au point mort. Pourquoi est-ce si compliqué d’abolir le système? Sera-t-il supprimé l’an prochain?

« Rapprocher l’Europe de ses citoyens. » Ce leitmotiv reste une priorité des dirigeants de l’Union. Mais l’objectif n’est pas toujours atteint, à voir leur incapacité à remettre les pendules européennes à l’heure. Dans presque tous les Etats membres, les citoyens sont favorables à la suppression du changement d’heure semestriel. C’est ce qui ressort d’une consultation en ligne organisée en juillet-août 2018 par la Commission européenne. Elle a reçu plus de 4,6 millions de réponses, un record absolu pour un exercice de ce genre. Les résultats sont sans appel: 84% des Européens réclament l’abandon du système actuel. « Les citoyens veulent cela, nous allons le faire », a promis Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission.

Ces six prochains mois, la Belgique se retrouve une nouvelle fois en décalage de deux heures par rapport à son fuseau horaire, celui du méridien de Greenwich.

En mars 2019, le Parlement européen a approuvé, à 410 voix contre 192, la fin du rituel saisonnier pour 2021. Mais la directive n’est pas encore adoptée. Les discussions se sont poursuivies au Conseil jusqu’en décembre 2019, sans résultat. Du coup, la règle du changement d’heure, vieille de quarante-quatre ans en Belgique, reste en vigueur. Une fois de plus, nous devrons, ce week-end, passer à l’heure d’été – donc « perdre » une heure de sommeil dans la nuit du samedi 27 au dimanche 28 mars – et, le dernier dimanche d’octobre, revenir à l’heure d’hiver.

Système contesté, bénéfice controversé

Le passage à l’heure d’été a été instauré en Europe à la suite du choc pétrolier des années 1973-1974. L’idée était de réduire le temps d’éclairage artificiel en soirée pour faire des économies d’énergie. Conséquence: de la fin mars à la fin octobre, la Belgique se retrouve, comme les Pays-Bas, le Luxembourg, la France et l’Espagne, en décalage de deux heures par rapport à son fuseau horaire, celui du méridien de Greenwich, dit Temps universel coordonné (UTC). Dans un premier temps, chaque pays a fixé sa propre date de changement d’heure, ce qui a compliqué la circulation des personnes, des biens et des services dans l’Union. Une harmonisation s’imposait. Depuis 2002, une directive européenne assure l’homogénéité des dates.

Plus de 140 nations dans le monde ont mis en oeuvre à un moment donné le changement d’heure bisannuel, mais elles ne sont plus qu’une soixantaine à l’appliquer. Des pays voisins et des partenaires commerciaux de l’Union n’y ont plus recours, notamment la Chine dès 1992, la Russie en 2011, la Turquie en 2016, le Brésil en 2019. En Europe, le système est de plus en plus contesté et son bénéfice controversé. Le gain en énergie serait marginal et s’est encore réduit avec la généralisation de l’éclairage à basse consommation. Les opposants soulignent aussi une hausse du nombre d’accidents de la route en fin de journée lors du retour à l’heure d’hiver (pic observé en Belgique et en France). Ils affectent surtout les piétons. Des rapports médicaux constatent l’effet du changement d’heure sur les rythmes biologiques avec, à la clé, des troubles du sommeil et la consommation de somnifères. « A ces aspects qui touchent à la santé, l’économie et la sécurité routière s’ajoute l’argument démocratique, relève l’eurodéputée du groupe des Verts Karima Delli, à l’origine de la résolution pour abolir le changement d’heure: la plupart des Européens ne veulent plus du système, selon l’enquête d’opinion de la Commission. Des pétitions allant dans le même sens ont circulé dans plusieurs pays. »

« Le projet ne figure toujours pas à l’agenda du Conseil », déplore l’eurodéputée du groupe des Verts Karima Delli, à l’origine de la résolution pour abolir le changement d’heure.© MARC DOSSMANN

La réforme bloquée au niveau du Conseil

L’analyse pays par pays de la consultation européenne révèle que les plus remontés contre l’alternance entre l’heure d’hiver et l’heure d’été sont les Polonais, les Finlandais et les Espagnols. Les avis sont nettement plus partagés en Grèce, à Chypre et à Malte. Les Belges se situent quasiment au niveau de la moyenne européenne: 83% se déclarent pour la suppression, un pourcentage confirmé par les résultats d’un sondage national réalisé en 2019 par la chancellerie du Premier ministre de l’époque, Charles Michel. La question de la disparition du changement d’heure est une priorité pour les Allemands (ils constituaient plus des deux tiers des participants à la consultation européenne), mais pas pour le gouvernement italien.

Faute de coordination entre Etats membres, et surtout entre pays limitrophes, la réforme provoquerait la pagaille en Europe.

Présenté par la Commission et adopté par les eurodéputés, le projet de directive prévoyant l’abolition du changement d’heure en 2021 s’est retrouvé au Conseil, qui devait le valider. « Tout est bloqué à ce niveau, s’indigne Karima Delli. Le texte ne figure toujours pas à l’agenda. Chaque Etat membre aurait dû choisir, au plus tard en avril 2020, quelle heure permanente il souhaite adopter. Ce délai a été repoussé en raison de la crise sanitaire. Aujourd’hui, les priorités sont ailleurs: la campagne de vaccination, l’économie, le défi climatique. »

Sans consulter leurs voisins

Les pays sont libres de décider s’ils souhaitent se caler sur l’heure d’hiver ou l’heure d’été. La Commission leur recommande néanmoins de se concerter pour éviter un patchwork d’heures différentes au sein de l’Union, étalée déjà sur trois fuseaux horaires. Faute d’harmonisation, il y aurait des perturbations dans les transports, les systèmes d’information, et des surcoûts pour le commerce transfrontalier.

Souci: des Etats membres se positionnent sans consulter les pays limitrophes, ce qui risque de provoquer pagaille et incohérences. « L’Allemagne s’est prononcée pour l’heure d’été permanente, alors que ses voisins danois, néerlandais et tchèques plébiscitent l’heure d’hiver », remarque l’eurodéputée. S’ajoute à ce manque de coordination le poids de l’histoire: l’Estonie refuse de s’aligner sur le même créneau horaire que la Russie (UTC+2). Madrid ne veut plus vivre au rythme de Berlin, un héritage franquiste qui remonte à 1940: l’Espagne songe à revenir à l’heure de Greenwich, le fuseau horaire de son voisin le Portugal. Les Finlandais, qui veulent l’heure d’hiver toute l’année, quitteraient le fuseau des pays Baltes et se retrouveraient à la même heure que leurs voisins suédois (UTC+1) qui, eux, sont pour l’heure d’été.

Dix-huit mois pour s’organiser

En Belgique, l’opinion est partagée sur l’heure à conserver toute l’année. Selon l’enquête nationale menée en 2019, 50% des répondants préfèrent l’heure d’hiver permanente – régime qui était celui du pays avant 1977 -, pour 45% de Belges favorables à l’heure d’été (voir aussi les résultats de notre sondage ci-dessous). Charles Michel avait prévenu que le pays opterait pour une solution coordonnée avec les Pays-Bas et le Luxembourg. En France, un sondage de 2019 auquel ont répondu deux millions de personnes indique que 59% des consultés sont pour l’heure d’été permanente. « Il serait aberrant que les voyageurs et transfrontaliers soient contraints de changer d’heure à chaque passage de la frontière franco-belge », convient l’eurodéputée.

Un déblocage du dossier en 2022? « Le service juridique du Conseil a renvoyé de facto la proposition de la Commission aux calendes grecques, prévient Karima Delli. Il l’a jugée insuffisamment motivée par manque d’études d’impact sur les conséquences du changement d’heure. Le texte est au point mort. Si les Etats membres finissent par coordonner leurs pendules, il faudra ensuite laisser dix-huit mois à chacun pour s’organiser, en particulier les opérateurs aériens et ferroviaires. »

68% des Belges pour la fin du changement d’heure

A quelques jours du passage à l’heure d’été, Le Vif a réalisé une enquête en ligne sur le changement d’heure. Du 3 au 9 mars, 4 928 personnes y ont participé, dont 3 343 francophones et 1 885 néerlandophones (parmi les répondants, 53% de femmes et 47% d’hommes). Premier constat: plus de deux tiers des sondés (68%) se disent favorables à la suppression du système actuel. Le rejet du changement d’heure semestriel est plus marqué chez les francophones (71% d’opposants), les femmes (70%) et les plus de 65 ans (72%) que chez les Flamands (63%), les hommes (66%) et moins de 35 ans (48%).

Les personnes favorables à la suppression du changement d’heure avancent les raisons suivantes: elles « ne voient pas la plus-value » du système (69%) ; il « perturbe l’horloge biologique » (66%) et « le rythme du sommeil » (58%) ; et elles doutent que cela permette « d’économiser de l’énergie » (59%). Un répondant sur dix estime être « fortement gêné » par le changement d’heure saisonnier.

Les Belges sont partagés sur l’horaire à adopter en cas de suppression du changement d’heure. Ils sont 41% à vouloir l’heure d’hiver permanente, contre 39,5% à réclamer l’heure d’été toute l’année (19,5% sans préférence). L’heure d’hiver séduit plus les néerlandophones (44%) et les plus de 65 ans (44%) que les francophones (39%) et les jeunes (24% des moins de 35 ans). Ses défenseurs relèvent qu’elle correspond mieux au cycle solaire naturel ou que l’heure d’été en hiver contraindrait les enfants à se rendre à l’école de nuit. Les partisans de l’heure d’été, eux, mettent en avant la clarté prolongée des soirées estivales.

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