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Pourquoi le monde ignore les attaques de Boko Haram

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Le 7 janvier dernier, la France vivait les pires attentats terroristes depuis 50 ans. Au même moment, au Nigeria, 2000 personnes étaient massacrées par le groupe islamiste armé Boko Haram. Deux évènements tragiques, deux traitements de l’information.

Le 7 janvier dernier, 17 personnes sont mortes dans des attentats perpétrés par des terroristes à Paris. 3,7 millions de personnes sont descendues dans les rues de l’Hexagone le dimanche qui a suivi dans un grand élan de solidarité envers les victimes. Les journaux du monde entier couvrant les événements à force d’éditions spéciales et de flash infos, les réseaux sociaux saturant du hashtag désormais international « Je suis Charlie ».

Au même moment, au Nigeria, on apprenait la mort de plus de 2 000 personnes suite à une attaque du groupe islamiste armé Boko Haram dans le Nord-Est du pays. En quelques jours, les islamistes « ont entièrement brûlé 16 villes et villages dont Baga » apprenait-on d’un responsable administratif de cette zone de l’État de Borno. Pour Amnesty International, cette attaque semble être « la plus meurtrière à ce jour d’une série d’actions de plus en plus haineuses menées par le groupe« . Pourtant, dans les médias, peu d’informations filtrent quant à l’ampleur du massacre. Certaines voix se demandent pourquoi le monde ne s’intéresse pas au sort de ces Nigérians. Des journalistes collaborant à des médias africains nous donnent quelques éléments de réponse.

Il est tout d’abord difficile de se rendre sur place. Les journalistes présents dans la région sont très isolés et luttent pour avoir accès à l’internet et d’autres moyens de communication. Les attaques du groupe islamiste ont mis à mal les moyens de communication ce qui empêche l’information d’être transmise et des photos d’être diffusées, explique Maeve Shearlaw dans un article du Guardian.

La vieille formule journalistique du « mort au kilomètre » prévaut également. Elle implique que l’on s’intéresse davantage à ce qu’il se passe dans une rédaction parisienne – et à fortiori pour des journalistes – que dans une région reculée du fin fond de l’Afrique située à des milliers de kilomètres. Baga est, de surcroit, une région peu attrayante: aucune production de pétrole, aucune activité commerciale ne la font vivre, commente Yemisi Adegoke. Journaliste pour The Independent, elle s’interroge : « si ces attaques avaient eu lieu dans le hub pétrolier de Port Harcourt ou dans le centre du commerce à Lagos, elles auraient peut-être eu plus de retentissements ?« .

Non seulement les médias occidentaux ont très peu parlé de ces actes, mais la couverture médiatique était presque inexistence en Afrique même. L’Etat essaie semble-t-il d’étouffer l’affaire. « Aucun leader n’a condamné les attaques, aucun mouvement de solidarité n’a émergé ». Le journaliste Simon Allison ajoute de son côté dans le Daily Maverick: « L’indignation et le soutien africain après le massacre de Paris, sont la preuve que nous-mêmes africains négligeons les tragédies qui nous affectent et donnons la priorité aux vies des occidentaux plutôt qu’aux nôtres ».

« Capables de souffrir et de sourire en même temps »

Silence donc du côté politique. Si le président nigérian, Goodluck Jonathan, a présenté ses condoléances pour les victimes parisiennes, il n’a toutefois rien dit concernant les attaques de Baga, ne s’exprimant à ce sujet qu’une semaine plus tard. C’est que les élections sont proches (elles auront lieu le 14 février prochain). Un analyste des médias, Ethan Zuckerman, avance que le président « affiche une méfiance compréhensible au sujet de Boko Haram, vu que cela rappelle à ses électeurs que le conflit est né sous sa législature et qu’il n’a pas été capable de maitriser le groupe de terroristes ». Face à l’opposition qui pointe son incapacité à gérer le pays, le président prétend que les statistiques sur les victimes du massacre ont été gonflées en vue de nuire à sa campagne.

La journaliste du Independent explique aussi qu’aucune stratégie n’est mise en oeuvre par les autorités pour combattre les insurgés. « L’armée est en crise. Les soldats se plaignent de la corruption flagrante dans leurs rangs, du manque de morale, de leur mauvais équipement… » Elle donne aussi une piste pour comprendre le sort des Nigérians, piégés dans un quotidien où la violence est omniprésente. « Les Nigérians sont connus pour leur perte de mémoire collective, ils sont capables de souffrir et de sourire en même temps ».

Lueur d’espoir toutefois sur les réseaux sociaux. Le hashtag #BagaTogether est apparu sur Twitter en écho au hashtag #bringbackourgirls lancé pour demander la libération des 200 écolières kidnappées par Boko Haram en avril dernier. Des internautes utilisent aussi #weareallbaga et #pray4baga en solidarité avec la région touchée, mais aussi pour demander qu’on arrête de pinailler sur le nombre officiel de morts. « I am Charlie, but I am Baga too, » écrit de son côté Simon Allison dans le Daily Maverick. « « Il y a massacres et massacres » dit-il, arguant de la sorte: « Même au 21e siècle, les vies Africaines ont un moindre intérêt médiatique. Elles sont, par conséquent, moins valorisées que celles des Occidentaux. »

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