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Liège : le massacre aurait pu être évité

Récrire l’histoire est un peu vain. Le coup de folie existe. Pourtant, si la loi avait été appliquée plus sévèrement, Nordine Amrani n’aurait pas eu les coudées franches.

Le 13 novembre 2011, le parquet de Liège enregistrait la plainte contre X d’une jeune femme victime d’attouchements. Grâce au relevé de sa plaque d’immatriculation, la police locale remontait alors jusqu’à Nordine Amrani, 33 ans, un individu en libération conditionnelle, condamné à quarante-deux mois de prison pour outrage à agent, viol et stupéfiants. La victime le reconnaît sur écran. Le 13 décembre, à 13h30, le suspect devait se rendre au commissariat de police. A cette heure-là, hélas, il avait déjà ouvert le feu sur la place Saint-Lambert, causant six morts et des dizaines de blessés, puis se suicidant. Il ne supportait pas l’idée de retourner en prison. La veille, son avocat avait tenté de le rassurer. C’était une convocation de routine, rien à craindre…

Et pourtant. La loi sur la libération conditionnelle est très claire. Elle donnait au parquet de Liège le moyen de remettre Amrani en prison dès sa nouvelle infraction connue. Justice expéditive ? Amrani n’était pas un justiciable comme un autre. C’était un libéré conditionnel, virtuellement en prison jusqu’à la fin de son délai d’épreuve de deux ans. Selon toute vraisemblance, il venait de commettre une nouvelle infraction, dans la gamme de celles pour lesquelles il avait été condamné (viol). Le parquet de Liège aurait pu faire arrêter Amrani pendant sept jours, le déférer au tribunal d’application des peines (TAP) et demander la suspension pour un mois, puis la révocation de sa libération conditionnelle. Il aurait pu aussi « mixer » cette procédure exceptionnelle avec la procédure commune. Il a opté exclusivement pour la procédure des présumées honnêtes gens. « Il n’y avait aucune raison de l’arrêter, explique au Vif/L’Express la procureure du roi de Liège, Danièle Reynders. Ce n’était pas un flagrant délit. Il n’avait pas encore été entendu. L’enquête venait de démarrer. Il bénéficiait de la présomption d’innocence. On ne révoque la libération conditionnelle qu’en cas d’atteinte grave à l’intégrité physique. La jurisprudence du tribunal d’application des peines de Liège est de ne révoquer qu’après une décision définitive de justice ». Soit, si on suit le raisonnement pour un viol, première instance et degré d’appel compris, trois ou quatre ans d’indulgence.

La question va assurément faire débat. Ce n’est pas la seule. La police et le parquet de Liège ont-ils effectué des contrôles effectifs sur le libéré conditionnel ? Le 8 octobre 2010, le TAP de Bruxelles, composé d’un magistrat et de deux membres de la société civile, ordonnait la libération conditionnelle de Nordine Amrani. Celui-ci ayant introduit sa demande de la prison d’Andenne, il dépendait de Bruxelles. Le tribunal d’application des peines axe ses conditions sur l’alcool et les stupéfiants : ne pas en prendre, se soumettre aux prélèvements nécessaires pour objectiver cette abstinence, ne pas fréquenter le milieu « toxicophile ». Et, cela va de soi, ne pas commettre d’infraction, avoir une adresse fixe, ne pas fréquenter d’ex-détenus ou comparses.

Le TAP n’exige rien en rapport avec la fascination de Nordine pour les armes. Ce dernier a été acquitté par la cour d’appel de Liège, en 2009, du chef de détention illégale d’armes et pratique de l’armurerie (il remontait des armes avec des pièces détachées). Mais tout son passé, y compris cette problématique, est contenu dans le dossier transmis par le TAP, le 25 octobre 2010, à la maison de justice de Liège. Le parquet de Bruxelles a fait suivre les mêmes données au parquet de Liège, où Amrani est domicilié.

Si la maison de justice de Liège s’est bien acquittée du suivi psycho-social du délinquant, la police locale n’a pas exécuté les contrôles plus « durs » qui lui incombaient. En effet, elle aurait dû soumettre Amrani à un contrôle toxicologique, une des conditions de sa libération. Le policier de quartier aurait dû aussi garder un oeil sur l’ex-détenu, ses fréquentations et le hangar de la rue Bonne Nouvelle où la plantation de cannabis et un arsenal illégal avaient été découverts en 2007. Après la tuerie du 13 décembre, des voisins ont déclaré qu’Amrani travaillait dans ce hangar comme « soudeur ». Il était déjà sorti du « cadre » de sa libération conditionnelle… Encore aurait-il fallu le savoir. En dehors de ses rendez-vous avec l’assistante de justice (qui ne révélaient rien de suspect) et sa fréquentation régulière (sauf la dernière semaine) du centre de formation Technifutur, Amrani était en roue libre.

La police locale de Liège se retranche derrière le parquet. « Ce n’est pas aux policiers de faire des prélèvements d’urine, réagit la procureure du roi de Liège. Amrani répétait qu’il ne buvait ni ne prenait de produits illicites. L’entretien avec l’assistante de justice suffisait à attester qu’il respectait cette condition. Si l’assistante de justice n’en était pas convaincue, elle pouvait nous demander de l’aide. » Un spécialiste des tribunaux d’application des peines nuance: « Les assistantes de justice travaillent avec le TAP. Elles doivent bâtir une relation de confiance avec les libérés conditionnels. On sait que la plupart de ceux-ci sont de grands manipulateurs. Il appartient donc à la police d’occuper le terrain de façon autonome et indépendante selon l’article 20 de la loi sur la fonction de police. La police devait s’assurer que les conditions de libération d’Amrani étaient respectées. Mais, il faut bien le reconnaître, dans les grandes villes, cette surveillance n’est plus une priorité, comme l’a dit un policier de Charleroi dans un Question à la Une de la RTBF. »

Marie-Cécile Royen

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