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Interdire la FGTB en tant que groupe radical ?

Et si un jour la FGTB, qui promeut une « transformation totale de la société », était interdite par le Gouvernement belge ? Ce scénario-catastrophe semble ahurissant ; c’est pourtant une des conséquences possibles de la future loi contre le radicalisme.

Quel rapport entre Sharia4Belgium, le groupuscule islamiste, et la FGTB, le puissant syndicat de gauche ? A priori, aucun. Sauf qu’ils pourraient tomber tous les deux dans la définition d’un « groupement radical » selon la loi en préparation contre le radicalisme.

Cette loi vise à réactiver la législation sur les milices privées, qui date de 1934 et qui s’est surtout signalée jusqu’ici par une remarquable inefficacité : trois condamnations en 78 ans. C’est pourtant cette législation caduque qui a été retenue comme le véhicule juridique le plus opportun pour lancer une offensive éclair contre le radicalisme. En deux mois, de juin à juillet, six amendements, seize auditions d’experts et cinq réunions de commission ont été consacrés à trouver un moyen d’interdire Sharia4Belgium.

Pourquoi cet empressement ? L’énergie du législateur répond ici aux provocations du leader de Sharia4Belgium, Fouad Belkacem : en juin dernier il avait pris la défense d’une jeune femme en niqab qui avait refusé de se soumettre à un contrôle d’identité à Molenbeek. « Levez-vous et défendez l’honneur des musulmans », avait appelé Fouad Belkacem dans une vidéo qui avait toutes les apparences d’un encouragement à la violence. Fouad Belkacem, déjà sous le coup d’une condamnation pour incitation à la discrimination, avait été prié de réintégrer sa cellule ; il est dans l’attente d’un nouveau procès où la récidive ne manquera pas d’être invoquée par le parquet.

Il a donc été prestement mis hors d’état de nuire, preuve que le système fonctionne, mais cela n’a pas suffi aux yeux du pouvoir politique, bien décidé à « envoyer un message fort » : une nouvelle loi. « Ces propos hallucinants ne resteront pas sans suite », avait promis la ministre de l’Intérieur Joëlle Milquet. La suite, la voici donc : un Frankenstein juridique.

En effet, les députés se sont vite heurtés à la difficulté de cerner une notion aussi floue que le « radicalisme ». Une circulaire ministérielle de 2007 instaurant un « plan R » (Plan Radicalisme) le définit comme « l’influence sur un individu ou sur un groupe de sorte qu’il soit mentalement prêt à commettre des actes extrémistes ou violents ». Quand on pense que cette définition permet à la Sûreté de l’Etat d’enquêter sur des citoyens, on n’aimerait pas être dans la peau d’un syndicaliste haranguant les foules avec un peu trop de conviction.

Face à l’obstacle, les députés ont opté pour un mélange hybride de la loi anti-discrimination, de la loi sur le terrorisme (déjà critiquée pour son imprécision) et, bien sûr, de la loi désuète sur les milices privées. Ce n’est pas tout : pénalement, ils n’ont pas hésité à charger la barque, après tout la démocratie était en danger. Ainsi un amendement prévoit de suspendre jusqu’à vingt ans le droit à s’associer librement des personnes condamnées. Vingt ans ! Un droit garanti par la Constitution ! Et comment le législateur justifie cette peine exorbitante ? Par la nécessité de combattre ceux qui « attisent la rancoeur à l’égard de l’Etat de droit ». Le PTB, qui a fait toute sa campagne de 2010 sur l’assimilation du parlement à un « cirque », a-t-il « attisé la rancoeur » à l’égard du pouvoir législatif ? Impossible à dire mais dans le doute il aura intérêt à revoir ses fondamentaux si la loi passe…

Il y a plus interpellant encore : un des derniers amendements, fort discuté il est vrai, permettrait au Gouvernement de dissoudre un « groupement non démocratique » sans passer par une décision de justice. Evaporée, la séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire : désormais les ministres pourraient appliquer directement la loi. On se croirait presque dans la Hongrie de Viktor Orban.

Bien sûr ces menaces sur la liberté d’expression et d’association ne sont pas passées inaperçues. Au cours des auditions, de nombreux experts consultés, juristes, philosophes, acteurs de terrain, ont mis en garde contre ces dérives. La ministre de l’Intérieur Joëlle Milquet, qui a confirmé à la rentrée le renforcement de la lutte contre le radicalisme, a balayé ces avertissements d’un revers de la main : « Arrêtons de rire avec les dangers liberticides ». Des droits constitutionnels suspendus, des incriminations floues, des partis assimilés à des milices privées ? Arrêtons de rire.

Les associations un peu « activistes », elles, ne rient pas. L’arme de destruction massive concoctée par le parlement, on l’a vu, les concerne de près. Prenons les syndicats. Prenons, tiens, la FGTB. L’article premier de ses statuts postule une « transformation totale de la société ». Certes, la FGTB n’a aucune tradition, ni aucune volonté d’inciter à la haine ou à la discrimination, mais qui sait si, dans cinq ans, dans dix ans, des manifestations ne pourraient être interprétées comme un projet « d’inciter à l’action contre les valeurs fondamentales de l’Etat » ? Un fantasme ? Pas du tout. Lors des débats parlementaires, à la question de savoir si Greenpeace pourrait un jour être poursuivi en tant qu’organisation radicale, aucun expert n’a pu répondre formellement que ce ne serait pas possible…

« Le peuple n’a-t-il pas parfois le droit de se rebeller ? » s’est interrogé le socialiste Rachid Madrane. Ce n’est pas Alain Winants, administrateur général de la Sûreté de l’Etat, qui va le rassurer à cet égard : « Les mouvements d’extrême gauche et anarchistes étaient initialement non violents mais ont désormais de plus en plus recours à la violence et il y a un risque que cela augmente avec la crise financière », a-t-il expliqué à la Commission de l’Intérieur.

La crise, nous y voilà. Le mouvement des Indignés, qui prône « la résistance à l’austérité par des actions », pourrait-il être interdit par un juge qui applique la lettre de la loi ? Tout l’enjeu du débat est là.

Diederick Legrain

Etes-vous un terroriste ?
Ce n’est pas la première fois qu’une obsession sécuritaire aveugle le législateur belge au point de lui faire perdre la mesure. La loi de 1999 sur les organisations criminelles, et celle de 2005 sur le terrorisme, ont aussi échoué à définir clairement l’infraction, malgré des avertissements répétés du Conseil d’Etat et de la société civile.

L’organisation criminelle. Ici le flou est tellement absolu (que signifie « obtenir des avantages patrimoniaux en utilisant la menace » ?) que le législateur a cru bon d’exclure « toute association qui poursuit un but exclusivement légitime ». Le Conseil d’Etat a qualifié cet ajout de « truisme qui n’a pas sa place dans le Code pénal », mais le mal était fait. Quatre altermondialistes liégeois ont été mis sur écoute et poursuivis en 2001 sur base de cette loi. Ce n’est qu’en 2009 qu’ils ont été pleinement reconnus dans leurs droits. Le terrorisme. Depuis 2005, une infraction qui a pour but de « porter gravement atteinte » aux structures économiques ou sociales d’un pays, est désormais qualifiée de terroriste. En 2008, quatre militants belges du Secours Rouge, dont une journaliste de la RTBf, ont été arrêtés et poursuivis sur cette base. Il a fallu quatre ans pour qu’un juge reconnaisse que « la seule sympathie pour une organisation dont l’une des tâches serait liée à la lutte armée » n’est pas suffisante pour les incriminer de terrorisme, et prononce un non-lieu.

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