Le retour des tests de féminité imposés aux sportives en 10 questions

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Au nom de l’équité dans les compétitions sportives féminines, certaines fédérations internationales recourent à des tests de féminité. Que d’aucuns, sportifs ou scientifiques, contestent.

Elle est devenue le porte-drapeau de ce combat pour le droit des sportives de haut niveau à exploiter leur corps, quelles que soient leurs particularités, sur les terrains de compétition. Mais l’athlète sud-africaine Caster Semenya, multiple médaillée du 800 mètres, n’est pas au bout de ses peines. Interdite de concourir depuis 2018, au motif qu’elle présente un taux de testostérone naturelle trop élevé lié à une hyperandrogénie mais aussi un génotype XY (le génotype masculin), elle vient d’obtenir partiellement gain de cause devant la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a estimé qu’elle n’avait pas eu droit à un procès équitable devant le Tribunal fédéral suisse saisi antérieurement par la sportive pour contester la décision d’interdiction du Tribunal arbitral du sport. La Cour ne s’est toutefois pas prononcée sur la discrimination dont l’athlète, âgée aujourd’hui de 34 ans, aurait fait l’objet.

Au centre des débats, cette insoluble question: à quels critères doit-on répondre pour être considérée comme une femme et pouvoir, à ce titre, participer à des compétitions réservées aux sportives? Les athlètes de haut niveau en compétition en athlétisme, en boxe et en natation sont désormais tenues de se soumettre à un test de féminité. Objectif: prouver qu’elles sont bien des femmes, c’est-à-dire que leur organisme, s’il présente des particularités éventuelles, ne les avantage pas pour autant par rapport à leurs rivales, au point de tronquer la compétition. Aucun test comparable n’est imposé aux sportifs masculins. Rappel des faits, en dix questions.

1. De quand date le test de féminité?

Déjà lors des Jeux olympiques organisés dans la Grèce antique, les athlètes couraient nus pour lever tout doute sur leur appartenance sexuelle. Le même procédé de vérification visuelle s’appliquait dans les années 1930, lorsque les femmes ont commencé à être admises dans les grandes compétitions sportives –elles représentaient moins de 5% des athlètes aux JO de Paris, en 1924. Toute femme jugée trop musclée ou dépourvue de poitrine devait se présenter nue devant un jury qui lui délivrait ou non un certificat de féminité.

A partir de 1936, d’autres tests de féminité sont réalisés, d’abord gynécologiques, puis chromosomiques et enfin génétiques. Ces examens révèlent parfois que certaines sportives présentent naturellement un profil chromosomique atypique. Ce qui leur vaut d’être exclues de la compétition. En 1966, la Fédération internationale d’athlétisme instaure un test de féminité, anatomique et gynécologique. «On mesurait la force de l’athlète en lui demandant de presser une sorte de poire et on mesurait son souffle à l’aide d’un spiromètre», détaillait Anaïs Bohuon, professeure en sociologie et histoire du sport à la Faculté des Sciences du Sport de l’Université Paris-Saclay, sur les ondes de France Inter en mai 2024.

D’autres protocoles, chromosomiques, considérés comme moins intrusifs, sont mis en place en 1968, lors des Jeux olympiques de Mexico. «Cette mesure s’inscrivait aussi dans le contexte géopolitique de l’époque, souligne Anaïs Bohuon. En pleine Guerre froide, les performances des athlètes du bloc soviétique étaient jugées trop hors normes pour avoir été réalisées par des femmes

Mais au fil des années, ces tests chromosomiques, qui visent à identifier un second chromosome X ou le chromosome «masculin» Y, montrent leurs limites. Dans le monde scientifique et médical, des voix s’élèvent pour rappeler que la présence d’un chromosome Y n’entraîne pas nécessairement le développement d’attributs «masculins» permettant d’avoir plus de masse musculaire et de force, au détriment des autres concurrentes. Confronté à toutes ces controverses, le CIO (Comité international olympique) y met un terme en 1999.

2. Où en est-on en 2025?

Depuis le début des années 2000, d’autres cas considérés comme problématiques dans les compétitions féminines se sont produits. En 2014, la sprinteuse indienne Dutee Chand, au taux de testostérone trop élevé, est interdite de compétition. Refusant de suivre un traitement hormonal, elle obtient gain de cause devant le Tribunal arbitral du sport qui demande à la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) de fournir les «preuves scientifiques» qu’un tel profil constitue bien un avantage pour elle en termes de performance. Dutee Chand a porté l’affaire devant le Tribunal arbitral du sport. Elle a été réintégrée et les règles mondiales en matière de tests de féminité pour les coureuses ont été temporairement supprimées.

Eclate ensuite l’affaire Caster Semenya. A la mi-2010, elle a été autorisée à courir à nouveau, après onze mois d’interdiction, à condition de suivre un traitement médical qui réduirait son taux de testostérone sous les dix nanomoles/litre. Sinon? Elle n’aura qu’à concourir parmi les hommes. En règle générale, les femmes affichent une concentration de testostérone dans leur sang comprise entre 0,4 et deux nanomoles par litre. Chez les hommes, cette proportion grimpe entre 8,8 et 30,9 nanomoles par litre. Caster Semenya a refusé de suivre ce traitement qui cible les androgènes, c’est-à-dire toutes les hormones mâles, dont la testostérone

«Dans les années 1930, toute femme jugée trop musclée ou dépourvue de poitrine devait se présenter nue devant un jury qui lui délivrait ou non un certificat de féminité.»

«Toute tentative de modifier les niveaux d’hormones d’un athlète constituerait une violation de l’éthique», a lancé le Dr Selaelo Mametja, au nom du World Medical Association, en appelant les médecins à ne pas délivrer d’hormones à des sportives. En avril 2018, l’IAAF abaisse le seuil du taux de testostérone accepté chez les femmes à cinq nmol/litre si elles souhaitent participer aux épreuves internationales du 400 m au mile (1.609 m).

En 2022, c’est la nageuse américaine transgenre Lia Thomas qui fait la Une: d’aucuns estiment qu’elle tire un inéquitable profit de son passé de sportif masculin.

Un an plus tard, les boxeuses algérienne Imane Khelif et taïwanaise Lin Yu-ting, soupçonnées d’être porteuses de chromosomes XY, ne peuvent participer au championnat du monde de boxe amateur. Le Comité international olympique leur a toutefois permis de participer aux Jeux olympiques de Paris, les estimant victimes d’une «décision soudaine et arbitraire» de la fédération internationale. Médaillées d’or toutes les deux à Paris, elles ne seront pas au championnat du monde qui se tient actuellement et jusqu’au 14 septembre à Liverpool: la première a refusé de se soumettre au test de féminité; la seconde y a consenti mais n’a pas été retenue.

3. Les tests de féminité sont donc à nouveau pratiqués?

Les fédérations internationales d’athlétisme (depuis ce 1er septembre), de natation et de boxe (depuis la fin du mois de mai) ont décidé de réintroduire les tests de féminité, sauf, en athlétisme, en cas d’insensibilité aux androgènes, de syndrome ovarien polykystique ou d’hyperplasie congénitale des surrénales. Ce règlement est en totale contradiction avec la charte du CIO qui plaide en faveur de l’équité, l’inclusion et la non-discrimination sur la base de l’identité sexuelle et de l’intersexuation.

4. En quoi consiste ce test?

Il s’agit d’un test par prélèvement buccal ou par prise de sang, qui ne doit être pratiqué qu’une seule fois dans la vie de l’athlète. Il consiste à détecter le gène SRY, qui atteste la présence, chez la sportive, du chromosome Y, responsable du développement de caractéristiques masculines. C’est essentiellement sur le taux de testostérone que se focalisent les examens médicaux.  L’athlète est autorisée à concourir dans la catégorie féminine si ce test est négatif.

«Certaines femmes présentent des taux supérieurs à ceux des hommes.»

5. Qu’est-ce que la testostérone?

C’est une hormone mâle, associée à la puissance et la force, que l’on trouve aussi chez les femmes mais en moindre quantité. La fourchette de 8,8 à 30,9 nanomoles par litre, observée chez les hommes, atteste que tous les sportifs ne sont pas sur un pied d’égalité en la matière. «Certaines femmes présentent des taux supérieurs à ceux des hommes», ajoutait la chercheuse Anaïs Bohuon sur les ondes de France Inter. Des particularités comme le syndrome ovarien polykystique ou l’hyperplasie congénitale des surrénales peuvent également expliquer la surproduction de testostérone chez des femmes.

6. Existe-t-il un consensus dans le monde scientifique pour corréler un taux de testostérone élevé et des performances sportives améliorées?

Non. Il manque des preuves scientifiques irréfutables de ce lien causal, en particulier pour la testostérone endogène, fabriquée naturellement. «Le fait que l’on manque de preuve de corrélation entre la testostérone endogène et le niveau de performance devrait plaider en faveur d’une présomption de non-avantage», estime la sociologue du sport Madeleine Pape, interrogée par Mediapart. Certaines études ont d’ailleurs démontré que 16,5% des hommes, athlètes de haut niveau, affichaient des taux de testostérone inférieurs à la moyenne masculine.

«Toute tentative de modifier les niveaux d’hormones d’un athlète constituerait une violation de l’éthique».

Andrew Sinclair, le scientifique australien qui a découvert le gène SRY en 1990, émet lui-même des doutes sur cette corrélation entre testostérone et performances. «La science ne corrobore pas cette affirmation trop simpliste, a-t-il affirmé dans le journal The Conversation. La détermination du sexe biologique est beaucoup plus complexe et les caractéristiques chromosomiques, gonadiques, hormonales et sexuelles secondaires jouent toutes un rôle», insiste-t-il, en rappelant l’existence de femmes considérées comme telles sur le plan biologique alors qu’elles portent les chromosomes XY. Des scientifiques ont même montré qu’il pouvait y avoir plus de différences de production de testostérone entre deux hommes qu’entre un homme et une femme.

7. Quelle est la position du Comité international olympique dans ce dossier?

Il n’adhère pas à la politique des tests de féminité. «Nous n’encourageons pas les tests sur la testostérone qui posent de nombreuses questions éthiques», ont ainsi expliqué Madeleine Pape, consultante auprès du CIO, et sa responsable des droits humains, Magali Martowicz. Et le porte-parole du CIO Mark Adams d’embrayer encore plus clairement: «Je n’ai pas besoin de dire que si nous commençons à agir sur la base de soupçons à l’encontre de chaque athlète, quel(le) qu’il ou elle soit, nous nous engageons sur une très mauvaise voie». Le CIO laisse pour l’instant aux fédérations internationales le soin de définir leurs propres critères d’accès aux compétitions.

8. Les fédérations internationales sportives se penchent-elles sur d’autres critères physiologiques qui pourraient fournir des avantages compétitifs à certains?

Non. Il est pourtant avéré, par exemple, que les grands pieds du nageur américain Michael Phelps –il chausse du 47– ainsi que sa faible production d’acide lactique lui procuraient d’indéniables avantages sur ses concurrents. «Les sportives et sportifs de haut niveau ont des capacités biologiques hors normes et celles-ci sont parfois innées, et indépendantes de leur sexe», martèle Anaïs Bohuon.

9. Qu’en pensent les athlètes?

La réintroduction de ces tests suscite au minimum un malaise chez les sportives de haut niveau, même si la majorité s’y plie pour pouvoir continuer à concourir. «Je ne suis pas convaincue par la justification donnée de protéger ainsi le sport féminin, a ainsi expliqué la triple championne olympique de l’heptathlon, la Belge Nafissatou Thiam, en conférence de presse. Je n’ai pas l’impression que ça ait été une priorité ces dernières années. Je ne m’attendais pas à ça. Je ne pensais vraiment pas qu’on en reviendrait à un test de féminité en 2025. Apparemment si, malheureusement.»

D’autres déplorent que les fédérations se focalisent sur ce test et s’intéressent beaucoup moins aux faits de violence commis par certains entraîneurs sur leurs athlètes. «Ces mesures visent à plus d’équité, mais bien d’autres problèmes restent à traiter, lançait l’ancienne athlète Olivia Borlée, sur RTL. On ne parle pas du tout de la maternité dans le sport, par exemple. Et les règles sont toujours un tabou énorme: dans une finale de 100 mètres, il y a peut-être trois femmes qui ont leurs règles et les autres ne les ont pas. Est-ce que c’est très équitable?»

10. Et les fédérations nationales?

L’obligation de ce test pour leurs athlètes leur complique singulièrement la tâche. Ainsi, en France, de tels tests sont illégaux et ne peuvent donc être pratiqués sur le territoire. Résultat: en ce début de mois de septembre, les cinq boxeuses françaises sélectionnées pour les premiers championnats du monde organisés par World Boxing ont appris qu’elles en étaient exclues. Les résultats de leurs tests de féminité, effectués en Grande-Bretagne à leur arrivée, ne sont pas parvenus à temps aux organisateurs.

La fédération australienne a quant à elle évoqué, dans un courrier adressé à ses athlètes, les «problèmes éthiques significatifs» soulevés par ces tests. Après avoir insisté sur les conséquences, difficiles à gérer sur le plan émotionnel, d’un test positif inattendu, elle leur a rappelé qu’elles pouvaient «refuser de s’y plier sans craindre des poursuites en Australie».

 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire