Pour Thierry Dailly, son président, le RWDM en D1, c’est «la fête du foot bruxellois». © belgaimage

Triumvirat et « envahisseurs »: la grande bataille pour Bruxelles

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Un RWDM ressuscité retrouve la hype saint-gilloise et le palmarès mauve au sommet de l’élite belge. La capitale a du talent, et il ne se divise pas seulement en trois. Bienvenue dans la guerre de Bruxelles.

Il paraît qu’à Bruxelles, on a la vantardise qui brûle les lèvres. «Zwanzeur» autoproclamé, c’est pourtant avec des excuses que Thierry Dailly débarque sur le plateau de la RTBF. Invité de La Tribune, le président du RWDM évoque les déclarations de John Textor, son propriétaire américain, lâchées dans l’euphorie du titre d’un club historique qui retrouve l’élite du football belge. Une punchline qui a visiblement du mal à traverser l’Atlantique, depuis des Etats-Unis où les rivalités s’expriment aisément parce que le sport est surtout un divertissement. «We’re gonna kick their ass» (On va leur botter le derrière), envoie le milliardaire du Midwest à l’adresse d’Anderlecht et de l’Union, posant les jalons de la nouvelle lutte à trois pour le pouvoir sportif dans la capitale. Thierry Dailly plaide le choc des cultures et réfute dans la foulée de ce titre conquis dans une atmosphère de fête collective contre l’équipe espoirs du RSCA: «C’était la fête du football bruxellois.»

Nous cherchons des joueurs intuitifs, qu’on ne trouve pas dans la Flandre riche.

Au sein d’une première division belge qui sera réduite à seize unités dès la saison prochaine, la capitale alignera donc trois clubs. Un regroupement historique encore difficile à imaginer voici sept ans, quand l’Union Saint-Gilloise vivotait au milieu de la D2 alors que le RWDM venait tout juste de renaître de ses cendres dans les catacombes du football amateur. Si le géant mauve de Bruxelles peut compter sur la fortune de l’homme d’affaires flamand Marc Coucke pour multiplier les augmentations de capital en quête de son glorieux passé, ses deux voisins ont dû compter sur un riche coup de pouce étranger pour rejoindre le sommet de la hiérarchie nationale. L’Anglais Tony Bloom, propriétaire du club anglais de Brighton, s’est offert l’Union et en a fait l’une des nouvelles références de l’élite. Au stade Machtens, «temple» du RWDM, c’est donc l’Américain John Textor, également à la tête de Lyon (France), Botafogo (Brésil) et actionnaire de Crystal Palace (Angleterre), qui a amené les millions nécessaires pour para- chever le retour en haut de l’affiche. Une manière originale de partager le gâteau bruxellois, avec deux gros mangeurs étrangers qui ne se servent pas trop dans l’assiette nationale pour assouvir leur appétit sportif et financier.

L’hégémonie mauve

«C’est de plus en plus difficile de trouver des Bruxellois», concède d’ailleurs Thierry Dailly au micro de Vivacité. Si la reconstruction de son club aux «quatre lettres magiques» s’est initialement faite avec des joueurs du vivier molenbeekois comme les frères Cabeke ou le gardien Anthony Sadin (également passé par l’Union), le RWDM peine à redorer le blason d’une académie qui a autrefois permis aux Diables Rouges Johan Walem, Wesley Sonck ou plus récemment Dedryck Boyata d’aiguiser leurs crampons. Du côté de l’Union, où la caution locale Siebe Van der Heyden est un produit du centre de formation d’Anderlecht, l’écolage de jeunes talents de la capitale est carrément un sujet tabou, tant les moyens structurels et humains sont éloignés des paillettes d’une équipe fanion en lutte pour le titre et quart de finaliste européenne. Dans le gigantesque vivier de la capitale, deux des trois ténors locaux semblent avoir renoncé à l’idée de lancer leur ligne à deux pas de la maison en quête de gros poissons. Il faut dire qu’à proximité des étangs de Neerpede, à l’ouest de Bruxelles, Anderlecht a transformé la pêche en activité industrielle.

Anderlecht cherche en priorité des talents issus de la capitale, comme Vincent Kompany au milieu des années 2000.
Anderlecht cherche en priorité des talents issus de la capitale, comme Vincent Kompany au milieu des années 2000. © belgaimage

Dans la foulée de la spectaculaire éclosion de Vincent Kompany au milieu des années 2000, le club le plus titré du pays s’est progressivement spécialisé dans la recherche de jeunes talents issus de Bruxelles, ouvrant les portes de son centre de formation à des joueurs issus de l’immigration et longtemps marginalisés. Directeur de la pépinière mauve, Jean Kindermans lance ainsi, en compagnie de Peter Smeets, ancien patron de la cellule sociale d’Anderlecht, le programme «Purple Talents» qui permet aux meilleurs talents, souvent bruxellois, de combiner plus aisément leur parcours scolaire avec leur évolution sportive. Si le club étend à l’époque ses tentacules sur tout le pays, il est surtout le principal bénéficiaire de l’immense mine d’or que représente la capitale.

Si certains s’échappent par la suite, notamment parce qu’ils n’entrent pas dans le strict carcan disciplinaire alors imposé à Neerpede ou sont jugés – parfois à tort – insuffisants pour le plus haut niveau, tous les talents nés dans la région bruxelloise semblent inexorablement devoir se vêtir de mauve.

Les portes ouvertes

Les Bruxellois aiment dire que tous les recoins de la Belgique, ou presque, sont à une heure de route de la capitale. Si la considération oublie souvent que le pays est aux embouteillages ce que le Bayern Munich est au championnat allemand, elle a fini par faire son chemin dans les bureaux les plus huppés de Pro League. Puisque la capitale n’est qu’à un jet de pierre, pourquoi Anderlecht serait-il le seul club à y faire son marché?

C’est là que les techniques varient. Il y a ceux qui vont directement puiser parmi les talents de Neerpede, comme l’avait fait l’ancien président du Standard, Bruno Venanzi. En mission pour rendre à son Académie liégeoise, délaissée par ses prédécesseurs, ses lettres de noblesse, l’entrepreneur principautaire avait décidé de jouer l’offensive en attirant dans la Cité ardente les jeunes frères Balikwisha, aujourd’hui devenus des références sur la scène nationale.

D’autres misent plutôt sur le savoir-faire des coachs, à l’image d’un Club de Bruges qui, dès le début des années 2010, noue un partenariat avec l’asbl Football Street Intelligent (FSI). A sa tête, on retrouve Seth Nkandu, ancien entraîneur de jeunes à Anderlecht qui a lancé sa propre académie au nord de Bruxelles, où il rassemble des joueurs souvent catalogués comme «difficiles à gérer». A l’initiative de ce rapprochement, on trouve le réputé Henk Mariman, alors tête pensante de la formation brugeoise et occupant désormais des fonctions semblables à Oud-Heverlee Louvain (OHL). C’est la naissance de la «Club Academy Brussels», qui concerne une petite vingtaine de jeunes talents et vise, selon les explications données à l’époque par Mariman à Sport/Foot Magazine, à combler un déficit important chez les Blauw en Zwart: «Nous cherchons des joueurs plus intuitifs et créatifs, qu’on ne trouve pas dans la Flandre riche.» Si le raccourci sociologique est contestable, il raconte à merveille l’histoire d’une capitale vue dans l’imaginaire collectif comme un intarissable berceau de techniciens, élevés au dribble et à la compétition par les après-midis passés dans les agoras, ces petits terrains urbains de bitume qui servent souvent de points de rassemblement des quartiers.

La cohabitation de trois clubs bruxellois en D1 est rendue possible par l’afflux de capitaux étrangers.

L’initiative brugeoise n’a pas le succès escompté, mais ouvre les portes de la capitale à une bonne partie du pays.

Bruxelles et le talent industriel

On les appelle les «clubs partenaires». Un nom qui a la texture des meetings d’entreprise et qui partage avec le monde des affaires l’inépuisable volonté d’expansion. Pour mailler au mieux le territoire national dans leur quête d’un talent forcément plus ténu que dans les grands pays voisins, les plus grands clubs de Belgique mettent les chances de leur côté en nouant des partenariats avec des entités locales, souvent considérées comme des références dans la formation des jeunes. Figure de proue de la province de Liège, le Standard en noue évidemment une bonne partie dans ses environs immédiats depuis l’été 2017, mais pousse également jusqu’au Hainaut, au Namurois et au Brabant wallon. Avant de s’implanter à Bruxelles. C’est le club de Jette, pensionnaire des divisions amateures nationales depuis plusieurs saisons, qui est l’heureux élu pour ce mariage liégeois presque contre-nature pour une entité de la capitale. La collaboration exclusive est actée en octobre 2019 et permet au Standard, en marge d’avantages offerts au club jettois, de poser un pied sur les terrains bruxellois. Jette s’engage ainsi à informer les Rouches au sujet des meilleurs talents entre 6 et 12 ans repérés lors des week-ends de ballon rond au cœur du pays.

Du côté de l’Union, la caution locale Siebe Van der Heyden est un produit du centre de formation d’Anderlecht.
Du côté de l’Union, la caution locale Siebe Van der Heyden est un produit du centre de formation d’Anderlecht. © belgaimage

Suivie par Charleroi, lié au club de Saint-Michel, la méthode est devenue répandue pour contester l’hégémonie d’Anderlecht dans la capitale. Du côté de Bruges, après avoir envisagé un rapprochement avec le club de Diegem – projet avorté par la difficulté de se déplacer jusqu’à l’extrême est de Bruxelles – on a finalement mis en place un partenariat avec Pamel, situé dans le Pajottenland mais plus facilement accessible pour beaucoup de Bruxellois, et un autre avec l’école de jeunes du FC Synergy Bruxelles, basée à Berchem-Sainte-Agathe et donc située à quelques coups d’accélérateur de la E40. L’occasion idéale pour deux trajets hebdomadaires jusqu’à la Venise du Nord, tandis que le reste de la semaine est rythmé par des séances dispensées en bordure de ring par des entraîneurs diligentés par le Club brugeois.

Tout le monde veut croquer dans la tarte bruxelloise. Même le club de Gand s’y est mis, plus récemment, en attirant dans les filets de son centre de formation le chevronné tacticien Emilio Ferrera. Ancien coach de Bruges, adjoint du Standard ou entraîneur des espoirs d’Anderlecht, le Schaerbeekois a lancé, en 2019, son «EF Academy», une école de football destinée aux jeunes de 6 à 14 ans désormais formés selon les rigoureuses méthodes prônées par Ferrera. D’abord implantée à Alost, l’académie a étendu ses quartiers en élisant domicile à Virton (province du Luxembourg), à Limal (Brabant wallon), mais aussi à Asse ou à Anderlecht. Quand Emilio a pris la tête de l’équipe espoirs de La Gantoise, ses académiciens ont été liés aux Buffalos, qu’ils peuvent plus facilement rejoindre à partir de l’adolescence pour parfaire leur formation. Au vu de la situation géographique, il y a évidemment pas mal de Bruxellois dans le lot. Tous les chemins mènent à la capitale, y compris celui d’un Emilio Ferrera persuadé par son passé de formateur d’offrir un parcours de référence vers les sommets aux jeunes citadins. Certains diront que c’est de l’arrogance. Les autres rétorqueront qu’il est bruxellois.

Roméo Elvis ou Damso? La battle des BX

Capitale sportive et musicale, Bruxelles tisse évidemment des liens étroits entre lyrics et football. Fils de Marka, l’emblématique supporter du RWDM, le rappeur belge Roméo Elvis s’était affiché avec un maillot du club mythique de Molenbeek quand il avait réquisitionné la Grand-Place avec l’émission Planète Rap (Skyrock) pour présenter, au printemps dernier, son album Tout peut arriver. S’il est surtout fan de Liverpool, Roméo multiplie les références aux quatre lettres en tant que «vrai club de cœur» quand il raconte les souvenirs d’une jeunesse dans les travées du stade Machtens avec son père.

Sa sœur, Angèle, a plutôt été aperçue dans les gradins du parc Duden depuis la saison passée, comme s’il fallait encore plus incarner la hype de l’Union Saint-Gilloise. Une star mondiale présente dans un relatif anonymat, souvent cachée sous un Bob et pas vraiment grande fan de football qui se fond à merveille dans le paysage éclectique du stade Joseph Mariën.

Pour faire face à ces nouvelles vagues, Anderlecht a longtemps dû se contenter de ses icônes vieillissantes, incarnation d’un âge d’or qui paraît aujourd’hui révolu. Eddy Merckx ou Paul Van Himst sont évidemment des légendes du sport belge, mais font-ils encore le poids aux yeux d’un jeune public à conquérir? Sans doute est-ce cette question qui a amené le Sporting à se rapprocher de la culture urbaine, notamment par le biais d’un troisième maillot totalement noir réalisé en partenariat avec Damso, autre figure emblématique de la scène bruxelloise. Quinze mille ventes plus tard, la tunique est devenue, selon le club, la plus vendue de l’histoire d’Anderlecht. Reste à cultiver la hype sur le terrain.

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