Nicolas Lombaerts: « Aucune équipe ne gagne aussi facilement que les Diables »
Nicolas Lombaerts a remisé ses crampons il y a un an. Désormais, il regarde le football avec les yeux d’un consultant et d’un entraîneur en formation. Avec plus d’enthousiasme qu’il ne le pensait.
Nous avons déjà interviewé Nicolas Lombaerts au Café Singer, son refuge préféré au coeur de Saint-Pétersbourg, une librairie qui fait également office de café, puis au De Schorre, le centre d’entraînement du KV Ostende.
Dorénavant, Lombaerts parle de ce que l’avenir lui réserve tout en jetant un regard incrédule sur une carrière dont il n’aurait jamais osé rêver.
Sais-tu à l’occasion de quel match tu as été sélectionné pour la première fois en équipe nationale?
NICOLAS LOMBAERTS: Aïe, c’est difficile. Par René Vandereycken contre l’Arabie saoudite?
Non. Pour Belgique-Lituanie en octobre 2005, un match de qualifications pour le Mondial 2006 sous la direction d’Aimé Anthuenis. Score final: 1-1.
LOMBAERTS: Juste! J’avais joué en Espoirs la veille, mais un joueur de l’équipe A avait déclaré forfait, et j’avais pris place sur le banc. Mais je suis entré au jeu plus tard, contre l’Arabie saoudite, avec Vandereycken.
Te souviens-tu de ta première titularisation?
LOMBAERTS: ( Il soupire) Encore une question difficile, dis!
Belgique-Finlande, en octobre 2007 (0-0). À tes débuts en équipe nationale, la Belgique était 55e au classement FIFA. Lors de ta dernière sélection en octobre 2016, contre Andorre, elle avait déjà été première et était deuxième. Grâce à toi?
LOMBAERTS: Pas du tout. Je n’ai pas eu de grande part dans notre progression, pas plus que dans notre chute: en 2009, nous avons touché le fond avec la 66e place. Je n’étais pas un pion important mais je suis fier d’avoir été titulaire quand nous étions numéro 1. Je pourrai le raconter à mes petits-enfants plus tard. J’admire beaucoup ce que les Diables rouges réalisent actuellement. Aucune équipe ne gagne aussi facilement qu’eux.
« Dick Advocaat a tout professionnalisé chez les Diables »
Quel souvenir conserves-tu des premières années, quand tout était plus difficile?
LOMBAERTS: L’ambiance n’était pas terrible. Les résultats étaient mauvais et il y avait toujours quelque chose de négatif. On finissait pas rigoler de nous. Être Diable rouge ne constituait plus un honneur. L’équipe était très stressée. Je me rappelle d’un match contre le Portugal de Cristiano Ronaldo. Avant même le coup d’envoi, nous savions que ce serait pénible. De fait, nous avons essuyé une raclée: 4-0. Nous entamions les matches sans confiance. Même contre des adversaires comme l’Arménie, on avait peur de ne pas gagner. Nous finissions par en rigoler pour nous défaire de ce stress.
Au printemps 2017, j’étais proche d’Anderlecht. Je suis allé au domicile de Vanden Stock. »
Nicolas Lombaerts
Nous avions nettement moins de talent. Celui qui jouait aux Pays-Bas était un grand monsieur. Maintenant, il ne serait pas évident pour un joueur comme moi, issu de Gand, de devenir Diable, car on dispose maintenant de ténors d’envergure mondiale. Comme Kevin De Bruyne. Nous pouvons être heureux de dénombrer autant de grands joueurs au sein d’une même levée. C’est inouï pour un petit pays. À mes débuts, il était très difficile d’obtenir un transfert en Angleterre, par exemple.
Nous avons formé une équipe phénoménale. Nous aurions pu être sacrés champions d’Europe en 2016. Nous en sommes capables cette fois, de même que nous pouvons être champions du monde l’année prochaine. Allez: Lukaku est champion en Italie, De Bruyne en Angleterre, Hazard et Courtois peut-être en Espagne. Trois Belges ont disputé les demi-finales de Ligue des champions. Quand j’ai gagné la Coupe UEFA avec le Zenit, c’était une performance, mais maintenant, un Belge doit gagner la Ligue des Champions pour qu’on se souvienne de lui.
As-tu senti un revirement s’opérer, à un moment donné?
LOMBAERTS: L’embauche de Dick Advocaat a tout changé. Il paraissait impossible d’enrôler un tel monument à l’époque, car il n’y avait pas d’argent. Le fait qu’il soit venu prouvait qu’il pensait pouvoir réussir quelque chose avec les Diables. Je l’avais connu au Zenit et j’avais toujours eu le sentiment qu’il avait une excellente vision de ce qui était possible ou pas, qu’il repérait les bons joueurs. À son arrivée, j’ai senti qu’un revirement était possible. L’entourage de l’équipe et les supporters l’ont perçu: « Si Advocaat y croit, nous aussi. » Les joueurs ont suivi.
Quand Leekens lui a succédé, l’équipe était déjà lancée. Il a su surfer là-dessus. Nous aurions déjà pu nous qualifier pour l’EURO 2012. C’est devenu dingue ensuite: d’un coup, nous avons joué nos matches dans des stades combles. Au début, nous étions surpris. J’ai dévolué devant moins de 10.000 personnes, dont la moitié étaient invitées pour donner l’impression que les tribunes n’étaient pas vides.
Qu’a changé Advocaat, concrètement?
LOMBAERTS: Il a tout professionnalisé. Il obtenait plus facilement ce qu’il demandait que ses prédécesseurs, car il suscitait le respect, y compris celui des joueurs. Il a du charisme, manie très bien la carotte et le bâton. Il est une sorte de grand-père qui insuffle confiance aux joueurs. C’est un passionné de football. Je ne pense pas qu’il y ait eu quelque chose de plus important dans sa vie.
A-t-il visité l’Hermitage, à Saint-Pétersbourg?
LOMBAERTS: Je ne pense pas. Moi, j’y suis allé dix, vingt fois. Partout où je suis allé, j’ai effectué des visites. J’adore ça. Moscou est une ville fantastique. Le Kremlin de Kazan, une merveille!
« Qui aurait cru que De Bruyne pourrait entrer en ligne de compte pour le Ballon d’Or? »
Un joueur en particulier a-t-il tiré les Diables vers le haut?
LOMBAERTS: Il y en a eu plusieurs d’un coup. Mignolet, Courtois, qui sont des joueurs de classe mondiale. Comme Kompany, Vertonghen, Fellaini, Witsel, Hazard, De Bruyne. Lukaku débarquait à peine. Il a fait taire les critiques qui lui tombaient dessus au début.
T’a-t-il surpris?
LOMBAERTS: Je ne pouvais pas savoir qu’il deviendrait un tel killer, mais il a toujours eu la volonté de le devenir. Il était avide d’apprendre, de progresser. On riait tout le temps avec lui, à l’entraînement. Un chouette gars.
De tous les Diables rouges avec lesquels tu as joués, lequel t’a le plus étonné?
LOMBAERTS: Pas Hazard ni De Bruyne. Ils étaient déjà excellents, même s’il était plus difficile de prévoir ce qu’ils réussiraient au plus haut niveau. Qui aurait cru que De Bruyne pourrait entrer en ligne de compte pour le Ballon d’Or?
Qu’est-ce qui te surprend le plus en lui?
LOMBAERTS: Son aisance. Il a la vista, le passing. Je ne connais personne qui amène aussi aisément le ballon devant le but. Un long ballon, une passe, un ballon dans le dos de la défense: la précision et la vitesse de son jeu de passe sont phénoménales.
La défense pose problème. Qui peut émerger dans cette ligne?
LOMBAERTS: Jason Denayer. Il y a déjà une énorme différence entre le Denayer de mon temps et l’actuel. Cette différence, c’est l’expérience. Il avait déjà le reste. Il est très rapide et il remporte la plupart de ses duels aériens, bien qu’il ne soit pas très grand. J’aimais jouer avec lui. Jason est calme, agréable, il écoute. Le courant passait bien et nous étions complémentaires, puisqu’il avait la vitesse dont je commençais à manquer.
René Vandereycken regrettait que Jan Vertonghen ne soit pas resté médian défensif.
LOMBAERTS: Jan est un bon footballeur et il aurait pu jouer comme numéro 6, y compris sur le plan physique. En défense, on ne peut jamais afficher toutes ses qualités footballistiques.
« J’occupais un poste qui permet de résoudre beaucoup de choses par l’intelligence »
C’était pourtant ta position favorite.
LOMBAERTS: Je n’avais pas les qualités footballistiques de Jan ni d’un véritable arrière gauche, pas davantage que la mobilité requise. Au début, j’avais la vitesse. Ma blessure au genou en 2008, avec le Zenit contre Villarreal, l’a réduite mais j’ai encore joué sept ans au plus haut niveau. Avoir tenu bon aussi longtemps avec un genou pareil et la douleur est un de mes principaux mérites. J’ai dû serrer les dents et avaler beaucoup d’antidouleurs. J’avais l’avantage d’occuper un poste qui permet de résoudre beaucoup de choses par l’intelligence. Je savais ce dont j’étais capable ou non avec ce genou. Sans cette blessure, j’aurais pu poursuivre ma carrière nettement plus longtemps.
Ta carrière internationale s’est achevée en 2016, sous Roberto Martínez. Lui en veux-tu?
LOMBAERTS: Non. C’est un bon entraîneur. Je trouvais positif qu’on prenne un étranger, dénué de préjugés, comme Advocaat.
Quel est son point fort?
LOMBAERTS: Sa communication et sa gestion du groupe. Il sent ce que les joueurs veulent tout en restant au-dessus de la mêlée. Chapeau pour ce qu’il a réussi. Je suis quand même étonné qu’il soit toujours en poste. À un moment donné, un entraîneur doit aussi récolter les fruits de son succès.
Que serais-tu devenu si Advocaat ne t’avait pas repéré à l’EURO Espoirs aux Pays-Bas et ne t’avait pas fait transférer au Zenit?
LOMBAERTS: Je me serais sans doute retrouvé au Hertha. Je voulais absolument y signer, mais Gand pouvait gagner plus avec le Zenit. Le Hertha a été relégué de Bundesliga au bout d’une saison. Je serais peut-être resté coincé en deuxième Bundesliga. J’ai donc fait le bon choix, puisque j’ai gagné des titres et la Coupe de l’UEFA.
À part ces titres et beaucoup d’argent, que t’ont apporté ces dix ans à l’étranger?
LOMBAERTS: Un regard plus ouvert sur le monde, loin de mon cocon. Cela a élargi mon horizon. Si c’était à refaire, je n’hésiterais pas. J’ai vécu des années merveilleuses. L’Europe de l’Est m’a toujours touché. Par la tristesse de l’hiver, par exemple. Je suis empreint de nostalgie en y pensant. J’ai adoré vivre en Russie. J’aimais aussi le club. Longtemps, nous avons eu notre chambre personnelle au complexe d’entraînement. Ce n’était pas encore un vestiaire collectif. Chacun quittait sa chambre pour monter sur le terrain. J’étais un des derniers à abandonner ma chambre pour le vestiaire. Je m’attardais souvent au club. Je m’entraînais au fitness, j’allais au sauna, je stimulais ma circulation avec des branchettes de bouleau, puis je me roulais dans la neige. J’y ai encore beaucoup d’amis. Sans la pandémie, j’y serais allé cinq ou six fois l’année dernière. J’ai représenté davantage pour le Zenit que pour Gand.
Quand j’ai gagné la Coupe de l’UEFA avec le Zenit, c’était une performance. Maintenant, un Belge doit gagner la Ligue des champions pour qu’on se souvienne de lui. »
Nicolas Lombaerts
« Je ne supporte pas la situation actuelle »
Gand t’a offert ta chance quand Marc Degryse t’a refusé un contrat professionnel au Club Bruges.
LOMBAERTS: J’ai apprécié sa franchise. Antoine Vanhove voulait que je reste mais pourquoi, si je n’avais aucune chance? J’ai progressé en même temps que Gand et j’y ai vécu de superbes années. Sixième la première saison puis deux fois quatrième. Le tout dans une excellente ambiance, au Club 30 après les matches, parfois lors de sorties au centre de Gand. Je dois cette belle période à Georges Leekens. J’avais fait insérer une clause dans mon contrat pour empêcher le club de m’envoyer dans le noyau B. Je me disais que je serais déjà content si je faisais banquette de temps en temps, mais à ma grande surprise, j’ai été titularisé d’emblée.
Ta carrière te surprend-elle?
LOMBAERTS: Elle a été belle, davantage que je n’aurais osé l’espérer.
Tu as arrêté il y a un an. Que fais-tu, maintenant?
LOMBAERTS: Je passe beaucoup de temps à la maison. Je ne supporte pas la situation actuelle. J’avais l’intention d’effectuer plusieurs voyages, de rendre visite à des entraîneurs que je connais: à Advocaat à Feyenoord, à Villas-Boas à Marseille. Je voulais retourner au Zenit. Mais la pandémie m’en a empêché. Je suis les cours d’entraîneur, comme la plupart des Diables rouges. Via Zoom.
Veux-tu rester dans le monde du football?
LOMBAERTS: Plus le temps passe, plus l’ambiance et l’adrénaline me manquent. Comme l’absence d’objectifs. Ou sentir le soutien de tout un stade. L’hymne de la Ligue des Champions touche les joueurs. Le football en lui-même ne me manque plus. Je souffrais trop du genou. Suite à tout l’émoi qu’a suscité ma situation à Ostende, je n’ai même pas trouvé grave d’être renvoyé dans le noyau B.
« Les négociations étaient très avancées à Anderlecht »
Je pensais que tu aurais voulu faire tes preuves ailleurs.
LOMBAERTS: Moi aussi, mais je n’intéressais plus personne alors que j’étais prêt à faire de gros sacrifices. Mais seuls des petits clubs turcs et chypriotes se sont manifestés. À l’issue de ma première année à Ostende, j’ai discuté avec Gand.
Six mois avant qu’il soit question d’Ostende, il a été question du PSV, de l’Ajax et d’Anderlecht. Où en étaient les négociations?
LOMBAERTS: Elles étaient très avancées à Anderlecht. Je me suis rendu au domicile de Roger Vanden Stock. Le Zenit était d’accord de me laisser partir puis il m’a trouvé trop bon à l’entraînement et m’a interdit de partir quand son meilleur défenseur axial, Ezequiel Garay, est parti à Valence, parce qu’il souffrait du mal du pays. Du jour au lendemain, Lucescu n’a plus voulu se passer de moi.
Donc, si Garay n’était pas parti, tu aurais joué à Anderlecht et pas à Ostende en 2018.
LOMBAERTS: Oui. J’en avais envie. Mais j’aurais dû rester au Zenit et serrer les dents un an, au lieu de signer à Ostende en hiver.
Quid de l’Ajax et du PSV?
LOMBAERTS: Overmars m’a téléphoné au nom de l’Ajax en 2016, mais le Zenit était trop gourmand. Idem avec le PSV plus tard. Il ne pouvait pas payer l’indemnité réclamée.
Qu’as-tu pensé du niveau du football belge, à ton retour?
LOMBAERTS: Il s’est nettement amélioré, mais après des débuts difficiles, j’ai été performant à Ostende, la première saison. J’ai disputé de bons matches dans un trio défensif. Ma préparation à la deuxième saison a été bonne aussi mais après, j’ai senti que je devais partir. Les indices se sont multipliés. Le président ne donnait pas une interview sans qu’on aborde le sujet.
Gert Verheyen trouvait que tu aurais dû afficher plus de motivation, compte tenu de ton statut.
LOMBAERTS: C’est l’inverse. J’ai perdu mon élan parce que je me suis retrouvé sur le banc alors que j’estimais que ma bonne préparation me donnait le droit de jouer. Ensuite, on m’a assigné une position qui ne me convenait pas vraiment. Jour après jour, j’entendais dire qu’il valait mieux que je m’en aille. C’en était trop. Ce que je faisais sur le terrain ne comptait plus. Je serais parti si j’avais trouvé une alternative convenable. Je me suis parfois énervé et je peux comprendre que Verheyen soit parfois devenu fou à cause de moi.
As-tu un regret?
LOMBAERTS: Si j’avais su, jamais je n’aurais rejoint Ostende.
Es-tu fâché sur Marc Coucke?
LOMBAERTS: En fait, oui. Pour ce qu’il a fait à Ostende comme à moi. Je regrette d’avoir dû achever ma carrière comme ça.
Veux-tu devenir entraîneur?
LOMBAERTS: Je veux d’abord décrocher mon diplôme. Ensuite, pourquoi ne pas d’abord essayer avec les jeunes? Je veux découvrir ce qui m’attire vraiment. Le job de consultant me plaît aussi. Avant, je ne regardais pas les matches. Maintenant, j’en suis beaucoup, du point de vue de l’entraîneur. J’aimerais pouvoir transmettre ce que j’apprends.
« Wouter Vrancken pourrait coacher un grand club »
Ostende a surpris Nicolas Lombaerts. « On ne sait jamais ce qu’un repreneur étranger va faire. Il suffit de voir Mouscron et Waasland-Beveren. J’aime bien regarder Malines aussi. Chapeau à Wouter Vrancken, il fait du bon boulot. Je savais qu’il ferait un bon entraîneur. Il était déjà un patron du vestiaire de La Gantoise. Un chouette gars, en plus. Pourquoi ne pourrait-il pas entraîner un grand club belge? »
Quels ont été ses meilleurs coéquipiers? » De Bruyne en équipe nationale. Arshavin au Zenit, même s’il n’a pas livré le meilleur de lui-même. Et Hulk. Je me suis souvent énervé sur lui, car il dribblait trop, mais quand il le voulait, il faisait la différence. »
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