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De Lommel à la Gambie, avec escale à Trinité et les Îles Féroé: le parcours fou de Tom Saintfiet

Lorsqu’on débute une interview avec Tom Saintfiet, à la fois coach et bourlingueur, on sait quand on commence, mais on ne sait jamais quand on finit. Alors nous vous souhaitons bien du plaisir. Son dernier exploit? Avoir qualifié la Gambie pour la première fois de son histoire pour la Coupe d’Afrique des Nations, qui se déroulera début 2022.

Nous sommes assis dans le jardin de Tom Saintfiet, en profitant du soleil, un peu à l’abri du vent. À l’intérieur, sa femme est occupée à travailler et sa petite fille joue. Comme elle va bientôt devoir entrer à l’école, Saintfiet est revenu s’établir à Mol, après de nombreux détours.

L’épouse de Tom est d’origine zimbabwéenne. Ils se sont rencontrés en Namibie, où elle travaillait comme journaliste sportive. « J’ai toujours essayé d’être en bons termes avec la presse », rigole-t-il en expliquant comment ils sont tombés amoureux. Pourtant, sa spécialité n’était pas le football. Plutôt le rugby et le cricket. Ils partagent cependant le goût du voyage. Étant la fille d’un couple de diplomates, elle est habituée à déménager sans cesse. Elle a notamment habité au Kenya et à New York.

Saintfiet a la bougeotte, lui aussi. Il a travaillé un peu partout. Beaucoup en Afrique, mais aussi en Amérique Centrale et en Asie, rêvant de qualifier un pays pour la Coupe du monde. Un rêve qu’il n’a pas encore abandonné. Peut-être le réalisera-t-il avec la Gambie, un minuscule pays situé à 6 heures et 25 minutes de vol de la Belgique, qu’il a qualifié pour la Coupe d’Afrique des Nations.

Plages de sable blanc

Certains entraîneurs débutent au plus bas échelon de la hiérarchie. C’est le cas de Saintfiet, qui joue avec les jeunes de Lommel, où il a Daniel Scavone comme coéquipier. Lorsqu’il s’aperçoit qu’il n’atteindra jamais les sommets comme joueur, Saintfiet change de cap: il se met en tête d’y parvenir comme coach.

Il débute sa carrière en troisième provinciale, où il coache pendant trois ans. Il essaye bien de se faire engager à un niveau supérieur, mais en Belgique, personne ne semble intéressé par un entraîneur de 24 ou 25 ans sans aucune référence. Entre-temps, il obtient son diplôme, effectue du scouting pour Malines et entraîne les jeunes de Dessel. « Je ne pensais qu’au football, du matin au soir », affirme Saintfiet.

Ensuite, direction les Pays-Bas. Grâce à Jan Poortvliet, il trouve du boulot à Telstar, puis devient directeur technique du FC Emmen. Il y poursuit également sa formation. Son réseau s’élargit. Au fil du temps, il établit des contacts aux quatre coins du monde.

Retour en Gambie. Et Saintfiet de devenir carrément lyrique: « Une destination de premier choix en Afrique. La Gambie n’est pas destinée aux aventuriers, comme le Kenya, la Namibie, l’Afrique du Sud ou le Botswana. C’est plutôt pour les amateurs de farniente, avec de belles plages de sable blanc. Avec les palmiers, on pourrait se croire dans les Caraïbes. Il y a des hôtels pour tous les goûts et tous les budgets, principalement le long de la côte. En janvier 2019, j’y ai aperçu Louis van Gaal et son épouse. On y trouve de nombreux restaurants belges. J’ai mangé davantage de frites et de fricadelles qu’en Belgique. Et que dire des boulettes, des crêpes… » La version africaine de Benidorm, en somme. Il rigole. « Nous avions un appartement sur la plage, avec une piscine qui avait vue sur la mer. Nous habitions au paradis, mais notre fille devait entrer à l’école. »

19% de possession contre le Maroc, 21% contre l’Algérie. Je ne demande pas mieux. »

Tom Saintfiet

Le point commun des habitants: leur passion pour le football. De plus en plus d’académies voient le jour, et elles regorgent de talent. Parmi elles, celle d’ Albert Martens, ex-Anderlecht. Le port a son équipe, l’armée également. Le salaire d’un joueur ne dépasse pas les cinquante dollars par mois, c’est ce que gagne aussi un agent de police. On joue au football partout: dans la rue, sur la plage. « Lorsque l’équipe nationale joue à domicile, on pourrait remplir dix fois le stade », s’enthousiasme Saintfiet. « Cela signifie aussi que la pression est énorme. Tout le monde a son avis sur le football, et personne n’hésite à faire des commentaires, y compris lorsque nous sommes attablés au restaurant. »

Tom Saintfiet:
Tom Saintfiet: « Le vendredi, les musulmans se rendent à la mosquée. Si vous sentez que c’est important pour eux, il faut les laisser faire, même si cela perturbe votre programme. »© BELGAIMAGE – YORICK JANSENS

Le marasme trinidadien

Comment a-t-il atterri en Gambie? C’est toute une histoire. En 2017, Saintfiet est en quête de stabilité, après avoir beaucoup voyagé et honoré des contrats de courte durée. Le problème du football africain, c’est que certains pays veulent de grands noms. Sven-Goran Eriksson, Lars Lagerbäck, Henri Michel, autrefois. Des entraîneurs qui, souvent, ne s’intéressent pas à la culture, mais perçoivent des salaires faramineux, sans aucune garantie de résultats. « Mais c’est ainsi partout, certains atteignent les sommets, d’autres doivent patienter longtemps avant de recevoir une chance. Je ne me suis pas enrichi grâce au football. J’ai surtout recherché le défi sportif. »

Tom Saintfiet avec la Gambie avant la qualif' pour la CAN.
Tom Saintfiet avec la Gambie avant la qualif’ pour la CAN.© BELGAIMAGE – YORICK JANSENS

L’inconvénient lorsqu’on débute à un bas niveau et que l’on n’accorde pas trop d’importance à l’argent, c’est que parfois, on n’a pas le choix et on est obligé d’accepter le boulot qui vient, pour subvenir aux besoins de sa famille. Saintfiet a souvent signé des contrats de courte durée: trois mois au Bangladesh, trois mois au Malawi, cinq mois en Éthiopie. Avec, pour chaque contrat, une histoire différente et des obstacles à surmonter. Ce qui lui vaudra, plus tard, une biographie en cinq parties où il explique tout.

À Trinité-et-Tobago, par exemple, il démissionne après 35 jours. « Je m’étais dit que c’était une belle destination, un pays qui a déjà connu la Coupe du monde, qui est situé dans les Caraïbes, qui jouit d’une certaine réputation. Mais en matière d’organisation, c’était nul. J’ai dû jouer des matches de qualifications en janvier, en dehors des dates prévues par la FIFA. Je suis arrivé le 10 décembre. J’ai convoqué Khaleem Hyland, Sheldon Bateau et d’autres encore, mais ils n’ont pas pu venir et le championnat national n’a pas pu être interrompu non plus. Aucun des professionnels actifs en Europe et aux États-Unis n’a pu se déplacer, et les six joueurs évoluant dans le meilleur club du pays n’étaient pas disponibles non plus. Je pouvais uniquement sélectionner des joueurs appartenant au club du président de la Fédération, et quelques autres. Nous avons été battus par Haïti et le Surinam, et tout le monde s’est demandé: Mais enfin, Tom, comment est-ce possible? La raison est simple: je ne disposais pas de la meilleure équipe nationale de Trinité-et-Tobago, ni même de la deuxième. De la troisième, peut-être. J’ai préféré démissionner. »

Tom Saintfiet avec la Gambie pendant la qualif' pour la CAN.
Tom Saintfiet avec la Gambie pendant la qualif’ pour la CAN.© BELGAIMAGE – YORICK JANSENS

C’est alors qu’il reçoit une proposition de Malte. « C’était parfait: une petite île européenne, calme et avec un président qui affirmait: Nous ne sommes pas obligés de gagner, je te demande simplement d’un peu changer le football. » Saintfiet se met donc au travail avec passion, jusqu’à ce que tout le projet s’arrête subitement. Quelqu’un signale en effet à la Fédération maltaise que Saintfiet aurait proposé ses services au Cameroun. Saintfiet n’est au courant de rien, mais le mal est fait: le matin, il est convoqué chez le président. Ce dernier lui donne quelques heures pour prouver que cette histoire est fausse. Saintfiet est désemparé: « Comment peut-on prouver cela? » Trois heures plus tard, il est démis de ses fonctions.

Protégé par l’armée

Il ne reste pas longtemps au chômage. Il est directement contacté par la Gambie. Son rêve depuis longtemps. Il avait déjà posé sa candidature, sans que celle-ci ne soit jamais retenue. En 2010, il tombe encore davantage amoureux de la Gambie, alors coachée par Paul Put. « Il y régnait une ambiance fantastique. En quittant le pays, j’en était sûr: j’y reviendrais un jour pour y travailler », dit Saintfiet. Qui sera nommé sélectionneur du pays… via une connaissance Facebook.

Dès le départ, il ne cache pas ses ambitions: « J’ai directement annoncé que je voulais qualifier le pays pour la Coupe d’Afrique des Nations. On m’a regardé avec des grands yeux: Tom, sois raisonnable, essayons d’abord de gagner un match. »

Il débute contre l’Algérie de Riyad Mahrez, Yacine Brahimi, Sofiane Feghouli. Son épouse et sa fille émettent le désir de vouloir assister au match, et on leur conseille d’arriver deux heures avant le coup d’envoi, sinon elles ne pourront plus entrer. Ce ne sont pas des paroles en l’air: la foule continue à affluer. Derrière le but, des supporters doivent être réanimés, des gens sautent des tribunes sur le terrain, s’empilent sur les poteaux d’éclairage, sur le toit, sur le marquoir. Le stade, d’une capacité de 25.000 spectateurs, en accueille… 45.000. L’Algérie refuse dans un premier temps de jouer, mais le match delegate l’affirme: « Si nous annulons le match, il y aura des morts ». Le coup d’envoi est retardé d’une heure et demie, afin que l’armée puisse remettre de l’ordre.

Tom Saintfiet avec la Gambie pendant la qualif' pour la CAN.
Tom Saintfiet avec la Gambie pendant la qualif’ pour la CAN.© BELGAIMAGE – YORICK JANSENS

Après un partage au Togo, des centaines de personnes attendent le retour de l’équipe, qui débarque au milieu de la nuit. C’est la folie! Mais l’ambiance change complètement quelques jours plus tard, lorsque le Togo se déplace en Gambie et s’impose 0-1. « Nous ne pouvions pas quitter le terrain. On nous jetait des pierres, des bouteilles… La police a dû nous protéger avec des boucliers en plastique. L’équipe n’avait plus gagné le moindre match depuis cinq ans, et voilà qu’après deux partages et une défaite par le plus petit écart contre un pays classé cinquante places plus haut au ranking FIFA… Là-bas, on ne fait pas dans la nuance. »

Tom Saintfiet avec la Gambie après la qualif' pour la CAN.
Tom Saintfiet avec la Gambie après la qualif’ pour la CAN.© BELGAIMAGE – YORICK JANSENS

Après cela, la première victoire depuis longtemps arrive enfin, contre le Bénin, et la Gambie obtient un beau partage en Algérie. Mais pas la qualification, loupée d’un cheveu. Mais Saintfiet le sent bien et prolonge son contrat de deux ans.

De réfugiés à joueurs pros

Saintfiet commence à façonner l’équipe. Dans les matches amicaux, la possession est pour l’adversaire, les buts et la victoire pour lui. « Contre le Maroc, nous avons eu 19% de possession. Contre l’Algérie, 21%. C’était parfait. Je suis un entraîneur qui se base sur l’organisation et qui aime ce rôle d’outsider. De nombreux pays africains veulent jouer un football offensif. Pep Guardiola n’a pas rendu la vie facile aux autres entraîneurs. Tous les dirigeants voudraient que leur équipe joue de cette manière, mais ils oublient que le Catalan a consacré des années à former son équipe et dépense des millions en transferts. Je suis un entraîneur qui veut gagner. Je préfère être hué pendant nonante minutes et faire la fête pendant des semaines que l’inverse. Si l’équipe joue bien, on reçoit des compliments pendant un jour. Si l’équipe gagne, on en parle pendant des semaines. Si l’on qualifie un pays pour la phase finale d’un grand tournoi, on s’en souvient pendant des années. »

L’objectif ultime, c’est la Coupe du monde. Un jour, j’aimerais y participer comme sélectionneur. »

Tom Saintfiet

Saintfiet change une deuxième chose, en plus d’instaurer une mentalité de vainqueur: l’organisation. « Si l’on veut motiver des joueurs qui évoluent dans de bonnes équipes européennes, il faut veiller à ce qu’ils trouvent une bonne organisation en dehors du terrain lorsqu’ils rentrent au pays. J’ai un bon assistant, originaire d’Afrique du Sud, et je travaille aussi avec deux bons physiothérapeutes belges. Nous séjournons désormais dans des hôtels de luxe. Jadis, c’étaient les adversaires qui logeaient là. Aujourd’hui c’est nous, à deux kilomètres du stade. Pas dans des zones touristiques, mais dans des chambres individuelles, même si elles coûtent 100 ou 200 dollars. »

Tom Saintfiet avec la Gambie après la qualif' pour la CAN. Après la concentration, la consécration. Le bus des joueurs a mis deux heures pour effectuer les 2,5 kilomètres séparant le stade de l'hôtel!
Tom Saintfiet avec la Gambie après la qualif’ pour la CAN. Après la concentration, la consécration. Le bus des joueurs a mis deux heures pour effectuer les 2,5 kilomètres séparant le stade de l’hôtel!© BELGAIMAGE – YORICK JANSENS

Il profite aussi de chaque occasion pour recenser tous les talents. Selon lui, il en existe de trois sortes. Il y a d’abord ceux qui ont été visionnés en Gambie et qui sont partis en Europe, souvent très jeunes. L’Atalanta Bergame et le Chievo Vérone en ont recruté cinq il y a quelques années. Ces talents sont scoutés dans les académies qui foisonnent dans le pays. La Génération Foot du FC Metz au Sénégal repère aussi des joueurs en Gambie. C’est de cette manièrequ’ Ablie Jallow (Seraing) a débarqué dans le football professionnel.

À côté de cela, il y a les Gambiens qui sont nés en Europe, parfois issus de mariages mixtes. Saintfiet a découvert des footballeurs gambiens en Norvège, en Suède, en Suisse, en France et en Espagne. Ce sont souvent des garçons qui ont la double nationalité. Noah Sonko Sundberg, d’Östersund, a joué pour les sélections de jeunes en Suède, mais est devenu un pion important de l’équipe nationale gambienne. Saintfiet s’occupe actuellement d’un autre dossier, celui de Saidy Janko de Valladolid, ex-Manchester United et Celtic. Il y a aussi un joueur gambien en Suisse, qui a fréquenté toutes les équipes de jeunes helvétiques et espère obtenir une sélection en Europe. Saintfiet: « Lorsqu’ils sont persuadés qu’ils n’y parviendront pas, ces joueurs acceptent de défendre les couleurs de leur pays africain. À Göteborg, il y a le Suédois Alexander Jallow, et je me suis occupé de Leon Guwara du VVV-Venlo, un garçon qui a la nationalité allemande. » D’autres dossiers sont encore à l’étude: ceux de Mahdi Camara de Saint-Étienne et de Mouhamadou Drammeh du Stade Reims.

La qualification pour la CAN constitue une première pour la Gambie.
La qualification pour la CAN constitue une première pour la Gambie.© BELGAIMAGE – YORICK JANSENS

Une troisième catégorie, hélas de plus en plus répandue, est celle de réfugiés. Des gens qui ont débarqué en Italie après avoir traversé la Méditerranée sur une embarcation de fortune. Ebrima Darboe a 19 ans et joue à la Roma. À Catane, en Serie C, on trouve Kalifa Manneh. Et Bakery Jatta (Hambourg) est aussi un réfugié. Pour l’instant, sa véritable identité est encore contestée, raison pour laquelle il n’a pas encore été sélectionné, mais on ne le perd pas de vue, tout comme Musa Juwara (Bologne). Saintfiet: « Je trouve cela formidable. Ces garçons ont traversé l’enfer et deviennent quand même footballeurs professionnels. Cela signifie qu’en plus de leur talent footballistique, ils ont un mental à toute épreuve. »

Avec tous ces talents, il forme un groupe, à sa manière. Saintfiet: « En tant que sélectionneur, j’accorde peu d’attention au temps de jeu que les joueurs reçoivent dans leur club. Bubacarr Sanneh (Anderlecht) en est un bon exemple. Il peut y avoir plusieurs raisons qui expliquent qu’un joueur ne soit pas aligné. Un entraîneur peut utiliser un système pour lequel le joueur ne convient pas. Ou alors, le joueur n’est pas apprécié par son entraîneur. Il est possible aussi qu’il soit sacrifié au profit d’un jeune du cru, ou d’un autre joueur qui doit être mis en vitrine. C’est la raison pour laquelle, depuis des années, je sélectionne des joueurs qui correspondent à ma philosophie et qui me donnent satisfaction lorsqu’ils sont alignés. Comme sélectionneur, on n’a qu’une ou deux séances d’entraînement avant un match, il faut donc aligner des joueurs qui savent ce que vous attendez d’eux et qui sont capables de remplir leur rôle. »

La qualification pour la CAN constitue une première pour la Gambie.
La qualification pour la CAN constitue une première pour la Gambie.© BELGAIMAGE – YORICK JANSENS

L’appel du président

La Gambie a terminé à la première place d’un groupe pourtant très relevé, qui comprenait le Gabon, le Congo et l’Angola. « Pendant les qualifications, j’ai souvent fait appel à des joueurs italiens, comme Omar Colley ( ex-Genk, ndlr), car la discipline tactique est très importante à mes yeux. Si chacun n’en fait qu’à sa tête, nous n’avons aucune chance. »

Le football devient de plus en plus une affaire d’État. Les médias encensent leurs joueurs préférés, remettent en cause la sélection. Au Gabon, le président téléphone alors qu’ils sont déjà dans le vestiaire, deux heures avant le match. Lors du dernier match à domicile, contre l’Angola, la pression est énorme. « Je n’ai jamais perdu le sourire. J’ai délibérément évité d’évoquer ce moment historique. Un sélectionneur n’a aucune influence sur l’habileté technique et la puissance physique. En revanche, il peut influencer la tactique et le mental. Il peut aussi constituer un groupe bien équilibré, où chacun se bat l’un pour l’autre. On doit pouvoir compter sur des gens sérieux, mais aussi sur l’un ou l’autre garçon capable de mettre l’ambiance, même s’ils ne sont pas les meilleurs footballeurs. C’est la raison pour laquelle un sélectionneur ne convoque pas toujours les 24 ou 25 meilleurs joueurs du pays. Il faut tenir compte du temps de préparation, du caractère de tout un chacun, de la discipline. De nombreux entraîneurs commettent l’erreur d’exiger à l’étranger ce à quoi ils sont habitués dans leur propre pays: des terrains qui ressemblent à des billards, par exemple. La Gambie est un pays musulman, et le vendredi, les musulmans se rendent à la mosquée. Si vous sentez que c’est important pour eux, vous devez les autoriser à s’y rendre, même si cela perturbe votre programme. Il n’y a pas que la science, il y a aussi la raison. Alors que la qualification était acquise, nous devions encore disputer un dernier match au Congo. J’ai dit à mes garçons: Les gars, je ne veux plus vous voir jusqu’au moment de l’embarquement à l’aéroport. Respectez les gestes barrières liés au coronavirus, mais amusez-vous. Pour de nombreux internationaux, les matches avec leur équipe nationale représentent une occasion de revoir leur famille. Une chambre d’hôtel est réservée pour eux à leur arrivée, mais si le premier entraînement est un mardi, je n’irai pas vérifier le lundi soir s’ils sont bien dans leur chambre. Je préfère qu’ils aillent rendre visite à leur famille à ce moment-là que la veille d’un match. »

Il rigole et songe à un exemple récent de cette flexibilité. « Après le match contre le Gabon, nous avons entendu à l’aéroport que nous ne pourrions pas décoller: L’opérateur dans la tour de contrôle s’est endormi. On pourrait alors se mettre en colère, mais qu’ont fait mes joueurs? Ils ont mis la musique à fond! Finalement, nous avons même dû retourner à l’hôtel, car les pilotes ne voulaient pas décoller plus tard. Lorsque nous avons repris possession de nos chambres, le linge était encore par terre. Il faut alors pouvoir garder son calme. »

Ambitions mondiales

Le tirage au sort pour la phase finale au Cameroun aura lieu le 25 juin. Le tournoi débutera en janvier 2022. Saintfiet a l’intention de découvrir où se situent les limites de son équipe. « Ma plus grande crainte, c’est que nous ne respections plus la ligne de conduite. Nous avons atteint cet objectif en jouant d’une certaine manière et nous devons nous y tenir. Si nous nous croyons subitement trop beaux, et que nous faisons fi de la discipline tactique, cela peut rapidement déraper. Nous n’avons pas une vedette capable de faire la différence toute seule. »

Et après? Saintfiet, qui vient de prolonger jusqu’en 2026: « L’objectif ultime, c’est la Coupe du monde. Un jour, j’aimerais y participer comme sélectionneur. »

Des tirs de kalachnikov

Tom Saintfiet a-t-il un jour eu peur? Le pays le plus dangereux dans lequel il a travaillé est le Yémen. « Avant de m’y rendre, j’avais pris contact avec l’ambassade de Belgique », explique le sélectionneur.  » Tous les Européens doivent quitter le Yémen, mais si vous devez absolument vous y rendre pour le travail, logez plutôt au Mövenpick, m’a-t-on répondu. Ce n’était pas le discours de la Fédération lorsque j’ai débarqué: Si une attaque doit survenir, ce sera à cet endroit. J’ai donc logé dans un tout petit hôtel, avec l’équipe. Au septième étage. Dans le hall d’entrée, il y avait des gens armés d’une kalachnikov, dans les couloirs de l’hôtel aussi. Ils surveillaient. Lorsqu’on regardait la ville de Sanaa, on entendait régulièrement des tirs. Mais là-bas, ils tirent en toutes circonstances, même pendant les mariages…

Je ne pouvais sortir que sous protection armée. Lorsque nous allions manger, il y avait une kalachnikov chargée sur la table. À un moment donné, on a entendu des tirs à l’extérieur et on nous a demandé de nous cacher sous la table. Au Yémen, il y avait trois problèmes à ce moment-là: les mouvements séparatistes, Al Qaïda en province, et des tribus qui kidnappaient des gens dans les montagnes, pour construire des ponts avec l’argent récolté, ou des égouts. Si l’on ne collaborait pas, on pouvait vous vendre à Al Qaïda. Au début j’ai eu peur, mais à la longue, je me suis habitué et cette adrénaline a fini par me manquer. On s’habitue à regarder à droite et à gauche, à être sur ses gardes. Les gens sont charmants et la culture arabe est magnifique.

Musa Barrow (Bologne) tombe dans les bras d'un coéquipier.
Musa Barrow (Bologne) tombe dans les bras d’un coéquipier.© BELGAIMAGE – YORICK JANSENS
De Lommel à la Gambie, avec escale à Trinité et les Îles Féroé: le parcours fou de Tom Saintfiet
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