Vincent Mannaert et Bart Verhaeghe doivent une fois de plus trouver un coach © BELGA (Bruno Fahy)

Comment Bruges est tombé dans la crise

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

De Clement à Parker, de Kossounou à Boyata, Bruges a beaucoup changé en deux ans. Tout ça dans un monde où chaque choix est une erreur potentielle. Analyse d’une crise de croissance.

Dans les manuels de littérature, on appellerait ça un oxymore. Une fois les crampons aux pieds, on évoquera plutôt une contradiction. Un paradoxe. La réalité d’un club qui, pour la première fois dans l’histoire de la compétition dans sa version actuelle, a passé l’hiver européen dans la chaleur ouatée de l’espace VIP. L’Atlético et le Bayer Leverkusen laissés dans les rétroviseurs, Bruges s’est invité en huitièmes de finale de Ligue des Champions. Dans le même temps, il n’avait jamais été si loin du sommet au classement national ces dernières années.

Un grand écart devenu encore plus inconfortable quand Scott Parker, venu relayer Carl Hoefkens sur le banc de touche, n’a conquis que deux succès en douze sorties à la tête du Club. Avec, au rayon des défaites, une humiliation au sud-ouest du continent contre Benfica. L’Anglais ne survit pas à la disparition de la Coupe aux grandes oreilles du calendrier brugeois, tout comme son prédécesseur avait succombé quelques jours après l’élimination en Coupe de Belgique. Pour le Club, il ne reste désormais que le championnat. Une compétition transformée en course-poursuite presque désespérée. Parce qu’à force de se tromper d’itinéraire depuis deux ans, Bruges pourrait finir par être rejoint par ses concurrents.

La fin du Bruges de Clement

Champion pour la deuxième fois consécutive sous les ordres de Philippe Clement, mais presque rejoint par un Genk euphorique, le noyau bleu et noir réclame un nouveau souffle à l’été 2021. La perte d’Odilon Kossounou, pion majeur de l’équilibre défensif grâce à une pointe de vitesse qui corrige bien des défauts à l’arrière, est compensée par le transfert de Stanley Nsoki, nouvelle tête d’un mercato qui empile les millions. Faitout Maouassa, Owen Otasowie ou Kamal Sowah posent leurs crampons en Venise du Nord, Wesley et José Izquierdo y font leur retour, et Jack Hendry s’ajoute à la pyramide défensive dans la foulée d’une déconvenue majeure chez le rival gantois (6-1) au bout de l’été. Finalement, rares sont les recrues qui se font une place dans le onze d’un Philippe Clement porté aux nues après un 4/6 inaugural en Ligue des Champions face au PSG et à Leipzig, mais contesté quelques mois plus tard, quand son Club encaisse notamment 18 buts sur ses quatre dernières sorties européennes.

Monaco frappe à la porte brugeoise en même temps que l’hiver, et le départ de Clement a des airs d’aubaine dans des bureaux où la tension montait. Bien plus que trois années auparavant, où leur autorité n’était que nationale (Clement avait été débauché à Genk qui venait de remporter le titre devant le Club), les Blauw en Zwart déploient un planisphère à l’heure de trouver leur nouveau coach. Les possibilités sont plus nombreuses que jamais. Les certitudes ne suivent pas forcément la même logique. « Quand je travaillais à Zulte, j’étais jaloux de mes collègues qui travaillaient dans les grands clubs, avec plus de budget », se rappelait Vincent Mannaert pour Sport/Foot Magazine à l’heure d’évoquer la quête du transfert idéal. « Dix ans plus tard, je peux vous dire que travailler avec plus d’argent, c’est plus difficile. Les limites financières t’obligent à te concentrer sur certains marchés. Avec l’argent, les possibilités sont beaucoup plus larges. »

Schreuder, des idées puis un pompier

La recherche ne mène pourtant pas bien loin. Alfred Schreuder est néerlandais, affiche sur le CV des collaborations avec Erik ten Hag ou Ronald Koeman, est présenté aux médias comme un homme dont Lionel Messi appréciait les séances d’entraînement, mais n’a pas convaincu tout le monde lors de son passage à la tête d’Hoffenheim. Le Néerlandais débarque avec les idées claires et ambitieuses, gagne un match bouclé au-delà des 800 passes face à Saint-Trond mais n’a ni le temps, ni les joueurs pour installer un jeu de position durable sur la pelouse du stade Jan Breydel. C’est donc avec une équipe qui défend à sept et attaque à quatre que le Club profite des play-offs et d’un sprint final parfait en championnat pour coiffer les lauriers.

Recruté en janvier, Andreas Skov Olsen claque six buts et neuf passes décisives en un peu moins de 1200 minutes jouées et valide un nouveau paradoxe. Collectivement, Bruges se sent puissant, alors que son approche tactique est plus individualisée que jamais. Sans ballon, le Club prône la solidarité et s’en remet à la vitesse de Mata et Nsoki, au flair défensif de Mechele et aux miracles de Simon Mignolet pour refermer les portes de son but. Une fois en possession, charge à l’association de Skov Olsen, Noa Lang et Charles De Ketelaere de faire parler les pieds, avec le concours toujours précieux de l’incontournable Hans Vanaken.

En interne, pourtant, tout le monde n’est pas convaincu par les idées de Schreuder. L’Ajax, son ancienne maison, rappelle de toute manière le Néerlandais et force une nouvelle fois Bruges à se positionner sur le marché des coaches. Place à Carl Hoefkens, adjoint de Schreuder et progressivement préparé par la maison bleue et noire, sans pour autant recueillir plus de suffrages dans les locaux futuristes du Belfius Basecamp. Le choix semble pourtant valider la formule autrefois dégainée par Vincent Mannaert, quand le printemps 2016 charriait déjà des rumeurs de retraite pour Michel Preud’homme : « Un entraîneur principal est important, mais un grand club doit parvenir à dépersonnaliser son succès. » Le choix étonne jusqu’aux bureaux de la concurrence mais est adoubé par la campagne européenne, portée à bout de gants par un Mignolet qui se prépare déjà à se chausser d’or.

Kossounou, Nsoki, Boyata

Les quatre matches consécutifs sans encaisser sur la piste aux étoiles du continent masquent une série de choix contestés. Si Ferran Jutgla et Raphaël Onyedika font alors l’unanimité, les transferts de Roman Yaremchuk et de Dedryck Boyata étonnent. L’Ukrainien est de très loin le joueur le plus cher de l’histoire du championnat, et ne parvient pas à le confirmer sur le terrain. Quant au Diable rouge, il remplace numériquement Stanley Nsoki mais son profil est loin de la pointe de vitesse du Français et fragilise le potentiel de correction d’une défense dont l’élément le plus véloce, Clinton Mata, est déjà en délicatesse avec une blessure. L’arrière-garde est toujours surexposée par le jeu offensif prôné en championnat, mais n’a plus personne pour jouer les secouristes devant un Simon Mignolet plus important que jamais. Quand celui-ci revient à une forme plus classique, qui ne lui permet plus de soigner miraculeusement toutes les plaies, il est déjà trop tard pour éviter l’hémorragie.

C’est dans cet environnement que débarque Scott Parker, sans avoir l’opportunité de profiter de la trêve du Mondia pour installer ses idées. À l’image de son équipe, l’Anglais démarre alors une course-poursuite. Le problème, c’est qu’il sprinte dans tous les sens, cherchant en vain une direction à donner à son groupe. Souvent orphelin de l’important Skov Olsen devant, toujours par rassuré derrière malgré le retour de prêt en catastrophe de Jack Hendry, Bruges est finalement confronté au cratère collectif qui s’accroît depuis près de deux ans en Venise du Nord. L’issue est inéluctable, et met Vincent Mannaert et Bart Verhaeghe face à la même question pour la quatrième fois en quatorze mois : à qui confier l’avenir de ce noyau ?

Le premier costume à enfiler par le nouveau venu sera en tout cas celui de pompier, avant de pouvoir se vêtir d’une tenue d’architecte l’été prochain. Tout en se demandant si le même homme pourra vraiment enchaîner ces deux missions. Le contrat de six mois qui aurait été proposé à Alfred Schreuder laisse en tout cas penser que Bruges cherche potentiellement deux coaches en même temps. Un éventuel double choix capital. Parce que depuis que la concurrence s’est mise à appuyer sur l’accélérateur, la prochaine erreur de casting pourrait être celle de trop.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire