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Belgique – Suède: six points sous Terre

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Les Diables jouent leur qualification à pile ou face. Et ils gagnent. Analyse de la victoire belge face à la Suède.

Depuis l’annonce de la retraite internationale de Zlatan Ibrahimovic, les nonante minutes niçoises s’étaient teintées d’une dimension mythologique. Les dieux du football belge allaient écrire la suite de leur légende en affrontant un Titan prêt à tout pour retarder de quelques jours une mort internationale inexorable. Il ne restait qu’à écrire le scénario de cette légende que la Belgique n’imaginait que victorieuse.

Finie, la poésie de l’attaque patiemment construite, où les Diables s’emmêlent dans des strophes trop mal rythmées. Marc Wilmots décide de raconter une histoire de contre-attaque, et demande à ses hommes d’attendre plus bas. Mais pas trop bas quand même. Il faut que le Titan soit toujours assez loin pour ne pas pouvoir atteindre le coeur des Belges. C’est ainsi que débutent les récits à l’eau tiède.

Nainggolan remplace Dembélé dans une équipe qui s’installe dix mètres plus bas que face à l’Irlande, ne craignant que modérément un adversaire qui n’a pas cadré le moindre tir en 180 minutes. Surtout, les Diables misent sur la victoire impérative de la Suède et l’orgueil de Zlatan dans l’espoir d’obtenir des espaces. Mais les Scandinaves n’ont besoin que d’un but. Ils ont le temps. Et les phases arrêtées, dont ce coup franc qui vire au cafouillage et nécessite une première apparition divine de Courtois pour éviter que le scénario oscille entre la course-poursuite et le film catastrophe.

LA BELGIQUE DU CHAOS

Après un prologue énergique, marqué par une course axiale de Kevin De Bruyne, jamais aussi à l’aise que dans une configuration de match anglais, le rythme s’éteint et la Belgique se retrouve dans ce rôle d’inventeur patient qu’elle aime si peu assumer. La possession flâne autour du rectangle, entre un Axel Witsel incapable de jouer en une touche de balle, des dribbles trop rares (un pour Hazard et un pour Carrasco dans le camp adverse) et des tirs trop lointains pour réellement inquiéter Isaksson.

Cette Belgique mythologique, Ovide la décrit involontairement dans ses Métamorphoses. En plein avènement de l’Empire romain, le poète ne connaît évidemment pas Marc Wilmots, Kevin De Bruyne et Eden Hazard. Par contre, il raconte l’histoire du chaos, « masse informe et confuse qui n’était encore rien que poids inerte, amas en un même tout de germes disparates des éléments des choses, sans lien entre eux. »

Le collectif belge est chaotique, au sens mythologique du terme. Dans l’attente d’une apparition divine pour ordonner cette équipe déconnectée. Les appels de balle n’existent pas et rendent chaque passe téléphonée. Le mouvement est absent, tous attendent la balle à l’arrêt pour tenter à leur tour de faire apparaître une occasion. Mais même Hazard, omniprésent (42 touches) dans cette Belgique de possession, n’offre qu’une fenêtre de tir limitée à De Bruyne après une semelle pourtant géniale à l’entrée du rectangle.

L’improvisation fait loi. Privée de contres par des Suédois qui jouent la montre, la Belgique invente des chemins absurdes vers le but. Absurdes et tortueux, puisque personne ne joue en une touche de balle ou ne sacrifie ses chances de but pour créer de fausses pistes. Witsel et Nainggolan ne créent aucun surnombre à la construction, et alimentent encore l’histoire folle d’une Belgique où l’homme qui réussit le plus de passes est l’ailier Hazard (159 en trois matches) pendant qu’Iniesta (286) ou Kroos (348) régalent ces nations que notre « jeu de possession » prétend imiter.

Tout cela force Courtois à arroser Lukaku de longs ballons pour des duels aériens perdus d’avance face aux tours suédoises. La mi-temps se serait terminée sans histoire si Meunier n’avait pas failli écrire la plus belle page de la sienne en prolongeant quelques centimètres trop loin un centre magistral de Kevin De Bruyne après un corner.

ZLATAN DANS L’EAU TIÈDE

Dans le vestiaire, la Belgique se rend-elle compte qu’elle ne parvient pas à effrayer son adversaire ? Toujours est-il que le plan change. Les Diables donnent l’impression de reculer pour mieux sauter. Le match devient chaotique quand les équipes se coupent en deux. Mais le chaos, on gère. Du moins, normalement.

Tapi dans l’ombre avant la pause, Zlatan Ibrahimovic apparaît. Entre le pressing brûlant de Nainggolan et le réalisme glacial d’un Witsel retranché devant sa défense, Ibra plonge dans l’eau tiède d’un milieu désarticulé. La Suède se retrouve trop facilement devant nos défenseurs, et Vermaelen doit multiplier les miracles pour éviter le pire. Le Z trouve même l’ouverture à l’heure de jeu, d’une frappe de tae-kwon-do dont lui seul a le secret, mais l’arbitre invente un jeu dangereux pour sauver la Belgique.

Le match est décousu, et Kevin De Bruyne grandit en même temps que les espaces. Il touche 31 ballons en deuxième mi-temps (seul Meunier fait mieux avec 35). Pas besoin de collectif quand votre deuxième attaquant est une contre-attaque à lui tout seul. KDB lance Lukaku vers la qualification, mais l’épaule d’Isaksson se dresse sur la route du Rom’. La Belgique semble enfin se rendre compte que ce n’est pas Benteke qui joue devant, et offre de la profondeur à son lion après lui avoir demandé en vain de grimper aux arbres. Le but tombe enfin, mais le drapeau de l’assistant laisse le marquoir à zéro.

LA MORT EN FACE

Marc Wilmots écrit-il toujours le scénario ? On doute qu’il ait décidé lui-même d’accorder un rôle majeur à Thibaut Courtois. Pourtant, la Pieuvre se jette à l’eau sur un coup franc vicieux de Zlatan, avant de s’en remettre à Kevin De Bruyne, sauveur absurde mais providentiel, sur un corner suédois. La Belgique a un pied au bord de la tombe, et son bourreau met le paquet.

Ils sont sept. Sept Suédois dans le rectangle belge à la réception d’une longue rentrée. Et donc, plus que deux pour défendre quand Radja Nainggolan gagne son duel et met Hazard sur orbite via De Bruyne et Lukaku. Eden est esseulé à gauche, n’a plus que Durmaz face à lui, mais il ralentit. Ce n’est pas de la nonchalance, c’est de la torture. Noyé par la vitesse du contre, le Suédois pense pouvoir reprendre son souffle, mais Hazard lui replonge la tête dans l’eau en un coup de rein. La passe qui suit est tellement divine qu’elle échappe au réalisateur, humain comme les autres, qui n’avait pas vu que Nainggolan, à la base de l’action, avait aussi décidé d’être à sa conclusion. La Belgique est en huitièmes de finale. Le dixième dribble réussi du tournoi d’Eden Hazard (seul Gareth Bale a fait mieux) nous envoie rencontrer la Hongrie. La Belgique a vaincu un Titan, mais sa victoire ne restera pas dans la légende.

Il paraît que la manière est accessoire. Qu’on « s’en bat les coui**** tant qu’on gagne », selon Kevin De Bruyne. Chacun aura son opinion sur la question. Mais si l’Italie tombe avec panache face à l’Espagne et que la Belgique perd contre une nation sans palmarès en quarts ou en demi-finale, qui aura réussi le meilleur tournoi ?

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