Le capitaine Lukaku guide ses Diables, souvent pris entre les lignes sous l’averse anglaise. © BELGA – Bruno Fahy

Angleterre-Belgique: des Diables et des embarras de circulation (analyse)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur le partage des Diables rouges à Wembley (2-2), au bout d’une rencontre amicale de prestige face aux Three Lions.

Si vous devez mesurer le prestige d’un évènement, rares sont les indices plus fiables que le dresscode. Certes, Wembley ne propose rien de plus qu’une rencontre amicale à l’heure de la saison où les échéances importantes se multiplient. Les Diables ont pourtant du mal à cacher qu’ils ne sont pas venus pour une soirée négligée. Tirée à quatre épingles dans son nouvel outfit pensé en hommage à Tintin et bombardé sur tous les canaux de marketing, la Belgique grimpe sur le tapis vert londonien avec son onze de gala. Toujours pas de Kevin De Bruyne, mais une charnière centrale mauve que beaucoup réclament de longue date et un retour aux affaires de Theate, Mangala, Onana, Doku et Lukaku par rapport au périple à Dublin.

En face, il ne semble initialement y avoir que Phil Foden, Jude Bellingham, Declan Rice et John Stones pour faire rugir les Lions locaux. Le défenseur des Cityzens n’atteint même pas la dixième minute, et son remplacement chamboule une arrière-garde anglaise déjà abondamment remaniée. Puisque tout le monde cherche sa place derrière, Jordan Pickford dégaine la longue-vue pour casser une ligne, mais la tient visiblement à l’envers. Il ne voit en tout cas pas le colossal Amadou Onana sur la trajectoire de sa passe, qui échoue en un ricochet chez Youri Tielemans. Pied gauche, calme. 0-1. C’est un souvenir de la Belgique des grandes heures. Celle qui, quelle que soit la magnificence du décor, est capable de marquer sans même avoir besoin de jouer.

Le score ne change pas le plan anglais. Gareth Southgate demande du calme, et Declan Rice lui en donne. Posé devant la défense, face à un bloc belge recroquevillé dans sa moitié de terrain, le métronome d’Arsenal demande tous les ballons et ne les perd jamais. Dès qu’il est trouvé un échelon plus haut, dans le dos d’un Lukaku qui sert de videur aux portes de l’organisation des Diables, le rythme s’accélère et la Belgique s’évertue à suivre le tempo. Kobbie Mainoo a tout juste l’âge de grimper sur la piste, mais fait danser Tielemans avant d’éteindre Onana et Mangala en une seule passe vers Jude Bellingham. Le nouveau roi de Madrid fait le reste, d’un ballon vers Ivan Toney qui prend Vertonghen de vitesse, amène un penalty et l’égalisation anglaise.

Une possession historique

L’Angleterre s’installe et la Belgique souffre. Si Doku provoque le seul arrêt du match de Pickford après 20 minutes, le quart du match est atteint avec 70% de possession locale. Au coup de sifflet final, les Diables sont sous les 40%, une première depuis leur duel amical contre l’Espagne au lendemain de l’Euro 2016. Sur les dix dernières années, la possession belge n’a d’ailleurs jamais été aussi basse.

Le plan est conscient, puisque les moments nationaux avec le ballon ne dépassent jamais les 45 secondes. En trois passes, la sélection envoie d’ailleurs Lukaku dans la profondeur via un nouveau ballon d’un Tielemans impérial sur les transitions offensives, et il faut un Pickford attentif pour éviter un face-à-face. Sans ballon, par contre, les Diables sont moins sereins que prévus. Le problème se situe dans les intervalles, entre une défense qui met le frein à main pour ne pas être prise de vitesse et des milieux défensifs qui jouent sans rétroviseurs. Entre les lignes, Bellingham, Toney, Mainoo ou Foden ressemblent aux Beatles qui traversent Abbey Road. Même aisance désinvolte, comme si le danger n’existait pas. En vérité, ce sont plutôt eux qui le créent.

Il y a un tacle en urgence d’Onana, autant témoin d’un engagement irréprochable que d’un positionnement approximatif. Une intervention providentielle de Debast pour couper un centre en retrait de Bellingham, puis un hors-jeu de Bowen sur le corner qui suit. Une frappe de Bowen, encore, après un appui anglais sur un Ivan Toney resté hors de portée de Vertonghen sans pour autant marcher sur les pieds d’Onana et Mangala, tant le passage clouté d’Abbey Road prend des dimensions démesurées. Le jeu sans ballon des Diables ressemble à une séance de torture, s’éternisant dans un écartèlement de plus en plus insoutenable.

La possession, elle, galère face à l’ambitieuse pression anglaise. Souvent, Matz Sels choisit le côté gauche comme porte de sortie, parce qu’il mène en deux passes – via Vertonghen puis Theate – jusqu’aux pieds de Jérémy Doku, garantie de ballons gelés voire d’accélérations contre une défense exposée. De l’autre côté, Leandro Trossard est plus discret dans le camp adverse, mais tout aussi précieux pour geler les ballons envoyés par les timides Debast et Castagne. Le gardien belge tente parfois l’aventure de la passe axiale, mais est refroidi par ce ballon claqué vers un Onana mis dans de sales draps par sa mauvaise posture à l’heure de le contrôler, et malmené par Mainoo sur une séquence qui mène à un raté inimaginable de Bellingham. Indice majeur du décalage entre les deux plans de jeu, Onana conclut la rencontre avec 35 passes tentées, à distance considérable des 93 de Rice.

La survie des Diables

Alors que les Anglais ont le match entre les pieds, Leandro Trossard émerge d’une surface belge assiégée pour alerter Tielemans. Comme un poisson dans l’eau dans le torrent permanent des transitions à l’anglaise, Youri trace une diagonale vers Lukaku. Lewis Dunk tacle comme s’il ne pouvait rien faire d’autre, signe la deuxième erreur défensive locale de la soirée, et reste spectateur pour la voir sanctionnée du deuxième but diabolique. Big Rom sert un caviar instagrammable de l’extérieur du gauche comme il l’avait déjà fait à Lautaro Martinez lors de sa grande année interiste, et Tielemans place son front au bout d’une course de cinquante mètres pour redonner aux Diables un avantage inespéré. Ni Bellingham, ni Bowen ne parviennent à répondre, trouvant sur le chemin de leur frappe un Sels bien installé derrière un bloc bas qui lui rappelle probablement ses années Ligue 1.

Le passage au vestiaire ne fait que conforter les plans. Southgate appuie là où ça fait mal, envoyant de plus en plus souvent Ben Chilwell occuper le couloir gauche pour inviter Foden à danser sur le passage clouté. Mangala et Onana peinent à réguler la circulation. Le grand milieu des Toffees passe sa rencontre à tacler, transformant la défense en un show permanent qui serait superflu avec un positionnement plus cohérent. Quand même ses jambes interminables sont trop courtes, les occasions anglaises se multiplient: Sels sort le grand jeu sur une frappe de Toney après un contrôle orienté de Foden qui efface tout le milieu belge, Debast tacle en catastrophe pour avorter une combinaison locale et le ballon s’envole incompréhensiblement après avoir été déposé sur le front de Bellingham.

La Belgique n’existe qu’en transition, quand elle s’appuie sur Lukaku ou regarde Doku dribbler (dix des seize dribbles tentés par les Diables à lui seul). Tedesco insiste sur ce plan avec l’entrée des jambes véloces de Dodi Lukebakio, puis referme les portes de son milieu de terrain avec l’entrée de Vranckx quand Matz Sels doit successivement briller sur une reprise de Bowen et une frappe de Mainoo. Les changements traditionnels de fin de rencontre amicale altèrent le rythme, mais ne changent pas le scénario, toujours plus proche d’une égalisation anglaise même si Lukebakio ne transforme pas un ballon de but de Doku à l’aube des arrêts de jeu.

La défense des Diables, friable ou surexposée?

Wout Faes pense alors que la balle de match est pour lui, quand il célèbre comme un buteur son intervention sur la trajectoire d’une frappe de Bellingham. Il reste pourtant un dernier ballon tombé du ciel, à la chute d’un coup franc de Pickford. Onana est trop avancé pour le premier duel, Vranckx trop loin du second, et Meunier est pris au piège que redoutent tous les défenseurs, paralysé contre la ligne de fond en évitant de concéder un corner pendant que Watkins se jette avec l’énergie de celui qui n’a rien à perdre. Un coup de patte précis de Maddison plus tard, Bellingham hérite de la quatorzième frappe de la soirée dans la surface belge, et sanctionne les Diables: 2-2 à Wembley.

L’égalisation est presque salutaire, tant elle évite l’euphorie d’un résultat digne des meilleurs trompe-l’œil que les candidats de Top Chef servent le lundi soir. La Belgique quitte Londres avec une prestation plus courageuse que solide, plus cynique que maîtrisée. Avec la satisfaction d’avoir retrouvé Youri Tielemans mais la crainte que sa défense ne tienne pas le choc quand les grandes nations sortiront le bulldozer offensif. Les coups répétés contre les portes de l’arrière-garde donnent des maux de tête au Diable. Est-ce parce que le matériau manque de solidité, ou plutôt parce que les adversaires peuvent y frapper bien trop souvent?

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