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Federer, le masque de fer

Après vingt-quatre ans de carrière et vingt titres glanés en Grand Chelem, le tennisman suisse laisse l’image d’un génie aussi à l’aise pour manier sa raquette que sa communication, sur et hors des courts.

Chacun son truc. Ilie Nastase s’est distingué en se plaignant du bruit des avions survolant le court, Marat Safin en baissant son short après un point et John McEnroe en insultant l’arbitre central. Roger Federer, lui, n’a rien fait de tout cela. En tant qu’adulte, du moins. Durant ses jeunes années à Bâle, le Suisse piquait des crises et pouvait pleurer de rage au point de ne plus voir la balle. Bien pris en charge, l’adolescent enchaîne alors les entraînements basés sur l’autocontrôle pour apprendre à réduire la place laissée à l’instinct. Si personne ne l’imagine capable de grimper sur le toit du monde du tennis et encore moins d’incarner une marque d’élégance à son arrivée sur le circuit pro en 1998, les choses évolueront rapidement. «Federer doit ce changement à la fois à sa rencontre avec sa femme, l’ex-joueuse de tennis Mirka Vavrinec, qui l’a assagi, à son ami, l’ancien professionnel Marc Rosset, qui l’a conseillé et à ses premiers succès, qui l’ont convaincu qu’il était sur la bonne voie», énumère Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport et auteur d’ouvrages sur le sujet.

Si je m’énerve, mon adversaire me prendra de l’énergie et il s’en nourrira.

Au début, le Bâlois est lui-même surpris par ce nouveau joueur très calme qu’il incarne sur le court. «Mais je [me suis] dit que je ne voulais plus partager toutes mes émotions, confiera-t-il au magazine 40-A. Si je m’énerve, mon adversaire me prendra de l’énergie et il s’en nourrira.» De jeune pousse qui s’emporte pour un point, Federer passe en quelques années au statut de pro capable de se maîtriser. Et d’enchaîner les titres. Pas moins de 103 en vingt-quatre ans de carrière, dont vingt en Grand Chelem, pour 310 semaines passées en tête du classement ATP et 130 millions d’euros accumulés rien que sur les courts.

Son épouse, Mirka Vavrinec, veille au strict respect de son intimité. Et il ne faut pas compter sur «RF» pour dévoiler ses opinions, contrairement à Djokovic, ou jouer les extravagants comme Agassi.
Son épouse, Mirka Vavrinec, veille au strict respect de son intimité. Et il ne faut pas compter sur «RF» pour dévoiler ses opinions, contrairement à Djokovic, ou jouer les extravagants comme Agassi. © getty images

Dans une discipline dont l’indispensable mais terrible rigueur mentale a pu rendre fous certains des plus grands champions de l’histoire, Roger Federer est parvenu à devenir et rester ce joueur bourré de talent, mettant tout le monde d’accord grâce à son charisme et son flegme. Il n’a pas de tics, n’abandonne jamais un match sur blessure ni ne pleure comme un enfant quand il en perd un. Cette «excellence silencieuse» est également servie par une certaine classe: le Suisse n’est pas du genre à se faire pincer pour une moumoute de travers sur le crâne, comme Andre Agassi. Il se fait d’ailleurs conseiller par des spécialistes lorsqu’il s’agit de choisir ses tenues vestimentaires. Impeccable, au point que son ancien rival Andy Roddick confie être incapable de le haïr: «Rien à faire, je n’y arrive pas. Il est trop sympa

Intelligent et éduqué

Le contrôle du Suisse ne se limite pas au terrain. Au fil des années, il a structuré et professionnalisé son entourage pour verrouiller le strict respect de son intimité. Que ce soient ses parents, ses amis ou les nounous de ses quatre enfants, personne ne parle, c’est son épouse et véritable bras droit, Mirka Vavrinec, qui y veille. «En parallèle, Federer a fait les bons choix dans ses collaborations avec les marques, ajoute Jean-Baptiste Guégan. Il a eu une exclusivité avec Nike qui a commercialisé sa propre ligne de vêtements RF, puis il est passé chez Uniqlo pour 300 millions d’euros. Les fleurons du luxe comme Rolex, Mercedes et Rimowa se sont ensuite positionnés et ce petit monde a contribué à asseoir son image

Federer a fait les bons choix dans ses collaborations avec les marques. Les fleurons du luxe ont contribué à asseoir son image.

Pour autant, le champion n’est pas un imposteur. Il est concrètement actif dans l’humanitaire, notamment avec sa fondation qui vient en aide aux enfants défavorisés en Afrique, est sincèrement gentil et résolument ouvert d’esprit. «C’est quelqu’un d’intelligent et d’éduqué, reprend Guégan. Contrairement à beaucoup d’autres tennismen professionnels, il a continué à apprendre et à se cultiver pendant sa carrière. A chaque tournoi, il allait voir ce qui se passait autour de lui, il discutait avec les gens et montrait un véritable intérêt. Il s’est, en quelque sorte, construit avec la rencontre de l’autre.»

Dans la sphère médiatique, Roger Federer se montre impossible à prendre à revers. Il mène ses conférences de presse en anglais, allemand et français, il est prudent et peu actif sur les réseaux sociaux et sait choisir à qui accorder une interview. «J’ai pensé à prendre des cours, mais j’ai toujours trouvé important de rester naturel, confessait-il voici quelques années à la RTS. C’est bien d’être préparé […] mais c’est important de ne pas se laisser faire par des fonctionnaires, des managers, tes parents, tes coachs ou tous ceux qui ont une opinion. C’est peut-être pour ça que les gens aiment bien m’écouter: ils savent que je donne peut-être un peu plus que le mec normal…»

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Loin d’assumer ses positions comme Novak Djokovic, opposé au vaccin contre le Covid, ou d’attaquer publiquement ses congénères à la façon de Nick Kyrgios, «RF» n’aura jamais offert de sortie véritablement croustillante. «Sa maîtrise de la communication est parfaite, analyse encore Jean-Baptiste Guégan. Il connaît ses domaines de compétence et il a toujours une manière distinguée de noyer le poisson, ou, en tout cas, d’éviter de répondre frontalement. Il lui est arrivé de se positionner par des actions, mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’il condamne l’organisation du Mondial au Qatar, par exemple.» Un professionnalisme à outrance, une ouverture d’esprit et un don pour le consensuel qui ont toujours contraint les observateurs à se focaliser sur son tennis. Il y avait déjà tant à dire…

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