Remco Evenepoel a remporté La Doyenne pour la deuxième fois consécutive. © BELGA

Liège-Bastogne-Liège: analyse du plan parfait de Remco Evenepoel, inspiré par Philippe Gilbert

Analyse de la victoire de Remco Evenepoel à Liège-Bastogne-Liège, avec le Giro dans le viseur.

Au début du mois de septembre 2017, Patrick Evenepoel contacte Philippe Gilbert et son frère Christian. L’objet de son appel : savoir s’ils ont encore une place pour la Forte Young Cycling Team de son fils au départ de leur course pour juniors, « la Philippe Gilbert ». Le jeune Remco fait du vélo depuis cinq mois, mais il veut participer. Et gagner.

À chaque personne qui veut bien l’entendre, Remco Evenepoel répète qu’il est là pour gagner. Sur le cadre de son nouveau vélo Specialized, reçu en prêt de Quick Step, il colle un petit papier rempli du nom des côtes où il veut tout faire exploser.

Premier test dans la côte de Xhierfomont : un point d’exclamation. Ensuite, accélérer dans la côte de Vecquée : deux points d’exclamation. Enfin, lâcher tout le monde dans la dernière montée, la côte de la Redoute : un grand et gros point d’exclamation, surligné au fluo.

Le plan se déroule sans accroc. Evenepoel gagne, avec 24 secondes d’avance, succède à un certain Tom Pidcock au palmarès de « La Philippe Gilbert », et tape dans l’œil du parrain de la course.

La reconnaissance de Gilbert

Quatre ans et huit mois plus tard, en avril 2022, Philippe Gilbert n’est donc pas tellement surpris quand il voit son ancien coéquipier Remco Evenepoel lui succéder au palmarès belge de la Doyenne, onze ans après son succès à Ans. Le jeune champion a placé son démarrage décisif juste après le sommet de La Redoute, évidemment.

Un endroit stratégique disparu cette année, notamment parce que Philippe Gilbert lui-même a soufflé à Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint d’ASO (organisateur de la course), une nouvelle opportunité de durcir le parcours : en haut de La Redoute, le peloton ne virera plus à gauche, mais à droite, comme dans sa course pour les juniors. Une manière de rendre le placement plus important dans la côte mythique, la rendant plus décisive pour la finale où est ajoutée, également à la suggestion du champion du monde 2012, la côte de Cornément, peu après La Redoute.

Quand Gilbert remonte en selle vendredi dernier, pour reconnaître la finale avec ses anciens équipiers de Quick-Step, ils sont unanimes : cette nouvelle route après La Redoute sera cruciale dans le déroulement de la course, et devient une plate-forme de lancement idéale pour leur fusée arc-en-ciel. Notamment parce que le vent soufflera dans le dos après avoir franchi le sommet.

Le patron des lieux n’a pourtant pas pu parler avec Remco Evenepoel, qui a profité de l’enchainement de La Redoute et de Cornémont pour tester ses jambes. Un galop d’entrainement qui le place troisième et deuxième des segments sur Strava. Un sérieux avertissement pour ses concurrents, Tadej Pogacar en tête.

Sans Tadej Pogacar, le plan des Soudal Quick-Step s’est déroulé sans accroc – BELGA PHOTO JASPER JACOBS

Un travail d’équipe exemplaire

Malheureusement pour les spectateurs neutres, le grand duel entre Tadej Pogacar et Remco Evenepoel n’a pas eu lieu, suite à la chute et à l’abandon du Slovène. Soudal Quick-Step a calmement récité son plan A : démarrer dans La Redoute.

Malgré les jambes décevantes des lieutenants Schmid et Bagioli, l’équipe ne s’est pas décomposée. Pieter Serry a redoublé d’efforts, Julian Alaphilippe s’est complètement sacrifié, et Louis Vervaeke a pris la tête du peloton de 72 à 46 kilomètres de l’arrivée, avant de faire un retour éclair pour un dernier relais. Il restait à Ilan Van Wilder à emmener le groupe jusqu’à 400 mètres du sommet de La Redoute.

La fusée Evenepoel pouvait s’envoler. Seul Tom Pidcock, l’autre ancien vainqueur de « La Philippe Gilbert », a pu l’accompagner, se mettant clairement dans le rouge au point de refuser le relais demandé par Remco, contrairement à ses habitudes.

À 29,9 kilomètres de l’arrivée, le champion du monde l’a donc décroché de sa roue sans même attaquer. Comme il l’avait fait avec Simon Yates à San Sebastian ou Alexey Lutsenko aux Mondiaux l’an dernier. À peine sept kilomètres plus loin, en haut de la Côte des Forges, l’écart était déjà d’une minute. Un gouffre encore élargi d’une trentaine de secondes dans la descente vers Liège.

Evenepoel face aux meilleurs

C’était alors le temps de profiter. De désigner ce maillot arc-en-ciel avec lequel il espérait tant gagner. Comme Ferdi Kubler en 1952, Eddy Merckx en 1972 ou Moreno Argentin en 1987, il s’impose à Liège en tant que champion du monde et tenant du titre de la Doyenne.

Un triomphe annoncé après une attaque programmée, sans que personne ne puisse contrarier son plan. Une domination sans partage, aussi belle que peu télégénique. Mais le manque de suspense, Evenepoel n’y peut rien.

Le duel attendu entre Tadej Pogacar et Remco Evenepoel n’a pas eu lieu – BELGA

Il aurait certainement préféré confirmer son mantra, gravé sur son vélo : To be the best you have to beat the best. Dans ce cas précis, lâcher Tadej Pogacar ou le battre au sprint. Y serait-il parvenu ? On le ne saura jamais.

Tranquille comme Remco

Une chose est sûre : Remco Evenepoel est « un homme en mission », comme le postent fréquemment les responsables des réseaux sociaux de son équipe. Après sa victoire, il semblait aussi heureux que serein. Sans euphorie excessive, contrairement à l’année dernière.

Sa maman Agna disait à l’arrivée que son fils était désormais habité par une énorme tranquillité. Celle d’un gamin de 23 ans qui fait des choses folles avec ses jambes parce qu’il semble déjà se connaitre par cœur.

Encore plus que La Doyenne, c’est le Giro qui habite son esprit cette année. Il l’avait probablement en tête dans les derniers kilomètres, évitant tous les risques en direction de Liège. Avant le départ, il a d’ailleurs étonnamment déclaré qu’il s’était surtout préparé pour être au sommet de sa forme pour la terrible troisième semaine du Giro. Dans plus d’un mois, donc. Qu’il espérait, aussi, grappiller encore quelques pourcents dans les douze jours à venir, d’ici à la Grande Partenza sur la côte adriatique.

Plutôt que vers Liège, c’est vers l’Espagne que son père Patrick a d’ailleurs pris la route ce dimanche. Il veut surtout être présent pour son fils qui y retourne dès ce lundi, afin d’entamer la dernière ligne droite de sa préparation pour le Giro.

Tout pour la mission, afin de réaliser la deuxième partie de l’objectif ultime des Evenepoel : remporter les trois grands tours. Un rêve ponctué d’un gros point d’exclamation et surligné au fluo, comme le plan d’attaque dans La Redoute pour « La Philippe Gilbert » de 2017.

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