Vagabundo

Le Portugais du Standard étale une classe à tous les niveaux.

Le sommet Ecofin, qui réunissait les ministres des Finances des pays de la zone Euro le week-end dernier à Liège pouvait-il rêver meilleur voisinage qu’un match de football entre le Standard et Strasbourg, véritable derby au niveau européen?

Malheureusement, le climat de terreur qui pèse actuellement sur le monde a transformé la fête en clan retranché et il faut rendre grâce au bourgmestre de Liège d’avoir mis tout son poids dans la balance pour que la rencontre puisse tout de même avoir lieu…

Le déploiement de forces de l’ordre était, il est vrai, très impressionnant avec pratiquement un policier par supporter strasbourgeois… mais on s’est rapidement rendu compte que c’étaient surtout les fans du Standard qui risquaient de poser problème. On peut tout de même se demander ce qui se passe dans la tête de ces gars prêts à mettre le stade à feu et à sang pour exiger que leur club se qualifie pour la Coupe d’Europe mais qui, une fois l’objectif atteint, ne sont pas des plus nombreux à se déplacer au stade (14.000 personnes seulement) et font tout pour pénaliser leurs couleurs. Que ce serait-il passé si Chilavert avait joué plus longtemps la comédie lorsqu’un pétard avait atterri près de son but?

Ajoutez-y le fait que les deux équipes avaient eu tout le loisir de s’espionner ( Michel Preud’homme et Stan Vandenbuys avaient vu Strasbourg à trois reprises) et il est déjà plus compréhensible qu’on ait assisté à un match assez fermé, chacun luttant avant tout pour ne pas prendre de but.

Comme face à Mouscron le week-end précédent, le Standard n’a certainement pas livré un grand match, Strasbourg a souvent été en possession du ballon, surtout après le repos, mais l’observateur a parfois tendance à confondre « grande prestation » et « efficacité ». Face à une formation alsacienne en mal de frappe offensive depuis le départ de Luyandula à Lyon, les Liégeois ont atteint l’objectif qu’ils s’étaient fixé et peuvent se permettre d’aborder leur déplacement en Alsace avec une bonne dose de sérénité.

Le meilleur Portugais à l’étranger?

Encore que Moreira prévienne immédiatement: « Attention tout de même à l’excès de confiance. A Strasbourg, ce sont les Français qui bénéficieront de l’appui de leur public et si nous encaissons un but dans la première demi-heure, nous devons être prêts à soutenir un siège jusqu’à la fin du match ».

Tout le monde s’accorde à dire que le petit Portugais fut le véritable ouvre-boîte de cette partie, un éloge qu’il réfute en insistant sur le rôle impeccable joué par la défense et sur les bons ballons que lui ont adressé tant Dragutinovic que Walem. Ce qui ne l’empêche évidemment pas d’être heureux d’avoir inscrit ses deux premiers buts officiels pour le compte du Standard: « On dit toujours qu’en Coupe d’Europe, un but à l’extérieur compte double mais je me demande si, pour un joueur, un but marqué dans cette compétition n’en vaut pas deux également… Depuis mon arrivée en Belgique, hormis avant la rencontre amicale face au Sporting Lisbonne, aucun journaliste portugais ne m’avait encore contacté. Apprenant que j’avais inscrit deux buts face à Strasbourg, des journalistes de O Jogo et du site internet Maisfutebol m’ont immédiatement téléphoné ».

Ils lui ont ainsi appris qu’il est actuellement le mieux côté parmi les Portugais évoluant à l’étranger. Même si la Liga espagnole et le championnat d’Italie n’en sont encore qu’à leurs débuts, il s’agit d’un bel exploit quand on sait que pratiquement la moitié des joueurs de l’équipe nationale portugaise évolue hors frontière.

A Strasbourg aussi, le nom de Moreira fait encore tourner la tête des défenseurs et l’entraîneur, Ivan Hasek, a souligné combien un tel élément manquait à son équipe.

Moreira semble trouver la bonne carburation après une période de préparation prometteuse suivie d’un début de championnat où il avait fait preuve de beaucoup de présence dans le jeu mais n’avait pratiquement jamais pu faire la différence en zone de vérité.

« Mon adaptation a pourtant été beaucoup plus facile que je ne le pensais, notamment parce que j’ai rencontré des gens extraordinaires qui m’ont beaucoup aidé dans la vie de tous les jours », dit-il.

Il faut en effet savoir que, depuis cette saison, les joueurs du Standard sont chargés de trouver eux-mêmes une voiture, un appartement, etc. Ce qui n’est pas toujours évident lorsqu’on débarque de l’étranger sans parler un mot de français. Ce n’est pourtant pas cela qui fit perdre sa bonne humeur à Moreira et c’est peut-être au niveau de son football qu’il se posait le plus de questions…

« Je veux dribbler »

« Notre entraîneur sait exactement où il veut en venir et a une idée très précise du travail de chaque joueur », précise-t-il. « Après quelques semaines d’entraînement, il m’a expliqué que je devais lâcher mon ballon plus vite. Il martelait sans cesse cela et me gavait de consignes, au point que j’en avais parfois mal à la tête au terme de l’entraînement. Las d’essuyer autant de remarques, j’ai appliqué ce qu’il me demandait à la lettre et je me suis mis à jouer très latéralement. Mais ce n’est pas mon jeu, je n’étais pas des plus à l’aise dans cette fonction et, avant le match contre Mouscron, je me suis dit que je devais montrer que j’étais capable de beaucoup mieux. C’était important pour ma confiance mais aussi pour l’équipe, qui manquait parfois d’actions de rupture. Face aux Hurlus, j’ai dribblé davantage en profondeur et je me suis retrouvé à la base des deux buts. L’entraîneur a bien remarqué que j’étais beaucoup plus libéré et, avant le match contre Strasbourg, il m’a demandé de répéter ce genre de phases. Mais grâce à lui, je sens désormais beaucoup mieux le moment où je dois y aller et celui où il faut temporiser. Alors, je me dis qu’il a bien fait de me freiner et que ce fut une grande leçon pour moi ».

Autre changement qui a peut-être son importance: depuis la blessure de Lukunku et suite à la méforme d’ Aarst, le Standard ne joue plus avec un avant de pointe fixe mais avec Michaël Goossens, qui remue beaucoup plus.

« Il y a dès lors beaucoup plus de mouvement sur toute la largeur de la ligne d’attaque et cela me permet de mieux me recentrer par moments », commente Moreira qui estime cependant qu’il pourrait recevoir bien plus de ballons encore. « C’est sans doute une question de temps. Deux des trois médians sont gauchers et orientent peut-être plus naturellement le jeu de ce côté. Je remarque toutefois que, depuis notre match catastrophique à Belenenses le 1er août, à dix jours du début du championnat, nous avons accompli énormément de chemin ».

« Preud’homme nous donne beaucoup de confiance »

Moreira estime d’ailleurs que, de manière générale, la critique est très sévère avec le Standard, à qui on reproche de manquer de panache, surtout en déplacement: « Si les gens confondent spectacle et efficacité, c’est leur problème, pas le nôtre. Il faut savoir attendre, calculer. Michel Preud’homme insiste beaucoup sur la patience et cette équipe fait preuve de beaucoup de maturité, sans doute aussi parce que notre entraîneur est le premier à garder son calme. Il lui est déjà arrivé de se fâcher à l’entraînement, parce qu’il estimait que nous n’étions pas assez concentrés dans un exercice de passes mais pendant et après les matches, il reste toujours étonnamment serein et cela nous remplit de confiance. Tout le monde nous prédisait un championnat difficile mais nous n’avons pas encore été battus. On nous avait également dit de nous méfier de Skopje mais nous avons passé le cap du tour préliminaire et nous sommes sur la bonne voie face à Strasbourg. Pour ce qui est des matches en déplacement, je ne suis pas d’accord. D’abord parce que nous n’avons encore joué que trois fois hors de nos murs et qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions. Ensuite parce que, sur ces trois tests, nous n’avons raté que les premières mi-temps de Skopje et de St-Trond, sans doute parce que nous ne sommes pas encore suffisamment sûrs de nous. A Charleroi, je regrette, mais nous avons bien résisté à dix et nous aurions même pu l’emporter si la chance avait souri à Dragutinovic ou à Lukunku ».

On constate également que le Standard abuse encore trop de longs ballons, ce qui est contraire au football tout en mouvement prôné par Preud’homme. Difficile, pour un attaquant, d’être bien servi dans ces conditions? « Tant que ce n’est pas systématique, je ne vois pas où est le problème. Quand on ne joue qu’à trois dans l’entrejeu, il arrive que tout le monde soit marqué. Dans ces cas-là, ne vaut-il pas mieux adresser une longue passe précise à l’un des attaquants qui se charge de protéger le cuir? Même Baresi faisait ça, non? (il rit). C’est une expression de Jaime Pacheco, mon ancien entraîneur à Boavista. Il nous répétait toujours que notre rôle n’était pas de nous prendre pour des Maradona. Le plus important, c’est de savoir utiliser ses caractéristiques ».

Peur de rien

Autre héritage que Moreira a ramené du Portugal: son goût pour la récupération du ballon. S’il a tapé dans l’oeil de Preud’homme et si celui-ci l’a maintenu dans l’équipe, ce n’est pas seulement pour ses qualités de rupture mais aussi parce que le Portugais travaille davantage que la moyenne des attaquants. « J’ai toujours été habitué à cela. Peut-être parce que j’évoluais dans des équipes plus modestes où chacun devait accomplir sa part de boulot mais surtout parce que c’est dans ma nature. A Gil Vicente, j’étais vagabundo. C’est ainsi que l’on appelle le deuxième attaquant, celui qui est chargé de déstabiliser la défense et de gêner la relance de l’adversaire. Aussitôt une action terminée, Alvaro Magalhaes, mon entraîneur, m’indiquait l’endroit où me replacer. Jaime Pacheco est de la même trempe et, après un an sans jouer, vous comprenez que ma volonté soit encore décuplée ».

Même le jeu dur auquel il est parfois soumis ne semble pas l’offusquer. Il répond à la provocation en secouant la tête, jamais par des gestes de vengeance ni en harcelant l’arbitre. Pourtant, des joueurs comme le Strasbourgeois Devaux ne l’ont pas épargné.

« Beaucoup de joueurs visent délibérément l’homme plutôt que le ballon », constate-t-il. « A St-Trond, on m’a carrément marché dessus et mon adversaire ne cessait de me parler. Je ne peux pas jurer qu’il m’insultait puisque je ne comprenais rien à son sabir mais je suppose tout de même qu’il ne m’invitait pas à prendre un café. Enfin, c’était tout de même moins violent que Jean-Claude Van Damme, mon acteur préféré (il rit)« .

Même si la saison n’en est encore qu’à ses premiers pas et qu’il n’a pas encore rencontré d’adversaire-épouvantail, le Standard semble donc mieux parti qu’on pouvait le penser.

Moreira refuse pourtant d’entrer dans les déclarations matamoresques: « Quand j’ai signé mon contrat, le club ne m’a pas parlé d’objectif, si ce n’est au niveau personnel puisqu’on m’a demandé de m’impliquer à fond pour relancer ma carrière et être le plus utile possible à l’équipe. Je m’en tiens donc à cela et tout le groupe vit au jour le jour. Nous n’avons pas parlé une seule fois de Strasbourg avant le match à St-Trond. Et dès que la remise de la partie fut annoncée, nous nous sommes reconcentrés sur Mouscron. C’est peut-être ce qui nous a permis de remporter ce match. Nous respectons énormément l’adversaire en ne lui laissant pas l’occasion de développer son jeu. Une équipe qui doute se montre déjà moins téméraire et cela nous permet alors de nous installer dans son camp ».

Tahamata s’est trompé

Et c’est là que Moreira peut véritablement entrer en action pour prouver à Tahamata qu’il s’était complètement blousé à son égard, ne serait-ce que parce qu’il l’avait classé parmi les joueurs sachant uniquement se servir de leur pied gauche. « Or, je suis droitier », rigole Moreira. « Mais de fait, si le ballon vient sur mon gauche, je ne cherche pas à changer. Ne me demandez pas comment cela se fait, je n’en sais rien. Je suppose que c’est un don de la nature ».

Sa popularité, en tout cas, ne fait que grimper dans la Cité ardente. Que ce soit au supermarché ou à la banque, les gens le saluent d’un pouce levé, d’une tape sur l’épaule… « C’est agréable et j’aimerais pouvoir leur répondre. Ce sera sans doute pour dans quelques mois, dès que j’aurai trouvé un professeur de français ».

S’il n’est pas déjà retourné dans son pays avant de pouvoir conjugué les auxiliaires être et avoir car Moreira n’est sous contrat à Sclessin que pour deux ans et on affirme déjà que le FC Porto, qui avait un oeil sur lui bien avant son arrivée en Belgique, souhaite l’embrigader au terme de cette saison.

Patrice Sintzen

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