Un nom au panthéon

A 30 ans, elle réussit la plus belle performance de sa carrière. Son travail et un mental d’acier y sont pour beaucoup.

Il est 21 h 03. La finale du saut en hauteur n’est pas encore finie mais le tournant décisif vient d’avoir lieu. Bien dans le concours, Tia Hellebaut court derrière la favorite, la Croate Blanka Vlasic qui a réussi tous ses sauts au premier essai. Jusqu’à 2,05m. Vlasic a raté une fois. Une fois de trop car à 21 h 03, Hellebaut passe cette barre du premier coup. Une barre qu’elle n’a passée qu’une seule fois, en indoor, lors des championnats d’Europe de Birmingham. Cinq centimètres de plus que sa meilleure performance de l’année.  » C’est vrai qu’en ne réussissant que 2m Tia ne pointait qu’au sixième rang mondial mais beaucoup de monde n’avait pas vu qu’elle avait réalisé cette performance lors du dernier meeting de préparation à Heusden. C’est la preuve qu’elle montait en puissance « , explique son entraîneur et compagnon, Wim Vandeven.

Il est 21 h 03 et la finale vient de basculer. Vandeven s’en est rendu compte. Il exulte au moment du saut. Et pourtant, rien n’est joué. Hellebaut boîte, Vlasic passe 2,05m quelques minutes plus tard mais face à la pression, elle ne parvient pas à franchir 2,07m. Hellebaut n’essayera qu’une fois avant de laisser l’initiative à la Croate.  » On savait qu’il fallait mettre la pression sur Vlasic. Or, on ne peut la mettre qu’à 2,03 ou 2,05m. Vlasic a l’habitude de passer plus de 2m tout au long de l’année mais une fois qu’elle est accrochée par une concurrente, elle a tendance à lâcher « , ajoute Vandeven. Tactique et bluff :  » Tia avait des crampes. Si Vlasic passait 2,07m, c’en était fini. « 

Entre les passages du 5.000 mètres, les plots de départ du 4×400 et les hymnes, Hellebaut va et vient. Elle passe 1,89m lorsque les filles du 4×100 montent sur le podium pour recevoir leur médaille d’argent. Elle serre les poings lorsqu’elle voit une des ses concurrentes lâcher prise mais va consoler l’Américaine Chaunte Howard lorsque celle-ci s’échoue à 2,01m. C’est aussi cela la méthode Hellebaut.  » Elle a apporté de la fraîcheur au saut en hauteur. Elle discute avec les autres concurrentes et beaucoup l’apprécient. Sa personnalité fait beaucoup et cela lui vient de l’heptathlon où toutes les athlètes deviennent de vraies amies à force de passer deux jours ensemble. La seule qui reste à part, c’est Vlasic. Elle n’a pas beaucoup de contacts avec les autres « , ajoute Vandeven. L’inverse de Tia qui déjeune un jour au village olympique avec la Russe Anna Chicherova, médaille de bronze, ou passe son concours à blaguer avec Howard.

Il est 22 h et la Belgique connaît enfin un successeur à Gaston Roelants, dernier champion olympique belge en athlétisme. C’était en 1964. L’attente fut longue mais elle en valait la peine. Le podium est monté. Tia grimpe dessus. Le relais 4×400 masculin s’empresse de quitter la zone mixte pour filer vers les tribunes et vivre la Brabançonne de Tia. Car, il faudra s’y faire. Désormais, son prénom ne lui appartient plus car en Belgique, on aime se sentir proche de ses championnes. Alors, Tia rejoint Kim et Justine au panthéon des prénoms adorés.  » Le pays l’aime bien. Cela se sent. Elle essaye de parler français et les médias francophones apprécient cet effort. Elle est sympa et spontanée. Un peu comme Kim. Et ce n’est pas une image. Elle est naturelle. Dans la vie, elle est comme cela aussi « , continue Vandeven.

Le parallèle est vite établi avec Kim Gevaert.  » Cela fait quinze ans que l’on se connaît. Alors oui, on s’entend bien. La vie sur le circuit sera différente sans elle « , lâche Hellebaut. Après la médaille d’argent du relais féminin, Tia n’a pas manqué d’envoyer un SMS – Vous m’avez toutes les quatre excitée. Je suis sous le coup de l’émotion. Un jour plus tard, c’est Gevaert qui lui rend la pareille – Félicitations. C’est incroyable ce qui t’arrive. C’était juste avant l’appel du Prince Philippe.

Loin le temps des guindailles

Le secret de la réussite de Tia tient à son travail. Elle, l’ancienne guindailleuse, est parvenue à se donner à 100 % pour son sport.  » Elle me dit sans cesse – J’ai perdu du temps mais je lui réponds toujours – Non, ce n’est pas vrai. Tu n’étais pas prête. Maintenant, les sorties ne lui manquent plus car elle les a déjà vécues. Si elle était venue avant 1999, elle n’aurait pas supporté la charge de travail. Quand elle est arrivée, je lui ai dit – Je te prends si tu arrêtes de sortir et si tu t’entraînes beaucoup plus. A l’époque, elle sortait plus qu’elle ne s’entraînait. Elle a accepté et cela a porté ses fruits.  »

Si le succès d’Hellebaut a surpris beaucoup de monde, il ne relève en rien du hasard. Certains évoquaient sa baisse de régime en 2007, d’autres, son manque de référence cette année. Mais ni Tia, ni son entraîneur ne se sont inquiétés.  » Elle a eu une petite entorse de la cheville gauche, qui est le point d’appui. A chaque saut, il y a une torsion de la cheville qui reçoit sept à huit fois le poids du corps au moment de l’impulsion. Dans ces conditions, une telle blessure ne peut mener à aucun résultat. Avant, c’était davantage le genou qui subissait car on privilégiait la force dans le saut. Maintenant, c’est la vitesse qui prime « , commente Vandeven.

Comme sa méforme de 2007 ne dépendait que d’une blessure, jamais son entourage ne s’est remis en cause dans la dernière ligne droite pour Pékin.  » Une fois que tous les signaux sont revenus au vert, on a continué notre travail. Tia a 30 ans mais on n’a jamais pensé qu’elle était sur le déclin. Elle a encore progressé cette saison. Que ce soit en force ou en vitesse. Certes, on sent déjà qu’elle a besoin davantage de récupération et on doit chercher la bonne combinaison entre entraînements et repos pour continuer à progresser. « 

Depuis l’hiver, sa préparation est basée sur ces Jeux. Même le titre de pentathlon intervient dans ce sens.  » Tia a besoin de beaucoup d’entraînement. Elle n’a pas le talent de Kajsa Bergqvist ou de Chicherova. Or, pour continuer à apprécier les entraînements, il convient de les varier et le pentathlon ou l’heptathlon est parfait pour cela. De plus, elle aime ça. On joint donc l’utile à l’agréable « , dit Vandeven.  » On ne s’entraîne pas en mai et juin comme en juillet et août. Cela ne servait à rien d’être en forme trop tôt « , enchaîne Tia,  » Il fallait être au top au bon moment.  »

Cela passait également par une perte de poids.  » Elle faisait 61 kg pour le concours. Evidemment que cela compte car plus on est léger, moins on a de kilos à porter tout là-haut. Mais, il faut veiller à ne pas perdre de force en perdant des kilos. Il faut donc sans cesse renforcer les jambes. « 

Autre avantage : la taille. Comme toutes les sauteuses en hauteur, Hellebaut est grande.  » Le centre de gravité est ainsi plus haut. Cependant, elle rend 11 centimètres à Vlasic (1,93m). Elle doit donc sauter 11 centimètres plus haut pour se situer à la même hauteur que la Croate. Dans ce cas-là, on peut compenser par la vitesse. Tia court très vite. Un peu comme Stefka Kostadinova (la recordwoman du monde). Elle saute aussi comme les hommes, avec des points d’appui très loin de la barre « , résume Vandeven.

Une résistance à la pression hors du commun

Mais ce qui a fait la différence, c’est sa faculté à répondre présente aux grands rendez-vous.  » J’étais persuadé que Tia pouvait effacer une barre à 2,05m. Certains partent du principe que si elle ne l’a jamais fait avant, elle ne le fera sûrement pas, à 30 ans, aux Jeux olympiques. Moi, je la connais bien et je pense tout le contraire. Elle ne peut pas passer 2m à chaque meeting mais elle peut le faire à des occasions spécifiques. Tia a besoin de pression. Elle sait cerner les occasions et s’entraîne dans cette optique. On ne la verra jamais établir de grands résultats dans les plus petits meetings. Jamais « , continue Vandeven.

Mais comment sortir de grands résultats à des moments spécifiques ?  » Vlasic est la meilleure sauteuse de l’année mais cela n’a pas suffi aux Jeux. Chicherova, Elena Slesarenko et Ariane Friedrich sont meilleures que Tia mais elles sont moins fortes dans la tête.  »

Hellebaut sait blaguer dans un meeting mais jamais, elle ne perd sa concentration.  » Elle ne sort jamais de son concours. Certaines athlètes regardent tout et si elles ne sont pas à leur niveau pendant les grands championnats, c’est à cause de cela. Tia aime les grandes occasions. Elle ne panique jamais et est très positive. Elle se transforme. Elle devient plus agressive quand elle rentre en piste. Elle cherche le meilleur de son corps. Dans la vie quotidienne, elle est plus calme. Elle me fait penser à Eric Gerets. Calme dans la vie mais une bête comme joueur et maintenant comme entraîneur.  »

Et puis, quand la pression se fait trop intense, des décisions banales mais justes sont prises.  » Quand lors de ma conférence de presse après la première semaine des JO, les journalistes m’ont tous dit que les espoirs de la Belgique reposaient sur mes épaules, je me suis dit – Shit, ils attendent tous une médaille de moi « , explique Tia. Ce jour-là, c’est Wim qui a pris la parole pour préciser que son athlète n’allait pas sauver la Belgique. Le lendemain, il lui coupe internet et son e-mail. Et comme Tia avait perdu sa carte SIM belge, elle n’avait plus de contacts avec la Belgique.  » C’est aussi pour cette raison qu’on est arrivé tôt en Chine. C’était plus tranquille avec les médias. Ici, ils comprennent qu’on ne donne qu’une conférence de presse en trois semaines. Si on était resté en Belgique, personne n’aurait accepté un refus ! « . l

par stéphane vande velde – photos: reporters

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