Trinité-sur-Meuse

Preud’homme a réussi son pari le plus difficile: équilibrer rapidement son entrejeu.

En fin de saison dernière, alors qu’il tirait un bilan de son action au Standard, Michel Preud’homme n’avait pas oublié le travail effectué par Tomislav Ivic et avait souligné son importance dans le retour du club en Coupe d’Europe après six ans d’absence.

Pour lui, l’un des grands mérites du Croate avait été de convertir Harold Meyssen, un joueur souvent décrit comme fantasque et peu travailleur, en l’un des meilleurs médians défensifs du pays. La paire que le Limbourgeois formait avec Didier Ernst suscitait l’admiration de tous les amateurs de football et avait d’ailleurs fait l’objet d’un reportage dans ce magazine.

On se doutait donc que Preud’homme reconduirait Meyssen dans cette fonction au départ de la saison suivante. Ce qu’on ne savait pas très bien, c’est comment il l’entourerait car ses options tactiques différent tout de même fortement de celles d’Ivic. S’il avait très rapidement annoncé ses intentions de se passer d’un meneur de jeu à l’ancienne comme Prosinecki et d’évoluer avec des attaquants sur les ailes, rien n’avait filtré quant à la manière dont il évoluerait derrière cette ligne offensive. Or, pour beaucoup de monde, c’était une question primordiale car l’entrejeu devait non seulement assurer la fourniture de la première ligne mais aussi protéger une défense qui, l’an dernier, avait montré quelques signes de faiblesse, notamment au niveau de la rapidité dans l’axe.

Preud’homme savait donc qu’il avait pas mal de pain sur la planche et cela explique sans doute qu’il fut l’un des tout premiers entraîneurs à convoquer ses troupes afin de se remettre au travail. Il mit un certain temps à trouver la solution, notamment parce que le transfert de Marc Wilmots capota, que l’arrivée de Johan Walem se fit longtemps attendre et que son flanc droit lui donna beaucoup de fil à retordre, ni Lukunku, ni Goossens, ni Moreira ne s’avérant suffisamment forts défensivement tandis qu’Ernst courait à côté de ses pompes à un poste d’arrière droit qu’il n’avait plus occupé depuis la nuit des temps.

La méforme d’ Aarst en pointe persistant, l’entraîneur du Standard opta donc pour une ligne d’attaque Goossens-Lukunku-Moreira soutenue par un triangle renversé formé de Walem (décalé sur la gauche), Ernst (décalé sur la droite) et Meyssen (en retrait au centre). Avec, derrière eux, une défense en ligne où Blay s’est révélé à droite, Okpara devant amener de la vitesse aux côtés d’un Van Meir chargé de faire le ménage sur les phases arrêtées et Dragutinovic devant veiller à la solution technique pour sortir des situations difficiles.

Gagner le deuxième duel

Alors que de nombreux entraîneurs préfèrent masser beaucoup de monde au milieu pour « gagner la bataille de l’entrejeu », Michel Preud’homme a donc opté pour trois gabarits moyens voire petits qui, même s’ils ont tous un jour évolué comme médians défensifs sont, en tout cas dans le chef de Walem et Meyssen, des créatifs. « Ils ont été formés comme numéros dix », dit Preud’homme. « Pour moi, un trio de médians défensifs, c’est SimonsClementLembi, par exemple. Mais je pense que c’est dans ce secteur que la taille est la moins importante. On peut très bien arriver à un bon équilibre avec des joueurs costauds derrière et devant parce que c’est sur les phases arrêtées que le gabarit compte beaucoup. En football, on veut toujours remporter le premier duel mais pour ma part, j’attache beaucoup d’importance au second, quand la balle tombe par terre. Et là, c’est avec le pied qu’il faut aller la chercher et pouvoir la conserver ».

Preud’homme ne voulait plus d’un seul meneur de jeu car si celui-ci est bloqué, la créativité de toute l’équipe s’en trouve paralysée. « Ici, chacun est autorisé à changer de position en fonction du déroulement du match, afin de créer la surprise, mais il faut évidemment veiller aux compensations. Si Meyssen a l’espace, il peut y aller. Souvent, il reste car Ernst a dans son tempérament de toujours y aller à fond mais je souhaite qu’à l’avenir, Harold se montre davantage aussi ».

L’entraîneur liégeois avoue avoir dû chercher avant de trouver l’équilibre au milieu mais il ne pense pas que son premier choix à droite était trop offensif: « Il était dicté par la volonté d’imposer notre jeu, ce qui impliquait une prise de risque calculée mais bien présente. Quand on veut jouer la tête, c’est nécessaire. Tant Lukunku que Goossens avaient déjà évolué dans l’entrejeu par le passé mais n’oubliez pas que nous étions en pleine période de préparation, que nous devions trouver nos points de repère dans le nouveau système et que la fatigue du stage venait s’ajouter à cela. Or, quand on joue de la sorte, il est important que chacun veille à bien reprendre ses positions. Si Ernst et Meyssen ont pris beaucoup de cartes la saison dernière, par exemple, c’est souvent parce que les attaquants défendaient trop peu, qu’ils étaient trop vite éliminés ou qu’ils n’occupaient pas la position idéale. Cette fois, je leur ai bien fait comprendre que je me foutais du temps qu’ils tenaient mais qu’ils devaient assurer leur part de boulot à la récupération ».

Peut-être Preud’homme a-t-il également dû chercher parce que son idée première, celle de faire revenir Marc Wilmots, a été contrariée par des impératifs d’ordre financier. Wilmots aurait alors évolué à droite, Meyssen à gauche et Ernst devant la défense. Ou alors, c’est Dragutinovic qui aurait joué un cran plus haut et il aurait fallu trouver une solution à l’arrière gauche, le transfert de Casto ayant avorté également. Enakarhire s’y est révélé pendant la période de préparation mais il est encore très jeune et sa relance laisse à désirer. Et Ernst aurait dû jouer au back droit ou aurait été sacrifié mais finalement, tout le monde fut soulagé de le voir revenir dans un secteur qu’il connaît davantage. Et même s’il ne possède pas un bagage technique comparable à celui d’un Walem ou la puissance d’un Wilmots, son sens du pressing continue à impressionner.

« L’adversaire s’adapte à notre triangle » (Ernst)

« Mon style de jeu demande beaucoup de course », dit Ernst. « A droite, j’étais confiné dans une mission beaucoup plus stricte où je ne pouvais pas utiliser ma qualité principale. Car le pressing, ça passe ou ça casse. Si je suis dépassé dans l’entrejeu, je sais que Harold et quatre défenseurs sont encore derrière moi. Au back, il n’y avait plus personne ».

En début de saison, Ernst (qui arrive en fin de contrat) avait discuté avec Preud’homme qui lui avait dit qu’il comptait sur lui au poste d’arrière droit ou à celui de médian défensif aux côtés de Meyssen, comme par le passé. Ceci dans le cas de figure ou un adversaire affronterait le Standard avec deux médians offensifs, bien entendu. « Finalement, j’occupe une troisième position, à la pointe droite du triangle. L’entraîneur ne m’en avait jamais parlé mais, dans ma tête, je m’étais déjà préparé à y jouer car je savais que je pourrais y rendre des services. J’avais d’ailleurs déjà évolué dans un rôle similaire avec le tandem ThissenDepireux. Evidemment, les déplacements sont différents: je dois aller demander le ballon plus en profondeur. L’entraîneur me demande également de changer d’aile mais cela ne me vient pas encore à l’esprit. Tant que je ne maîtrise pas bien cela, je préfère jouer à ras-de-terre, adresser une passe tranchante entre les deux stoppers ».

Si sa tâche offensive a évolué, son travail défensif reste le même. Le système est donc très exigeant sur le plan physique et Ernst reconnaît qu’avec la chaleur qui a régné sur le pays en cette fin de mois d’août, ce ne fut pas toujours évident. « Heureusement que nous avions bien travaillé, sans quoi nous n’aurions pas pu tenir ». Il ne pense dès lors pas non plus que ce rôle plus offensif lui permettra d’alléger sa collection de cartons jaunes. « Si je monte, cela veut aussi dire que je dois parfois revenir tackler en catastrophe et on ne pardonne pas souvent ce geste. Sans compter que je m’énerve encore parfois trop. Mais vu notre potentiel offensif, nous sommes obligés de jouer comme cela ».

Actuellement, il note un certain respect de l’adversaire pour ce style de jeu. Tant le GBA que le RWDM n’ont ainsi aligné qu’un seul attaquant en début de match à Sclessin, par exemple. « L’adversaire essaye de bourrer au maximum au milieu », explique-t-il. « Seul Skopje a misé sur la technique de ses joueurs mais je pense que les Macédoniens n’avaient pas trop le choix. Leur positionnement défensif n’était pas un modèle et c’est ce qui les a tués, à l’aller comme au retour ».

« On est plus directs avec Johan » (Meyssen)

Harold Meyssen ne cache pas non plus qu’il est heureux d’avoir vu Ernst revenir à ses côtés: « D’abord parce que nous nous connaissons bien et ensuite parce que personne ne peut nier qu’il me donne un fameux coup de main. Or, c’est encore plus important puisque, désormais, je suis seul derrière. En préparation, il m’arrivait souvent de voir surgir deux types à la fois ».

Mais comme il l’a dit plus haut, Preud’homme ne souhaite pas voir Meyssen se confiner dans ce rôle de médian récupérateur comme il le fut trop souvent la saison dernière, où il devait « assurer » Prosinecki. Sans quoi le système serait trop prévisible et dépendant de l’état de forme de Walem ou de la capacité de l’adversaire à le contenir.

« Il est clair que Johan joue un football beaucoup plus direct que Robi », dit le Limbourgeois. « En principe, c’est vrai, cela devrait me permettre d’y aller davantage, de surgir de la deuxième ligne pour placer ma frappe car je dois inscrire plus que trois buts. Mais pour le moment, je préfère rester derrière et attendre que la mécanique soit bien huilée. Il ne faut pas que tout le monde se lance en même temps vers l’avant non plus, comme ce fut le cas après un quart d’heure face au GBA. L’expérience des trois médians doit nous aider à éviter cela. Nous avons pris sept points sur neuf malgré la présence de nombreux nouveaux joueurs et ce n’est pas mal du tout mais notre marge de progression est encore très large ».

Après le match d’ouverture à Charleroi, notamment, Meyssen fut l’un des rares à mettre le doigt sur les plaies du Standard. « Dans ce système, il n’est pas conseillé d’abuser des longs ballons, sauf s’il y a de l’espace dans les coins. L’héritage du passé et un certain manque de confiance nous incitent encore trop souvent à le faire mais en jouant avec deux médians offensifs, nous devons toujours avoir un homme libre dans la zone dangereuse et c’est en faisant circuler le ballon qu’il faut le trouver. Evidemment pour cela, l’espace entre la première et la dernière ligne ne peut pas excéder 40 mètres. Si nous pressons bien, par contre, l’adversaire sera obligé de dégager vers l’avant. Or, avec les gabarits que nous avons là-derrière, nous devons gagner 80% des duels de la tête et pouvoir reconstruire ».

« Un rôle libre que j’aime » (Walem)

Aussi fort et éclectique soit-il, le tandem Ernst-Meyssen avait besoin d’un relais, un homme capable de faire la différence. Avec le retour de Johan Walem, le Standard semble avoir tapé dans le mille.

Du RWDM à Udine en passant par Anderlecht, Parme et l’équipe nationale, l’Ecaussinois avait été mis à tellement de sauces différentes qu’on ne savait plus très bien s’il était médian défensif, offensif ou gauche. Au Standard, il est les trois à la fois! Et cela semble lui plaire car, bien qu’il soit toujours à l’hôtel, le sourire ne quitte plus son visage.

« C’est vrai que j’ai un rôle assez libre qui consiste à utiliser les espaces créés par la mobilité des attaquants. Il ne faut pas me coller une étiquette, me placer nécessairement dans un rôle fixe mais voir mon évolution en tant que joueur. J’ai eu ma chance à Anderlecht comme médian défensif et j’ai beaucoup appris dans ce rôle. Par la suite, je suis devenu un relayeur et, depuis deux ou trois ans, un médian offensif. Il va sans dire que c’est ce rôle qui me plaît le plus. J’y prends énormément de plaisir et je crois que cela se voit sur le terrain. Je ne me cache pas, je cours énormément. Cela me demande beaucoup d’efforts, même si je n’ai pas eu l’occasion d’effectuer toute la préparation ».

Les supporters du Standard, qui l’ont longtemps attendu comme le Messie, sont évidemment les premiers à s’en réjouir et Walem leur donne une image bien différente de celle que présentent ses détracteurs, même s’il est vrai qu’il préfère toujours les espaces. « On a créé une certaine image de moi. Je ne plais pas à tout le monde et chaque fois que l’équipe subit un coup d’arrêt, comme les Diables Rouges en Finlande, c’est pour ma pomme. J’ai appris à vivre avec et je reconnais avoir besoin de la critique pour progresser, comme tout le monde. Mais il y a des limites et je ne suis pas revenu en Belgique pour me faire descendre tous les week-ends. En Italie, on respecte chaque joueur pour ses qualités et on essaye de les exploiter. Ici, on voudrait peut-être que j’aie le même impact qu’un type d’un mètre nonante ».

Walem refuse toutefois de se laisser emporter par le bon début du Standard. « Nous avons beaucoup progressé depuis le premier août, date de notre match à Belenenses mais nous n’avons encore jeté que les bases et c’est dans les moments difficiles qu’on verra ce que nous valons vraiment. En attendant, je constate que nous jouons plus haut à chaque match, que nous prenons de l’envergure et que nous donnons de plus en plus de plaisir à nos supporters. Or, c’est toujours le meilleur baromètre d’un club » .

Patrice Sintzen

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