Stop aux amalgames!

Le vrai et le faux dans le scandale des footballeurs brésiliens de Belgique.

Il a donc suffi d’une émission télévisée, appuyée par un coup de gueule d’ Anne-Marie Lizin, pour que notre bon pays se découvre à l’investigation. Franchement: de qui se moque-t-on? La traite des jeunes footballeurs existe depuis des lustres. Elle a été dénoncée maintes fois par Sport/Foot Magazine. Et par d’autres.

Soudain, certains démasquent l’évidence. A l’unisson, ils crient au scandale. En réalité, les événements de ces derniers jours évoquent une médecine qui tenterait de soigner les effets pendant que l’homéopathie cherche à guérir la cause. Ça hurle dans tous les coins. Ça dénonce à tout va. Chacun donne son avis. Parfois à tort et à travers. Ceux qui portent des jugements sans appel ne sont manifestement pas au courant de la réalité du terrain. Mais justement, quelle est-elle, cette réalité?

Direction le Brésil. Rio de Janeiro. Si les plages de Leblon et Ipanema sont traditionnellement réservées aux artistes, aux poètes et aux musiciens, l’immense Copacabana, quartier de lune formé de milliards de grains blancs, s’étire sur plus de six kilomètres. De petits groupes de Capoeira offrent des démonstrations aux touristes. Les filles sont affolantes. Leur démarche féline est mise en valeur par les Tangas qu’elles portent si bien. Les plus pauvres des plus pauvres dorment à l’ombre des palmiers. En les voyant, impossible de ne pas se remémorer les paroles tirées de cette chanson de Charles Aznavour : « La misère doit être moins dure au soleil ».

Entre la digue aux célèbres céramiques striées et les rouleaux puissants que l’Atlantique expédie pour qu’ils meurent sous le regard du Christ Rédempteur perché au sommet du Corcovado, il y a le sable. Sur le sable, à toute heure du jour et de la nuit, on joue. Futebol ou Futvolley. Les artistes se comptent par dizaines. Avec un ballon, ils savent tout faire. En jouant, ils scrutent la digue. Dès qu’un gringo s’attarde et s’intéresse, ils arrivent.

Ces gosses ne parlent ni français ni anglais. Qu’importe. Leur message est clair : « Je suis un grand joueur. Emmène-moi avec toi en Europe ». Ils sont affiliés à Vasco de Gama, à Flamengo, à Fluminense. Ou encore à América ou Bangu, moins connus chez nous. Ou nulle part! Leur rêve : un jour, imiter Ronaldo et Romario. Bebeto et Roberto Carlos. Pour un scout, il n’y a qu’à se baisser pour ramasser. Voilà comment débute la spirale infernale.

Au fil des ans et des expériences, le terrain de chasse a changé. Les Cariocas s’adaptent mal. Comment pourrait-il en être autrement? Il suffit de s’être un jour rendu à Rio pour comprendre combien celui qui est né là éprouvera des difficultés à vivre ailleurs. Les Paulistes, plus « européens », offrent des garanties. Seulement voilà, l’état de Sao Paulo est devenu confortable. Ses clubs, Sao Paulo, Corinthians ou Palmeiras, sont désormais en mesure de s’aligner sur les tarifs pratiqués en Espagne, en France ou en Italie. Par contre, dans le nord se trouve un formidable réservoir inexploité.

La région de Sao Luis de Maranhao est pauvre. C’est en la dépeignant que Bernard Lavilliers écrit : « Un soleil ivre de rage tourne dans le ciel et dévore un paysage de terre et de sel ». Même dans ce sol, dur comme la pierre, les indigènes plantent des poteaux de buts. Coincé entre le désert du Sertao, la Serra Pelada, qui a avalé tant de chercheurs d’or, et l’Océan, Maranhao se bat pour survivre. Ses fils sont animés par cette rage de vaincre.

A Sao Luis, un médecin se passionne pour le ballon rond. D’origine libanaise, il se nomme Cassas De Lima. Docteur Cassas de Lima. Il suit les rencontres du Sampaio, du Moto Club, du FC Maranhao. Inévitablement, il croise la route d’un technicien, nommé Bradei, qui entraîne diverses sélections. Un jour, Bradei lui parle de l’une de ses connaissances. Un certain José Rubulota. Ce dernier, argentino-italien, aurait joué en son temps à la Sampdoria. A vrai dire, il est surtout garçon de café à Bruxelles, mais là n’est pas l’essentiel.

Bradei fait part au Docteur Cassas de l’intérêt porté par Rubulota aux jeunes Nordistes. José Rubulota se vante d’être bien introduit en Belgique. A Anderlecht surtout. Après réflexion, les deux Brésiliens renseignent un certain Ayrton Luis Oliveira à Rubulota. C’est parti!

La Belgique s’est souvent montrée réfractaire au talent issu d’AmSud. Certes, fin des années 60, début 70, le public a apprécié Germano (Standard), Giba (Waregem), Carvalho (Cercle de Bruges) ou Dos Santos (La Gantoise). Cependant, ceux-ci faisaient figure d’exceptions. On les disait peu sérieux. Inconstants. La réussite d’Oliveira ouvre une porte. José Rubulota s’y engouffre. Il se lie d’amitié avec feu Claude Bissot et Daniel Evrard, de la société de management AmeriFoot. Forcément aussi avec l’inévitable Roger Henrotay, proche des deux personnes précitées. Bradei fait office de pourvoyeur tandis que le Docteur Cassas se charge de l’organisation. Le praticien finance les voyages. S’arrange pour fournir des habits corrects aux jeunes qui s’apprêtent à monter dans un avion juste affublés d’un t-shirt, d’un short et chaussés de sandales.

Ainsi, arrivent Alex Chaves, Carlos, Kiko, Dinga et Rubenilson. Tous endossent avec plus ou moins de bonheur la vareuse du Standard. Coïncidence?

Pendant ce temps, Gérald Blaton reprend Seraing. Rubulota flaire le bon coup. Tournant le dos au trio Bissot-Evrard-Henrotay, il va caresser la poule aux oeufs d’or. Ce revirement se trouve d’ailleurs à l’origine de la fameuse histoire « d’enlèvement » de Robson, l’attaquant de 15 ans (?), issu de Good Yaer, cercle amateur de Sao Paulo.

Il est à l’origine présenté au Standard. Claude Bissot et Christian Labarbe vont le chercher au Brésil. Un comité d’accueil sérésien monte la garde à Zaventem. S’en suit une bagarre. Provoquant l’arrivée d’ Emerson, Zico et Rapace, copains de Robson, Rubulota organise la fuite du même Robson, qui loge au Sart Tilman dans l’appartement occupé par Rubenilson et Dinga. Il le planque quelques semaines chez un dentiste de Henri-Chapelle avant de profiter de son titre de tuteur légal pour l’affilier définitivement à Seraing.

Francis Nicolay était manager du Matricule 17. Il se souvient : « Le Standard et Seraing voulaient Robson. Pour avoir gain de cause, Rubulota a posé un ultimatum : celui qui prendrait « le lot de quatre » aurait Robson! » Le grand art de José Rubulota a été de faire admettre à Gérald Blaton, qui ne comprenait pas grand-chose au football, que seuls les Brésiliens et éventuellement les Argentins jouaient bien. Moi, Rubulota, je ne le connaissais pas. Il a séduit la famille Blaton. Tant et si bien que diverses réunions se sont déroulées à Bruxelles en mon absence. J’étais tenu à l’écart des discussions. Mieux, lors des transferts, la direction me plaçait devant le fait accompli. Cela me mettait mal à l’aise. Je dirigeais aussi l’école des jeunes, et les parents voyaient d’un mauvais oeil cette arrivée massive d’étrangers. Je ne tenais pas à faire plus pour les Brésiliens que pour les Belges. D’un autre coté, je ne pouvais pas faire moins. A un certain moment, on recensait une vingtaine de Latino-Américains. Maintenant, je dois à la vérité de dire qu’ils percevaient des salaires honorables et qu’administrativement, ils étaient parfaitement en règle. La famille Blaton était aux petits soins pour eux. Je les trouvais même beaucoup trop gâtés. Certains d’entre eux gagnaient en un mois ce que leur père percevait en trois ans! »

Là n’est pas le problème. Où ça commence à grincer, c’est lorsqu’il apparaît que l’immense majorité de ces joueurs sont gratuits. Or, ils coûtent une fortune à Seraing et donc à Blaton. Francis Nicolay: « Rubulota a roulé certaines personnes au sein du club, c’est certain. Pour le reste, j’ai mon opinion, mais je la garderai pour moi. J’ai également appris qu’il a escroqué des joueurs. Wamberto et Isaias notamment se sont épanchés dans la presse à ce sujet. Concernant « Wamby », je sais, pour la petite histoire, que Rubulota avait promis un réfrigérateur à sa famille en guise de prime. Il n’est jamais arrivé au Brésil, ce frigo ».

Des primes se sont perdues. Chemin faisant, Rubulota empochait diverses sommes relatives à des transferts fictifs, ce qui fait croire à Nicolay qu’en tout, le triste sieur s’est constitué un magot d’environ une centaine de millions.

« Impossible pour moi de faire un pas en Europe sans que l’on dénonce les agissements de ce Rubulota », clame Eduardo Campos. Le député socialiste de l’Etat de Sao Paulo est chargé de mission par le gouvernement brésilien. Son but: enquêter sur la traite des jeunes brésiliens dans le football européen. Ses premières investigations l’amènent en Belgique. A ses yeux, il ne fait aucun doute que notre pays est la plaque tournante de cet ignoble marchandage.

Eduardo Campos camoufle mal sa détermination. Lors de son premier voyage en Belgique, décembre 2000, il met le doigt sur des dysfonctionnements au niveau de l’ambassade du Brésil à Bruxelles.

« On y fabriquait de faux passeports », apprend-il. Du coup, un haut fonctionnaire passe à la trappe. « Il ne sera pas le dernier. Je veux que toute la lumière soit faite. Et surtout que les négriers arrêtent de se servir de nos enfants comme s’il s’agissait d’une vulgaire marchandise. Je n’ai évidemment rien contre le fait que des Brésiliens tentent leur chance ici. Tant mieux même s’ils reçoivent la possibilité d’améliorer leur condition. Par contre, les exploitants de malheur auront affaire à moi. Je sais où certains se cachent ».

Il ne fait aucun mystère que le Pays de Waes est ciblé! Et pas le seul Rubulota. Le problème pour Eduardo Campos et son cabinet d’enquête établi à La Hulpe réside dans l’absence de témoignages. Les Brésiliens se taisent. Ils n’aiment pas évoquer le passé. Parfois, ils ont peur. A l’image d’Isaias, ils se réfugient derrière une apparente philosophie: « Rubulota est un bandit. Il m’a roulé. Mais c’est quand même grâce à lui que j’ai joué en Belgique et en France. Donc, quelque part, je lui suis redevable de mon arrivée en Europe ».

Rubenilson, pour sa part, craint que cette chasse aux sorcières ne débouche sur une autre situation: « Il y a beaucoup de gosses très pauvres au Brésil. Leur seule chance est de briller dans le football. Comme tout le monde, j’ai moi aussi des raisons d’en vouloir à Rubulota. Mais c’est lui qui est venu me chercher lorsque j’étais Junior au Flamengo. Mon pays d’origine devrait d’abord balayer devant sa porte. Il est inadmissible que les Escadrons de la Mort tuent des petits en toute impunité. Si le Brésil s’occupait davantage de ses jeunes, ceux-ci seraient moins tentés par l’aventure ».

Le discours de Wamberto est différent. Son statut était différent. Il est arrivé au Pairay tout auréolé d’une participation au Championnat du Monde des Juniors. A 16 ans, il était reconnu. « Je n’ai pas peur de dire que Rubulota m’a volé. Purement et simplement. Il s’est envolé avec une somme qui me revenait de plein droit ».

Eduardo Campos, mieux que quiconque, sait que, socialement, le chemin est encore long avant que le Brésil atteigne un niveau acceptable. Qu’à cela ne tienne. Comme disait Mao Tsé Tung, les plus grands voyages commencent toujours par un premier pas. Le premier pas significatif consiste à venir en aide à ceux qui sont arrivés pour pratiquer leur sport favori et qui se retrouvent apprentis-maçons sur des chantiers.

« Nous commencerons par secourir les plus démunis », clame le député. « Ils ne doivent éprouver aucune crainte à se faire connaître. Nous les prendrons en charge. Non seulement le gouvernement paiera leur billet d’avion pour le retour, mais de surcroît, l’autorité fédérale s’engage à leur fournir un contrat dans le noyau professionnel d’un grand club brésilien ».

Eduardo Campos est revenu sur notre sol à la mi mars. Son enquête avance. La presse nationale brésilienne se fait largement l’écho de son action. Les photos de diverses personnalités -occultes et connues- du football belge y sont diffusées. C’est tout juste si la mention Wanted ne figure pas au-dessus des portraits. Le dossier est loin d’être clôturé.

Maintenant, il est impératif que chacun conserve la tête froide. Il faut éviter les amalgames. Tous les Brésiliens et tous les Africains ne sont pas nécessairement de malheureuses victimes. Tous les managers ne sont pas des esclavagistes. Tous les clubs ne sont pas des repaires de brigands. C’est une minorité qui agit mal. Ne nous trompons pas de cible. Le combat est trop beau, trop méritant, pour être tourné en ridicule.

Daniel Renard

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