Secrets d’alcôve

Les détails de la vie des stars de la Coupe du Monde la veille et le jour d’un match.

Cape Town, ses paysages merveilleux, sa météo bien plus clémente qu’à Johannesburg (on est 2.000 mètres plus bas), ses allures européennes et son Vineyard Hotel & Spa. Un établissement de grand luxe que la FIFA a désigné pour héberger, la veille et le jour des matches, les équipes devant se produire au Green Point Stadium. Les délégations n’ont pas le choix : elles doivent s’y installer, même si leur camp de base est dans la même région. Chaque stade du Mondial correspond à deux Venue Specific Team Hotels.

Hasard des réservations faites à Bruxelles, nous logeons au Vineyard depuis le lundi 28 juin ! C’est une occasion unique d’enquêter sur les petits détails de la vie des équipes qui s’y arrêtent. L’Uruguay a été le premier pays à y résider, pour son match du week-end d’ouverture contre la France. Ensuite, il y a eu l’Italie, l’Angleterre, le Portugal et le Cameroun. En début de semaine dernière, quand nous étions là, le Portugal y est revenu pour préparer son choc contre l’Espagne, et vendredi, c’est l’Argentine qui débarquait pour son match face à l’Allemagne.

Nous avons tenté de percer les petits secrets portugais et argentins. Pas simple car tout était cadenassé. Une femme de chambre la joue motus total :  » Je ne peux rien dire, vous ne saurez même pas si j’ai croisé des joueurs. Sorry.  » Un employé coopère, très discrètement :  » Je vais un peu t’expliquer le système mais viens en dehors du champ des caméras de surveillance. Recule encore un peu parce que là, on risque de nous voir. Colle-toi carrément contre le mur. Si on me surprend à parler de la vie de l’hôtel dans le cadre de la Coupe du Monde, je suis viré dans l’heure et je ne sais pas ce que je deviens. Je peux être vraiment content d’avoir un job ici, alors je m’y accroche.  »

Une autre personne joue le jeu : l’agent d’un joueur du Portugal, en contact direct et régulier avec son poulain pendant son séjour à Cape Town. Il nous donne quelques échos de la vie du groupe. Mais aussi un policier qui croit parler innocemment à un touriste…  » You are not from the press ?  » On élude la question…

45 policiers, jusqu’à 60 pour les Anglais et les Argentins

La présence policière est impressionnante. Ils sont partout : aux carrefours qui entourent le bâtiment, devant, derrière, dans le lobby, à la sortie des ascenseurs, sur les paliers, sur les terrasses, dans les couloirs du centre de soins, dans le parc, dans les garages,… Leur nombre dépend du risque et est fixé en concertation par la Fédération concernée, la direction de l’hôtel, le comité d’organisation du Mondial et la FIFA.

Pour l’Angleterre, il y en avait une soixantaine et les Anglais avaient aussi emmené leurs propres agents de sécurité. Pour le Cameroun et l’Uruguay, il n’y avait pas plus de 30 hommes. Le Portugal est entre les deux : 45  » parce que Cristiano Ronaldo représente à lui seul un risque élevé, le plus important sur notre échelle « . L’Argentine fait le plein comme les Anglais : 60 personnes vu que Lionel Messi et Diego Maradona sont aussi considérés comme les plus hauts risques possibles. Les policiers reçoivent la même consigne que tout le personnel : interdiction totale de s’adresser aux joueurs, sauf en cas de nécessité. Ils n’ont pas intérêt à être surpris s’ils demandent un autographe ou une photo. S’ils sont coincés, leur mission s’arrête sur-le-champ, ils retournent au commissariat ou dans la rue.

64 chambres, une facture colossale pour la FIFA

L’hôtel existe depuis 200 ans, c’est une entreprise familiale et deux frères sont aujourd’hui aux commandes. Il comprend plus de 200 chambres et tout le troisième étage (64 chambres) est réservé pour les équipes. Il y a là-dedans quelques suites à 650 euros la nuit. Tous les frais d’hébergement sont pris en charge par la FIFA. Les joueurs ont tous leur propre chambre, certaines sont partagées par d’autres membres des délégations. Quand l’Uruguay est venu, il y eut toutefois un couac. Une personne de la délégation s’est plainte, dans la presse et auprès du directeur, qu’on lui avait volé 4.000 dollars. Elle était sur le point de déposer une plainte. Les caméras de surveillance ont révélé que le voleur était son… colocataire qui a tout claqué dans un casino du Cap !

Pour accéder à l’étage des chambres, un bracelet spécial est obligatoire. On ne fait aucune exception : qu’il s’agisse de Carlos Queiroz, de Cristiano Ronaldo, de Carlos Tevez, de Maradona ou d’un policier, personne ne passe sans ce bracelet. Des inspections des chambres sont régulièrement prévues mais les joueurs ont le droit de les refuser.

Le parc sous surveillance permanente

Un immense parc -avec une tortue de 80 kg en vedette- borde l’hôtel, ce qui augmente les risques car on pourrait entrer de tous les côtés et cacher n’importe quel explosif dans les sentiers, le long d’une petite rivière ou dans les centaines d’arbustes. Table Mountain, l’une des curiosités les plus courues du pays, surplombe le quartier et l’ensemble du Cap. Cette roche offre une vue unique notamment sur Robben Island, l’île où Nelson Mandela a passé 27 ans en prison, où il a cassé des cailloux pendant des milliers d’heures. Des policiers, certains avec chiens, sillonnent le parc en permanence. Même les jours où aucune équipe n’est là.

Lorsque les joueurs décident de s’y aérer, le dispositif de protection se met directement en place : tous les résidents doivent rentrer dans l’hôtel. Les Portugais ont eu envie de découvrir le centre commercial tout proche : il y avait autant de policiers que de joueurs pour la balade. La procédure est la même quand l’équipe se rend à l’espace de remise en forme pour une séance de massages, ou à la petite piscine intérieure : les résidents doivent sortir et la salle est ceinturée par la police. Dans les couloirs, on croise Eusebio, qui vit avec la délégation pendant tout le tournoi. Mais aussi Thierry Roland, qui loge ici et couvre sa 13e Coupe du Monde :  » Je pense que je dois être le recordman.  »

Moins accessibles et plus méfiants que les Anglais

Des supporters anglais qui rôdaient autour de l’hôtel quand leur équipe nationale y séjournait sont repartis avec des souvenirs pour la vie. Ils ont pu photographier les joueurs, qui ont aussi signé des dédicaces. Wayne Rooney, Steven Gerrard et Fabio Capello ont posé en souriant dans le lobby avec tout le personnel de la réception. Les Italiens étaient aussi relativement accessibles. Mais pas question de jouer le même jeu pour les Portugais ou les Argentins car Queiroz et Maradona ont tout verrouillé. Le Portugal et l’Argentine sont les seules équipes passées par ici dont les joueurs n’ont jamais pris l’entrée principale de l’hôtel. Ils ont chaque fois utilisé une autre porte, évidemment inaccessible pour les personnes extérieures à la délégation. Côté cuisine aussi, le Portugal -comme l’Italie- est méfiant : ces deux équipes voyagent avec leur propre chef. La palme du coach le plus cool est pour l’Uruguayen Oscar Tabárez : il a toléré des femmes et enfants de joueurs dans l’hôtel la veille du match contre la France. Il aurait sans doute aussi accepté photos, dédicaces et petites discussions. Mais quand il est venu, pour son match programmé le premier jour du tournoi, personne ne croyait en l’Uruguay, ce pays n’avait pas déplacé beaucoup de supporters et il faisait extrêmement calme autour de l’hôtel.

Poker portugais

Les Portugais sont arrivés le lundi 21 juin dans la matinée, en provenance de leur camp de base près de Johannesburg, à 1.400 kilomètres plus au nord. Pendant leur temps libre d’avant-match, il y en a beaucoup qui jouent au poker. Cristiano Ronaldo et Hugo Almeida sont les plus assidus. Ils se sont entraînés l’après-midi, puis Queiroz a donné sa conférence de presse au Green Point Stadium.

Le mardi, les Portugais ont quitté l’hôtel à 17 heures pour jouer à 20 h 30 contre l’Espagne. A la différence des autres équipes venues ici les jours précédents, qui ont logé au Vineyard la nuit suivant leur match, ils n’y sont plus revenus après leur match et l’élimination. Dès le coup de sifflet final, ils se sont envolés pour Johannesburg. Ils ont définitivement quitté le pays dans la soirée du mercredi et étaient à Lisbonne le jeudi sur le coup de 6 heures du matin.

L’Argentine débarque, c’est la guerre !

Le moment le plus fort du séjour a été l’arrivée de la délégation argentine, deux jours après son car vide et 24 heures après l’entrée de ses valises de matériel dans l’hôtel. C’était vendredi à 19 heures, et le match contre l’Allemagne avait lieu le lendemain à 16 heures. Les Argentins, casernés à Pretoria, ont aussi volé depuis Johannesburg. Leur découverte du Vineyard, c’était une scène sidérante !

Il doit y avoir une centaine de policiers autour de l’hôtel et à l’intérieur. Des gyrophares et des sirènes partout, un hélicoptère qui survole le site, une nervosité à couper au couteau avec des gens qui courent dans tous les sens et des talkies-walkies qui crépitent de tous les côtés. Au dernier moment, tous les carrefours du quartier sont bloqués. Colinton Road est en guerre ! Le car arrive, il va sur un parking latéral hyper protégé, les joueurs en descendent sans avoir aucun contact avec le personnel, les journalistes et les supporters qui les attendaient.

Maradona n’est même pas là, il est allé directement de l’aéroport au stade pour la conférence de presse du coach qui doit obligatoirement être donnée sur le site, la veille de chaque match. Cette fois, il respecte le règlement. C’est rare depuis le début du tournoi. Les autres fois, il a presque toujours fait son ultime point presse dans le camp de base argentin à Pretoria. La veille des rencontres, les entraînements des deux équipes doivent aussi être ouverts aux médias pendant un quart d’heure. Tout le monde s’y plie, sauf Maradona qui bafoue encore les règles pour son quart de finale : ses joueurs se sont exercés une dernière fois en début d’après-midi à Pretoria. Maradona s’en moque et il a tout compris : on n’exclut quand même pas une équipe de la Coupe du Monde sous prétexte qu’elle ne respecte pas scrupuleusement le cahier des charges de la FIFA !

Le lendemain, le bus argentin quitte très tard l’hôtel : à 14 h 15 alors que le match commence à 16 heures. L’équipe est au stade à 14 h 30. Et éliminée à 18 heures ! Maradona rencontre une dernière fois la presse une heure après le coup de sifflet final. On ne le reconnaît pas : on a en face de nous un chien battu, il n’a plus rien à voir avec le fanfaron, le comique, le provocateur qu’on a vu depuis trois semaines. Il dit qu’il vit le jour le plus moche de sa vie, qu’il n’a plus aucune énergie. Il devait théoriquement rester en poste pendant encore un an minimum mais il n’est même plus sûr de pouvoir assumer. Dieu va-t-il passer la main ? Dès la fin de son speech, il rejoint ses joueurs dans le car et ils filent à l’aéroport de Cape Town. Vol vers Johannesburg, à nouveau une heure de bus jusqu’à la retraite de Pretoria et retour à Buenos Aires le samedi. Comme Dunga la veille, il a raté son pari : accrocher la Coupe du Monde comme sélectionneur après l’avoir gagnée comme joueur. l

par pierre danvoye, en afrique du sud

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire