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« Sans Middlesbrough, je ne serais pas le joueur que je suis aujourd’hui « 

Revenu en Belgique, à Zulte Waregem, après un an et demi d’exil en Angleterre, le Rouche de coeur et d’esprit s’impose comme l’un des milieux les plus classieux de notre JPL. Interview carte postale, quelque part entre Disney, une drôle d’escalope à l’anglaise et un peu de pêche à la ligne.

Il y a le coup d’épaule, la mâchoire qui encaisse et puis, les jambes qui tremblent, le corps qui vacille.  » Quand je reçois le coup, c’est comme si je n’avais plus le contrôle de mon corps. Je tombe, je ne sens plus mes jambes, je ne sens plus rien.  » Le 24 septembre dernier, Julien De Sart percute Franko Andrijasevic, à Gand. Il se réveille dans l’ambulance et débute une partie de cache-cache avec ses souvenirs. Protocole commotion.

 » Apparemment, j’ai dit au doc : ‘OK, c’est bon, je veux rejouer‘. Trois secondes plus tard, j’ai reperdu connaissance « , rigole-t-il. Après le pain, la soupe et les vertiges, l’ancien Rouche, qui garde précieusement ses maillots d’Axel Witsel au domicile familial, devrait regoûter à la pelouse ce jeudi.

L’occasion de recevoir dans son nouveau chez lui, au centre d’entraînement de Waregem, où son salaire a baissé mais pas ses ambitions. En plein hiver 2016, il avait quitté son cocon, laissé son statut de  » fils de  » pour aller s’épaissir de l’autre côté de la mer du Nord et revenir en homme. Une étape nécessaire, un rite de passage au doux parfum d’Erasmus. En immersion totale.

Quand tu quittes le Standard, tu publies une lettre d' » au revoir  » où tu cites Montaigne :  » Les voyages forment la jeunesse « . Tu rejoins Middlesbrough, la ville natale de James Cook, l’explorateur. C’était prémédité ?

Julien De Sart : Je ne savais même pas. Comme quoi, le hasard fait bien les choses. C’était vraiment ça. J’ai apprécié Middlesbrough parce que c’est la vraie Angleterre. La nourriture, les gens, leur accent… Ils sont fort théâtraux. Par exemple, une fois, je suis au restaurant et je commande une escalope  » à la milanaise « . On m’apporte ça avec des haricots, sans pâtes… Je ne m’y attendais pas vraiment (il rit). J’ai fait toutes les grandes villes d’Angleterre : Londres, Manchester, Birmingham, Nottingham, Leeds, Newcastle, Yorke… Je peux dire que j’ai vécu la vraie expérience anglaise. Sans ce voyage, je ne serais pas le joueur que je suis aujourd’hui. J’ai tellement appris en très peu de temps. J’ai vu l’évolution de mon jeu en trois mois, c’était incroyable, même si je n’ai pas beaucoup joué au début. Quand je revenais avec les Espoirs, je voyais que j’étais devenu un autre joueur. Mon corps, mon approche des matches, tout. J’avais l’impression d’avoir fait un bond de dix pas en avant.

 » Middlesbrough, c’était Disney pour moi  »

On te catégorise justement assez souvent du côté des joueurs frêles. C’était une volonté de partir en Angleterre pour t’aguerrir aussi sur le plan physique ?

De Sart : Aujourd’hui, je fais 73 kilos et demi (pour un mètre 87, ndlr). Quand j’ai commencé au Standard, j’en faisais 66. Ce n’était pas forcément une volonté puisque je travaillais quand même là-dessus au Standard. Quand je suis parti, je devais faire 69 kilos. Mais les méthodes sont différentes en Angleterre. On a des compléments alimentaires, des programmes diététiques, il y a plusieurs moyens de nous faire prendre de la masse. Ça m’a aidé parce que c’était un aspect de mon jeu que je devais améliorer. Mais il n’y a pas que le poids, il y a aussi l’approche du duel, comment aller à l’impact. J’ai progressé au niveau du volume de jeu, je suis capable de faire beaucoup plus de courses, j’appréhende mieux les temps forts et les temps faibles et j’ai forcément plus d’expérience. J’ai dû dépasser la barre des 100 matches (98 en club, au moment de l’interview, ndlr), c’est quand même pas mal à 22 ans.

J’ai connu une autre culture, un autre football. J’ai côtoyé Stewart Downing, Victor Valdes, Alvaro Negredo, Jonathan Woodgate et le coach, Aitor Karanka. J’étais comme un gosse, c’était Disney pour moi. J’avais des étoiles plein les yeux. J’étais heureux d’être avec eux et on avait vraiment une bonne relation. Chaque matin, je prenais le café avec Victor Valdes, on rigolait bien. Je lui parlais forcément du Barça, d’Iniesta, de Xavi, de Ronaldinho… Un petit peu du Standard, même si ça n’a pas été une très bonne période pour lui. On parlait de Liège. J’étais content parce que c’est ma ville.

Tu étais heureux même si tu as très peu joué ? En un an, tu entres deux fois (trois minutes au total en Championship) et tu disputes un seul match de coupe.

De Sart : Ce n’était pas un problème du tout. Je l’ai bien vécu. Tous les matins, j’étais content de me lever pour aller à l’entraînement. Je prenais le petit déjeuner au club, je parlais avec les gens… Quand c’était fini, que je devais rentrer chez moi, je râlais. J’avais encore envie. Je m’amusais tellement, je sentais que c’était bénéfique pour mon jeu. Mon seul regret, c’est de ne pas avoir eu ma chance en Premier League. J’ai été une seule fois dans le groupe, à Arsenal, à l’Emirates. J’avais fait une bonne prépa, j’étais dans les meilleurs joueurs de l’équipe. Je m’attendais vraiment à avoir ma chance, ou au moins être dans les dix-huit. Même quand je demandais à jouer avec les U23, le coach me disait qu’il allait peut-être avoir besoin de moi (Il ne joue qu’une fois avec eux, contre Manchester United, ndlr).

 » Je ne sais pas si mon jeu est en adéquation avec le Championship  »

Tu arrives d’abord dans une équipe qui tourne bien, puis qui joue le maintien à l’étage supérieur. Difficile d’avoir ta chance dans ce contexte. C’est toi qui as demandé à partir en prêt à Derby County ?

De Sart : Avec mes agents, on s’était dit que rester à Middlesbrough n’aurait pas été quelque chose de grave. Et puis, il y a eu l’opportunité Derby qui arrive très tôt dans le mercato, dès le 1er janvier. Des scouts m’avaient repéré avec les U23 contre United, j’avais fait un bon match et on avait réalisé le nul, 2-2. C’était le 26 décembre. Le 3 janvier j’étais à Derby et le 6, j’étais titulaire en FA Cup à West Bromwich. J’ai eu un entraînement et demi, je ne connaissais même pas tous les prénoms de mes coéquipiers et je joue contre une équipe de Premier League dans un stade full. Mais je n’étais pas du tout perdu.

Je m’étais préparé à ça pendant six mois. J’ai fait un match d’enfer, on a gagné 1-2. Après, j’étais au bout de ma vie, mort. Mais tellement heureux d’avoir goûté à ça, à la Premier League,entre guillemets. On n’a pas eu les résultats qu’on voulait, mais on dominait notre sujet (le club termine 9e, ndlr). On avait une possession de 65, 70 %. C’était la volonté du coach, Steve McClaren. Il m’a beaucoup appris. Il me parlait beaucoup et c’est ce que je retrouve ici, avec Francky Dury.

Par contre, je ne sais toujours pas si mon jeu est en adéquation avec le Championship. Je préfère toujours récupérer un ballon en anticipant qu’en taclant. C’est mon style. Je préfère qu’on se souvienne de moi comme d’un joueur élégant, qui interceptait quand il fallait grâce à son intelligence de jeu plutôt que d’un gars qui va au charbon, qui passe son temps à tacler et à être au sol. Ce n’est pas moi.

Quand tu quittes Sclessin, tu précises bien qu’il s’agit d’un  » au revoir « , pas d’un  » adieu « . À Middlesbrough, tu choisis le numéro 16. C’était un clin d’oeil au matricule du Standard ?

De Sart : (Il sourit) Pas vraiment. Je voulais le 15, qui n’était pas disponible. Le 23 non plus. Donc j’ai pris le plus proche du 15, c’est tout.

Tu avais un goût d’inachevé quand tu es parti ?

De Sart : Non. Ce qui me reste en travers de la gorge, c’est la façon dont ça s’est passé. Mais sinon, j’ai joué dans le club de mon coeur, que j’ai toujours aimé, que j’idolâtrais quand j’étais petit. J’ai joué en Europa League, des Clasicos, les Play-Offs 1… J’ai tout fait sauf peut-être gagner un titre. Je n’ai pas de goût d’inachevé par rapport au terrain, peut-être plutôt par rapport au contexte de mon départ.

 » Les applaudissements du public du Standard, ça reste à jamais gravé dans ma mémoire  »

En début de saison 2015/2016, Slavo Muslin comptait sur toi. Avec l’arrivée de Yannick Ferrera, ta situation change complètement, au point que tu termines dans le noyau C en décembre. Ferrera a notamment remis en cause ton attitude. C’était une question de feeling ? De style ?

De Sart : Il y avait un peu de tout. Je partais vraiment avec les meilleures intentions du monde quand Ferrera est arrivé. Je le connaissais déjà, je l’avais croisé quand j’étais au Foot-Élite. Il était coach lors des rassemblements belges et je l’ai eu plusieurs fois lors de stages. Ça se passait plutôt bien. J’étais content quand il est arrivé, vraiment. Puis, j’ai joué certains matches, mais mon style de jeu ne lui plaisait pas vraiment. Enfin, je pense… Puisque je n’ai jamais vraiment parlé avec lui par rapport à ça.

Il n’y a pas eu de communication claire entre vous deux ?

De Sart : Non, pas vraiment. Le mercato arrivait et c’était clair que je n’étais plus dans les dix-huit. À l’entraînement, j’avais l’impression d’être épié. Si je faisais une mauvaise passe, mon cas était réglé, on me mettait aux oubliettes. Ce n’était pas une situation vivable. Je voulais jouer, j’avais dix-neuf ans, je faisais un bon début de carrière et j’avais l’impression de stagner. Je voulais retrouver du temps de jeu et il fallait que je parte. La situation était claire. C’était un mois très compliqué, mais je me suis toujours investi à 100 %. On ne peut rien me reprocher.

Il y a cet épisode avant la réception de Gand (le 24 janvier 2016) où Yannick Ferrera, qui ne t’a pas repris, te demande de quitter les vestiaires.

De Sart : Il y a eu plusieurs choses. J’ai été blessé plusieurs fois. Je ne pense pas avoir mérité le traitement que j’ai eu. Ça restera en interne, mais j’ai subi des choses inacceptables.

Un an et demi plus tard, tu reviens à Sclessin, mais sous le maillot de Zulte-Waregem…

De Sart : J’étais un peu anxieux. Je retrouvais des amis, les kinés, les stewards, les supporters. J’avais reçu beaucoup de messages avant le match. J’avais énormément d’amis en tribune. Mais j’ai tout oublié quand le match a commencé. J’étais juste heureux de retrouver Sclessin. On gagne 0-4 donc ça facilite les choses. Et il y a surtout ces applaudissements à la fin du match qui m’ont beaucoup touché… Je ne les oublierai jamais. Ça restera gravé dans ma mémoire.

 » Zulte Waregem, c’était une évidence pour moi  »

Ta saison la plus aboutie avec le Standard, c’est finalement ta première, avec Guy Luzon. Ensuite, tu as moins joué, que ce soit sous les ordres de Vukomanovic, de Riga ou de Ferrera. Comment tu expliques que tu n’aies pas réussi à t’imposer sur la durée ?

De Sart : Le Standard est un club particulier. J’aurais souhaité jouer davantage. Mais peut-être que je n’ai pas toujours été prêt. J’étais jeune et j’avais beaucoup de pression sur les épaules. J’avais fait une super première saison, dans une super équipe. Aujourd’hui, la plupart de ceux qui la composaient jouent dans des clubs du top européen. Quand il ne restait plus que moi, on s’est dit : ‘Allez, faut qu’il relève le niveau‘. Mais c’était difficile, la situation globale n’est pas allée en s’améliorant.

Francky Dury te voulait depuis ton départ. Ça a joué dans le fait que tu viennes à Zulte Waregem cet été ?

De Sart : Avant que je parte à Middlesbrough, j’aurais souhaité venir ici. Ça ne s’est pas fait, c’était mon plan A. Le Standard ne voulait pas me laisser partir chez un concurrent pour les Play-Offs 1. Je suis resté en contact avec M. Dury. Quand ils se sont qualifiés pour les PO1, je l’ai félicité par message et il m’a dit que la porte était toujours ouverte. On a toujours eu cette petite relation. Je m’entendais bien avec lui, je savais quel coach il était et je connaissais aussi le club, qui prend de l’ampleur. Il faut le dire : maintenant, Zulte-Waregem est une équipe du top en Belgique. On joue un beau football, tous les joueurs qui passent par ici franchissent un palier… Je sais aussi que si je signe au mois de juin, le coach sera encore là un an après. C’est important. Zulte-Waregem, c’est le projet de M. Dury. Il me donne sa confiance, il est derrière moi. J’avais besoin de ça. À ce stade de ma carrière, Zulte-Waregem est le meilleur club où je pouvais évoluer. Il y avait tellement de raisons de venir ici que c’était une évidence.

Il y a une option d’achat sur ton prêt. C’était la même chose pour Soualiho Meïté, qui a été acheté pour être revendu. Quand on est un jeune joueur  » loué  » avec option, comment on appréhende ce statut au quotidien ?

De Sart : C’est très spécial. On a presque l’impression d’être un objet. On se dit qu’on est entre deux clubs, qu’on appartient aux deux. Dans ma tête, quand je suis à Zulte Waregem, je suis un joueur de Zulte Waregem à 100 %. Mais je suis aussi un joueur de Middlesbrough à 100 % parce que je leur appartiens toujours. C’est bizarre. Si je dois rester ici trois ans, je resterai trois ans sans problème. Si je dois retourner à Middlesbrough, j’irai avec le même investissement parce que, quoi qu’il arrive, je serai prêt.

par Nicolas Taiana – photos Belgaimage-Ilse Ketele

 » A Middlesbrough, je prenais le café chaque matin avec Victor Valdes. Je lui parlais forcément du Barça, du Standard, de Liège.  » – Julien De Sart

 » Mon seul regret, en Angleterre, est de ne pas avoir eu ma chance en Premier League.  » – Julien De Sart

 » A Derby, j’ai beaucoup appris au contact de Steve McClaren. Il me parlait beaucoup et c’est ce que je retrouve ici, à Zulte Waregem, avec Francky Dury.  » – Julien De Sart

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