Quelle baffe!

Son coach analyse sans complaisance la défaite contre Serena Williams.

On peut disserter longtemps sur l’élimination de Justine Henin en huitième de finale de l’US Open des oeuvres de Serena Williams (7-5, 6-0). On peut prétendre que la Rochefortoise a manqué de puissance et d’un service à la hauteur de l’événement. On peut mettre en doute ses qualités mentales, surtout au vu d’un deuxième set rondement emballé par l’Américaine. On peut dire beaucoup de choses mais pour Carlos Rodriguez, son entraîneur, c’est beaucoup plus simple: Justine n’a pas suivi ses consignes.

Carlos Rodriguez: Le match a été ponctué d’une trop grande quantité de déchet et d’un manque de détermination au service. Par rapport à ce qui avait été répété à l’entraînement et lors des tournois précédant l’US Open, je n’ai pas retrouvé la constance affichée contre Venus Williams et Monica Seles. C’est un échec. Et un échec cruel puisqu’il lui a coûté le premier set.

Peut-on attribuer ces imprécisions à la peur?

Oui, mais pas à la peur de mal faire. Elle a voulu frapper plus fort que d’habitude parce qu’elle craignait exagérément les retours de son adversaire. Or, avec 1,67 mètre et un gabarit relativement limité au niveau de la ceinture scapulaire, elle ne peut pas se permettre de descendre des avions ( sic) à chaque fois car dans ce cas, on a tendance à forcer et la précision s’en ressent! Justine a oublié une chose essentielle: contre Serena, plus vite tu sers et plus vite elle retourne. Justine l’a davantage mise en difficulté lorsqu’elle servait en finesse.

Pourquoi n’a-t-elle pas respecté les consignes d’avant-match?

Je ne me l’explique pas. Je m’attendais à une telle attitude au cas où, par exemple, elle aurait dû servir pour le gain du set. Mais pas dès le début du match.

Manque de force et de lucidité

Que s’est-il passé dans le deuxième set. Comment expliquer le 6-0?

Par la dépense d’énergie qui a précédé, surtout dans les trois derniers jeux du premier set. Justine n’avait plus la force et donc la lucidité nécessaires pour mettre en difficultés son adversaire. Contre ces filles-là, si tu ne passes pas tes premières balles, tu cours énormément. Tu t’essouffles et tu perds ta lucidité.

Comment allez-vous travailler le service à l’avenir?

Je compare souvent Justine à Hingis bien que la Suissesse soit plus grande qu’elle. Est-ce qu’elle sert fort? Quand on regarde les statistiques de ses matches, on constate qu’elle ne descend jamais en dessous de 60% de premières balles. Et pourtant, Hingis ne se fait pas attaquer et arrive à mettre son adversaire en difficultés. Deux jours avant Serena, j’ai emmené Justine voir Martina à l’entraînement. Son tennis est simple et logique. Si les soeurs Williams servent à 200 kilomètres/heure, c’est normal. Si Justine y arrive, ça ne l’est pas. Elle doit faire avec les moyens du bord.

Mise à part l’élimination plus rapide, quelle différence majeure avez-vous constaté à l’US Open par rapport à Roland Garros et à Wimbledon?

Dès le début du tournoi, Justine a joué comme un pied tout le temps ( resic)! En arrivant à New York, elle s’est dit qu’elle devait faire mieux qu’à Paris et à Londres. Elle s’est mise dans la peau d’une favorite en puissance parce qu’elle était la finaliste de Wimbledon! Ce fut sa première erreur.

Qu’aurait-elle dû faire?

Penser à son premier match, tenter de le gagner en jouant bien et, surtout, sans songer au suivant. Et ainsi de suite.

Plus compliqué qu’il y a six mois

La situation dans laquelle se retrouve Justine aujourd’hui n’est-elle pas plus compliquée qu’il y a six mois?

Beaucoup plus! Il ne faut pas oublier que c’est seulement après Roland Garros qu’elle est entrée dans le top 10 mondial. Il faut du temps pour gérer une telle situation. Justine n’est pas encore capable de le faire.

Et ses adversaires savent aujourd’hui ce dont elle est capable.

Quand elles l’affrontent, les joueuses sont désormais prêtes dès le premier point. Avant, elles se disaient: -La petite va m’emmerder pendant deux ou trois jeux, pas plus!

Quelle conséquence une telle élimination peut-elle avoir sur votre joueuse?

Tout de suite après le match, elle m’a dit: -J’ai pris une baffe dans la figure. Cela va me faire retomber les pieds sur terre! Je lui ai répondu: -Parfait, tu as tout compris! C’est ce que j’attendais. Justine va réagir comme après chacune de ces défaites. Voyez ce qui s’est passé après son élimination à Roland Garros. Deux semaines plus tard, elle gagnait à Rosmalen avant de disputer la finale à Wimbledon. C’est une fille qui a du caractère. Justine n’est pas du genre à s’enfoncer dans le doute. Après son incroyable tournée australienne, elle n’avait plus passé deux tours pendant les trois mois qui ont suivi! Aujourd’hui, durant ces trois derniers mois, elle n’a perdu que contre des top 10.

Mais pour repartir, elle doit déterminer ce qui s’est réellement passé.

J’excuse beaucoup de choses. Elle peut mal jouer, elle peut mal servir ou commettre des doubles fautes mais entamer une entreprise d’auto-destruction contre une fille comme Williams, ça non!

Elle n’accepte pas d’être plus faible

Justine est-elle consciente qu’elle est encore moins forte que les soeurs Williams?

Elle en est consciente mais elle ne l’accepte pas. Or, que ces filles, auxquelles j’ajoute volontiers Kim Clijsters, battent Justine, c’est logique. Elles sont installées au sommet depuis plus longtemps et leurs chances de gagner sont donc plus grandes. Sa défaite contre Serena va lui faire comprendre beaucoup de choses.

Quand on voit une jeune fille talentueuse comme Bedanova battre Seles, on se dit que les places dans le top 10 sont de plus en plus chères. Justine va-t-elle réussir à s’y maintenir?

On verra mais elle pourrait fort bien en sortir. Je n’ai jamais vu une telle concurrence dans le tennis féminin! Aujourd’hui, une fille du top peut se faire sortir à n’importe quel moment. Bedanova peut battre des filles comme Seles ou même Serena car elle joue très bien au tennis. Et elle n’a que 18 ans! Il y aussi Krasnoroutskaya et Hantuchova. Quand ces filles auront gagné en maturité, elles seront très dangereuses. Quant à celles qui talonnent Justine au classement, elles peuvent très bien rapidement la dépasser.

Que répondez-vous à ceux qui disent que Justine Henin manque de puissance athlétique?

Que la puissance n’est pas tout. On ne pourra jamais gonfler Justine pour qu’elle devienne comme Serena! Le tennis va encore évoluer: dans quatre ou cinq ans, la puissance ne fera plus la différence comme c’est trop le cas aujourd’hui. Ce que font les Williams n’est pas possible sur du long terme. Le jeu va de plus en plus vite. Non seulement Serena frappait plus fort que Justine mais elle était aussi plus rapide. Or la rapidité est fondamentale parce qu’elle permet au cerveau d’avoir plus de temps pour réfléchir où placer la balle. Au début du match, Justine avait cette rapidité de son côté.

Allez-vous essayer de rendre Justine plus puissante?

Nous allons certainement la renforcer davantage mais nous ne chercherons jamais à en faire une bête. Justine doit encore prendre deux à trois kilos de muscles mais cela va prendre du temps. Morphologiquement, son physique n’a pas fini d’évoluer. Il faut en tenir compte et ne pas augmenter exagérément les charges. De même qu’il faut doser le nombre de tournois. En raison de sa petite taille, Justine court plus que les grandes. Mais elle ne sera jamais une fille qui joue en puissance. C’est sa rapidité et son sens du jeu qui font sa force.

Paolo Leonardi, à New York

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