» POURQUOI MENTIR ? »

Il découvre le travail de directeur technique au Al Jazira Sports Club mais veut retrouver le terrain et pense à la Belgique :  » Je vise le poste de sélectionneur des Diables Rouges « .

Ambiance : on se bouscule sur les terrains de l’Al Jazira Sports Club aux Emirats Arabes Unis. Butti Mohammed Al Qubeissi, le président, est venu voir ses coaches hollandais entraîner les jeunes. On en profite pour lui faire signer maints documents. Mister Butti tend une main qui n’a jamais connu le travail manuel et étale sa connaissance du sport belge tout en passant de l’anglais à l’arabe dans ses communications téléphoniques. Il est un patient du Dr. Martens, Justine Henin a gagné le Dubaï Open, Mbo Mpenza est un bon avant, etc.

Au calme, Walter Meeuws nous parle de son aventure arabe…

Walter Meeuws : Butti m’a proposé un poste d’entraîneur il y a deux ans. Il a beaucoup de contacts : Bruno Metsu, Rinus Israël, qui a travaillé ici, George Weah, qui a joué pour Al Jazira. On peut parler de tout, y compris de tactique, avec lui. Je venais d’être limogé au Qatar mais j’ai refusé ses deux offres. Nous sommes restés en contact et en avril, il m’a proposé de devenir directeur technique. Il voulait embaucher un homme connu, qui ait lui-même joué. Sef Vergoossen travaillait pour lui et restait sur une bonne saison. Nous nous sommes rencontrés à Paris. Nous avons eu une conversation de trois heures, au terme de laquelle nous avons convenu que ma femme et moi visiterions Abu Dhabi. Deux semaines plus tard, il me retéléphonait. Liliane et moi sommes arrivés le 16 mai. Don Murray, le directeur australien du club, m’a fait visiter et m’a présenté un contrat. Don Murray, un ancien colonel, m’a impressionné. Il m’offrait un poste plus large que celui de DT : responsable du football. Butti nous a invités chez lui, nous a présentés sa femme et ses enfants. Nous avons signé le troisième jour, avant le vol retour. J’ai commencé le 1er juillet mais à peine revenu en Belgique, je visionnais Zuma à Copenhague et Baky Koné en France : le club avait tout réglé.

Pourquoi avez-vous accepté ?

Le club prévoit la construction d’un stade, il est ambitieux. Travailler avec Sef Vergoossen est agréable. Le club emploie beaucoup de coaches néerlandais pour ses jeunes et enfin, je relevais un nouveau défi, à un poste inédit pour moi.

Butti savait-il que vous aviez joué à l’Ajax ?

Oui. Il m’avait abordé il y a deux ans à cause de mon passé néerlandais. Butti est très occidental. Il connaît le foot : on peut discuter trois quarts d’heure du contenu des entraînements, de tactique…

Boss de tout le foot

Quelle est la différence par rapport au Qatar ?

Là, c’est la fédération qui décide dans quels clubs les étrangers iront. Le cheik Yassim était le patron d’Al Ittihad, devenu Al Grafh. Il est aussi président de la Qatar Football Association. Les interférences locales étaient nettement plus importantes qu’ici. Butti a ses idées mais Sef compose l’équipe comme il l’entend. Au Qatar, ce n’est pas le cas. Pour durer, il faut obéir au cheik. Butti veut un club stable, qui aligne une équipe de jeunes du cru d’ici 2010. Il ne limoge jamais un entraîneur en cours de saison. Ici, on ne peut aligner que deux étrangers.

Comment se sont passés vos débuts ?

Pendant deux mois, j’ai travaillé 16 à 17 heures par jour ! On me laisse beaucoup de liberté même si je suppose qu’on me tient à l’£il. Butti a un projet, qui est financé par le cheik Mansour. C’est un homme très respecté aux Emirats malgré ses 32 ans. S’il demande qu’on me vire, ce sera fait. Don est régulièrement invité au palais et le tient informé. Je ne le vois qu’aux matches.

Avez-vous renoncé au terrain ?

Je ne sais pas. J’ai franchi une étape logique, à 54 ans. Cette fonction comporte beaucoup de possibilités et de responsabilités. Je devais l’accepter. Mon nouveau job est intéressant, fatigant. Le département football compte 56 personnes à temps plein, 138 à temps partiel. Je suis donc responsable de quelque 200 personnes et j’ai des contacts avec la moitié, parfois pour des futilités. Je suis une sorte de manager général. Je découvre toutes les facettes d’un club. Ce ne serait pas possible en Europe. Là, le DT donne juste son avis sur les transferts alors qu’ici, je m’occupe du staff médical, du scouting, de toutes les équipes, du football de quartier, du fonctionnement quotidien, des implications financières. Et nous lançons une académie.

Ce pays ne représente pas grand-chose en football !

C’est ce qu’on me dit depuis que je suis à l’étranger. Mais quand je reviens en Belgique, on se demande ce que moi, je représente ! Je reste poli en le formulant ainsi. Pourtant, j’ai joué la finale de la Ligue des Champions africaine avec le Raja Casablanca. A quoi bon répondre aux critiques de ceux qui ne se sont jamais déplacés ici ? Quand j’ai rejoint la Turquie, on m’a dit que je m’y enterrais pourtant il me semble que le niveau turc est supérieur au belge…

Eric Gerets entraîne un grand club turc, Galatasaray. Vous ne l’enviez pas ?

Il est un des rares entraîneurs belges à réussir à l’étranger. Tant mieux pour lui. J’ai gagné deux Coupes de Belgique, la Supercoupe, disputé une finale de Coupe d’Europe sans jamais avoir ma chance dans un grand club belge. J’aimerais bien mais c’est le destin, sans doute ?

Drôle d’étiquette

Avez-vous tiré un trait sur ce métier ?

Pas du tout. Ma tâche actuelle est enrichissante. L’avenir dépend des impondérables du football.

Al Jazira est le numéro trois après Al Wahda et Al Ain. Il joue devant quelques milliers de personnes mais construit un complexe avec des hôtels, des magasins et un stade de 40.000 places. Ses ambitions ne sont-elles pas irréalistes ?

Je vous comprends mais c’est justement ce qui le rend intéressant. Mon travail me plaît énormément.

Quel est votre avenir ?

Dans ce monde, il est impossible de faire des projets. Les gens se font une certaine image de vous et elle vous colle au dos, même si elle ne correspond pas à la réalité. Je l’ai expérimenté quand j’étais sélectionneur. J’en étais peut-être responsable car j’étais inexpérimenté à ce poste. Depuis, des gens qui me connaissaient ont changé de comportement. Quoi que vous fassiez ensuite, cette étiquette vous poursuit. Avoir entraîné l’équipe nationale à 36 ans a toujours joué contre moi. Je n’aurais jamais dû accepter. Je pensais que chacun tirait à la même corde. Je me trompais. On m’a démoli de la première à la dernière minute à la télé flamande lors du match contre le Luxembourg. C’était délibéré. J’ai résisté longtemps : j’ai assisté au tirage au sort du Mondial, fait match nul en Grèce et contre la Suède, fin février. J’ai pris autant de claques pendant ces quelques mois qu’un autre en dix ans. Un jour, mon fils Sigi jouait un match de foot. Au coup de sifflet final, je me dirige vers la buvette et quand je pousse la porte, c’est le silence complet, tous les visages se tournant vers moi. Vous avez déjà vécu ça ? Je ne vous le souhaite pas.

Quelle étiquette avez-vous ?

Passons. J’y ai investi beaucoup d’énergie en vain. Cela ne me frustre plus. Après tout, que sont devenus les princes héritiers d’il y a deux ou trois ans ? Qu’ont-ils prouvé ? On dit que seuls les résultats comptent. Prenez mon CV et comparez.

Depuis votre départ du Lierse en 2001, vous n’avez travaillé qu’à l’étranger. Sciemment ?

Après le Qatar, je suis resté longtemps chez moi, sans recevoir la moindre offre d’un club belge alors que j’étais ouvert à tout. A peine avais-je signé ici que deux clubs belges et trois étrangers me téléphonaient. Encore les impondérables du football, sans doute ?

Prendre sa revanche

Ne craignez-vous pas de ne plus sortir de ce circuit africain et asiatique ?

Rester 16 mois à la maison est pire. Quand on a £uvré en Afrique, on sait ce que représente le fait de travailler avec des joueurs africains en Europe. Je constate aussi que l’écart entre l’Europe et ces soi-disant petits pays fond.

Voulez-vous prendre votre revanche ?

Encore faut-il en avoir l’occasion. Des journalistes m’avaient téléphoné, disant que j’étais un des candidats à la succession d’Amé Anthuenis. Depuis, j’entends qu’on a discuté avec untel et untel mais je n’ai pas reçu le moindre coup de fil. Mon nom revient souvent alors que personne ne prend contact avec moi. Ces rumeurs ne représentent rien… Si vous m’interrogez, je vous dirai qu’évidemment, tout entraîneur vise ce poste, même s’il est devenu DT, ce qui constitue une autre facette du métier. Cependant, si personne ne vient, je n’en ferai pas une dépression. Je suis curieux de voir qui sera l’élu.

Michel Preud’homme affirme avoir un bon souvenir de votre passage en équipe nationale.

(Froidement) Génial. S’il pensait à moi, il aurait pris contact, ne serait-ce que par téléphone.

Vous avez refusé une offre de Tromsö parce que vous êtes sous contrat ici jusqu’en 2007. Feriez-vous la même réponse à Preud’homme ?

Non. Après en avoir informé Butti, je discuterais. Le poste de sélectionneur est le plus beau : vous prenez les meilleurs joueurs, vous travaillez en fonction d’un EURO ou d’un Mondial. C’est le summum. Je suis donc intéressé mais réaliste.

Quel bilan dressez-vous de votre carrière d’entraîneur ?

Je peux être content de mes résultats. En équipe nationale, l’ombre de Guy Thys était trop lourde mais j’ai qualifié l’équipe pour le Mondial 1990. Nous avons gagné 3-0 le match décisif contre le Portugal en signant une de nos meilleures prestations depuis des années. Deux ans plus tard, j’ai gagné la Coupe avec l’Antwerp avant de disputer la finale de la C2 à Wembley. Je suis le dernier entraîneur à avoir réussi ça avec une formation belge. Ensuite, j’ai lutté pour un billet européen avec Lommel et atteint l’Intertoto. Le Lierse : deux campagnes européennes, une Coupe et une Supercoupe, un superbe football et la première place pendant des semaines. J’ai aidé Cavens, Hoefkens, Somers et Daems à percer, j’ai lancé Huysegems en équipe fanion à 16 ans. Ensuite, l’étranger. La poisse à Gençlerbirligi, dont les ambitions étaient démesurées. La finale de la Coupe et de la Ligue des Champions avec Casablanca. Pourquoi, avec ces résultats, n’ai-je jamais obtenu ma chance dans un grand club belge ? J’aurais aimé savoir ce que j’aurais pu atteindre.

Et la famille ?

Votre fils Sigi joue au tennis. Pourquoi n’êtes-vous pas devenu son Lei Clijsters ?

Je plaide coupable. Nous jouions souvent des tournois entre amis à la maison, sur notre court. Dès quatre ans, il a commencé à jouer, instinctivement, sans guère d’entraînement, ce qui lui a causé préjudice ensuite. Il est devenu un des meilleurs jeunes en Belgique. Il disputait souvent des finales face à Xavier Malisse, d’un an son cadet. Ils gagnaient à tour de rôle. A 12 ans, Sigi avait déjà entamé ses humanités chez les Jésuites. Ivo Van Aken a demandé s’il ne pouvait rejoindre l’académie de tennis de Wilrijk mais nous avons refusé tant il était bon élève. Il était aussi bon footballeur…

Vos deux filles et vos petits-enfants sont en Belgique. C’est dur ?

Oui. Quand nous étions en Belgique, Liliane et moi gardions Louis trois jours par semaine puisque Vanessa et son mari travaillent. Quand j’ai signé ici, le petit avait déjà le ventre gonflé. La dernière semaine de mai, le diagnostic est tombé : une tumeur qui n’arrive qu’aux enfants de moins cinq ans. Il avait une boule de 14 centimètres sur un rein. Il a subi quatre semaines de chimiothérapie. Une fois la tumeur réduite, on l’a opéré. On lui a enlevé le rein. C’était le 28 juin, deux jours avant mon départ à Abu Dhabi. (Il ôte ses lunettes et lutte contre son émotion) A ce moment, un club belge dont je tairai le nom mais qui marche bien maintenant m’a contacté. Allais-je rester en Belgique ? J’avais signé ici et j’ai toujours respecté mes engagements. Je savais que l’opération avait réussi et que je reverrais Louis régulièrement, puisque Al Jazira s’entraînait en Europe en juillet. Liliane n’est restée ici que le temps de tout mettre en ordre. Elle est repartie car Louis subissait une nouvelle chimio en juillet. Je me suis retrouvé seul. C’était pénible. Quelle force a ce petit bout ! Il n’a jamais pleuré, alors que la chimio le faisait vomir et souffrir… La vie est étrange. Mon boulot actuel me passionne mais si j’avais appris deux semaines plus tôt que mon petit-fils était malade, je l’aurais refusé. Tamara, ma seconde fille, qui vit à Munich, a mis une fille au monde le 14 juillet. J’ai passé deux jours là-bas avant de visiter Louis. Si je l’avais pu, j’aurais pris sa place. Il doit supporter un cathéter pendant un an encore. Nous sommes optimistes car le pourcentage de guérison atteint 99 % bien que le cancer puisse revenir dans les poumons. Vous voyez : on n’a pas la maîtrise de sa vie. Que représente le football à côté d’un drame pareil ?

JAN HAUSPIE, ENVOYÉ SPÉCIAL À ABU DHABI.

 » POURQUOI, AVEC MES RÉSULTATS, N’AI-JE PLUS JAMAIS OBTENU MA CHANCE DANS UN GRAND CLUB BELGE ? »

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