» Portigol « 

Ce n’est pas tous les ans qu’un joueur quitte le stade Santiago Bernabeu pour venir jouer en Belgique.

Bruges aborde ce soir la Ligue des Champions face à la Juventus. Avec un nouvel atout dans ses rangs, prestigieux lui aussi. JavierPortillo (23 ans, 1m82 et 70 kg) est toujours sous contrat avec le Real Madrid jusqu’en juin 2007, et est, ni plus ni moins, le meilleur buteur de tous les temps dans les catégories d’âge du Real : 371 en matches officiels et 323 en tournois et matches amicaux, soit un total de 694 buts depuis son incorporation dans l’équipe des Infantiles en 1994. Il devance même Raul dans ce classement

Il a disputé son premier match de Ligue des Champions en 2001-2002, contre le Panathinaikos : au cours des 40 minutes passées sur le terrain, il a trouvé le moyen d’inscrire son premier but, d’un tir des 30 mètres.

Javier Portillo est né à Aranjuez, à une cinquantaine de kilomètres de Madrid, le 30 mars 1982. C’est le même jour (mais pas la même année, forcément) que des artistes comme Céline Dion, Eric Clapton et le peintre Vincent Van Gogh. En juillet 2002, le journaliste Juan Carlos Casas, de l’hebdomadaire Don Balon, écrivait à son propos :  » Le Real Madrid sait qu’il possède un crack dans ses équipes de jeunes et est prêt à lui offrir le temps de jeu qu’il faut « . Le joueur lui-même, encore plein d’illusions, déclarait à la même époque :  » Le Real n’a pas besoin d’acheter d’autres attaquants : Raul, Morientes, Guti et moi, nous nous chargerons d’inscrire les buts « . C’était compter sans la politique mégalomane du président Florentino Perez, qui s’est mis en tête d’offrir chaque année un galactique aux socios. Tous des attaquants, forcément, puisque les défenseurs sont rarement des stars mondiales. Depuis lors, le petit Javi a dû se contenter des miettes.

Le Real a pris l’habitude de prêter ses joueurs excédentaires. Cette saison, Portillo est loué à Bruges après l’avoir été à la Fiorentina l’an passé. Qu’on ne se fasse pas d’illusions : si le joueur a choisi Bruges, ce n’est pas pour le plaisir d’aller jouer à Saint-Trond, à Beveren ou à Westerlo, mais pour participer à la Ligue des Champions.

Une garantie de buts

Transféré le dernier jour du mercato, Portillo a commencé les entraînements à Bruges en début de semaine dernière. Des entraînements suivis par 300 spectateurs curieux et enthousiastes, et également par son père, Julian, ex-vice président du Real Aranjuez, qui le suit partout.  » Javi a besoin d’être entouré « , explique-t-il.  » Il ne s’intègre pas facilement dans un groupe. Il est plutôt introverti et ne parle aucune langue étrangère. Pour le reste, demandez plutôt à mon fils ce qu’il pense de ses premiers pas à Bruges « .

Le fiston se montre enchanté:  » J’ai rarement évolué dans un tel contexte familial. Je crois que je vais me plaire ici. Simultanément, je constate que l’on travaille très dur. Certes, le niveau technique est moins élevé qu’au Real, mais je suis tout de même agréablement surpris. Je suis heureux, aussi, de travailler sous la direction de JanCeulemans. On sent que cet homme a vécu de l’intérieur le football de haut niveau. C’est important. Le meilleur entraîneur que j’ai connu au Real Madrid est VicenteDelBosque qui est, lui aussi, un ancien international. Pour le reste, mes objectifs sont simples : jouer, travailler pour l’équipe et marquer. Combien de buts ? On verra. La barrière de la langue ne devrait pas constituer un obstacle : le langage du football est universel « .

En Espagne, on est un peu surpris que Portillo ait opté pour la Belgique. Lorsque le Real a effectué une tournée lucrative en Asie et en Amérique, cet été, Javi était resté au pays parce qu’il était sur le point de signer pour Malaga.

 » Mais MichaelOwen a quitté le Real et le transfert de Robinho semblait avoir du plomb dans l’aile « , se souvient ToniBurrueco, qui suit les Merengues à la trace pour DonBalon.  » Dans ces conditions, l’entraîneur WanderleyLuxemburgo a opposé son veto au départ de Portillo. Et lorsque le transfert de Robinho s’est enfin concrétisé, il n’y avait plus de place pour lui à Malaga « .

L’option suivante semblait être Nantes, mais Bruges possède l’avantage sur les Canaris de disputer la Ligue des Champions.  » Javier Portillo, c’est une garantie de buts « , poursuit Burrueco.  » Ce n’est pas pour rien qu’on l’a baptisé Portigol. Lorsqu’il hérite d’une occasion, il la laisse rarement passer. C’est un buteur, mais pas uniquement. Il ne rechigne pas à effectuer son travail défensif. Techniquement, il est d’un niveau acceptable pour le football espagnol. Cela signifie : en un contre un, il est capable de passer, mais en un contre trois, cela devient plus difficile « .

Plus fort que Fernando Torres ?

Un joueur belge connaît bien Portillo : KevinFranck, 23 ans. Actuellement actif en D3 au FC Dender (le club issu de la fusion entre Denderleeuw et Denderhoutem), il a joué deux ans avec lui dans les équipes de jeunes du Real.

 » Cela reste de grands souvenirs « , sourit-il en évoquant cette période.  » Même si je n’ai pas vraiment percé, j’ai eu la chance de fréquenter des joueurs pareils, dans les vestiaires et parfois même en dehors du stade. Je me souviens de Javi comme d’un garçon très calme, d’agréable compagnie. Je connais sa mère de vue, mais pas personnellement. Par contre, j’ai eu l’occasion de discuter avec son père : il tenait un café à Aranjuez ( NDLR : enfait, deuxcafésquiportenttouslesdeuxlemêmenom, Pokhara). Ses parents sont des gens simples. Footballistiquement, Portillo est un buteur né, à l’affût de la moindre occasion. Il peut passer inaperçu pendant 89 minutes, mais s’il hérité d’une occasion à la 90e, il ne la laissera pas passer. Il est capable de décider de l’issue d’un match sur une seule action. Je me souviens d’une saison où il avait inscrit 43 buts. S’il y a un match que je retiens de lui, c’est lui contre l’équipe B de l’Atletico Madrid. Avant la rencontre, il avait eu une petite altercation avec Jesus Gil, le fantasque président de l’Atletico à l’époque, et il lui avait répondu : – Attendez, lorsque j’aurai inscrit deux buts, vous ferez moins le malin ! Et il a inscrit deux buts ! Dans les équipes de jeunes, il marquait dans toutes les positions, et avec toutes les parties du corps : de l’épaule, du genou… Arrivé en équipe Première, il a continué à trouver le chemin des filets avec une belle régularité. Mais il avait beau marquer, il se retrouvait de nouveau sur le banc lors du match suivant. Il était confronté au problème de tous les jeunes attaquants espagnols du Real : le club a les moyens d’acheter les meilleurs joueurs du monde et il n’y a pas de place pour eux. Ils doivent alors se recaser ailleurs. Là, ils peuvent éventuellement faire leur trou, comme Fernando Torres le fait à l’Atletico. Mais pour moi, Portillo est plus fort que Torres. Il aurait sa place dans la plupart des autres clubs de D1 espagnole. Je suis un peu surpris de le retrouver à Bruges, mais comme beaucoup d’autres jeunes, il a besoin de jouer et a opté pour un club qui dispute la Ligue des Champions. Certains ricanent déjà et affirment que, s’il se retrouve en Belgique, il ne doit pas être aussi bon qu’on le dit. C’est une réaction typiquement belge. On devrait se réjouir que des joueurs pareils élisent notre compétition pour poursuivre leur carrière, car c’est un enrichissement. Croyez-moi, Javier est un très grand talent. Techniquement, il a un certain bagage comme tous les joueurs espagnols, mais il n’est pas du genre à dribbler cinq hommes dans un rectangle. Sa principale qualité, c’est son sens du but. Il ne l’a pas vraiment démontré en Italie ? C’est possible, mais il a été utilisé sur le flanc. Ce n’est vraiment pas la place qu’il préfère. Il doit réellement être aligné comme attaquant de pointe, être présent dans les 16 mètres. Maintenant, il faudra voir comment les Brugeois vont l’utiliser. S’ils abusent de centres aériens, comme ils en ont parfois l’habitude, leur nouveau renfort ne leur sera d’aucune utilité. Portillo, ce n’est pas RuneLange. Il est plus petit, et comme tous les joueurs espagnols, il préfère jouer au sol. Le jeu de tête n’est pas son point fort. Les Brugeois devront donc un peu modifier leur façon de jouer en fonction de leur nouvel attaquant, mais je les crois assez intelligents pour cela. D’ailleurs, le style brugeois n’est pas aussi stéréotypé que cela. Des joueurs comme IvanLeko, Balaban et SvenVermant ont tout de même un sérieux bagage technique, eux aussi. Ce qui me préoccupe plus, pour Portillo, c’est le traitement que vont lui réserver ses adversaires directs. Comme il constitue une attraction, et sera catalogué comme le danger n°1, il risque d’avoir un garde du corps à ses basques pendant 90 minutes et ne sera sans doute pas ménagé « .

La saison dernière, Javier Portillo a été prêté à la Fiorentina. Il a pris part à 10 rencontres et n’a inscrit qu’un seul but avant de retourner au Real Madrid en janvier 2005.  » Et encore, ces statistiques sont trompeuses « , affirme Marco Bucciantini, qui suit la Fiorentina et le football espagnol pour le quotidien L’Unità.  » En fait, il n’a été titularisé qu’à quatre reprises et n’a disputé que des bribes de matches, 366 minutes en tout. Franchement, il n’était pas prêt pour le Calcio ni même pour la Liga. Il était beaucoup trop tendre et ce n’est pas un hasard si le Real a décidé de le prêter afin qu’il s’endurcisse. En Italie, il ne suffit pas d’avoir un bon pied gauche pour s’imposer. Je dois admettre qu’il a le sens du but : quand il avait la possibilité de tirer, c’était généralement cadré. Mais il n’est jamais paru capable de dépasser un adversaire, de se libérer d’un marquage très strict. A l’entraînement, il effectuait des numéros incroyables et marquait des goals à la pelle lors des petits matches collectifs de fin de séance. Mais on sait qu’entre l’entraînement et les matches, il y a un abîme : le marquage est moins strict, l’engagement est moins prononcé. Il a été aligné sur le flanc à la Fiorentina ? Pas dans la majorité des cas ! Lors de la deuxième journée, l’entraîneur Sergio Buso l’a titularisé comme centre-avant à Cagliari. Il l’a sorti au repos, tellement il avait été décevant. Portillo manquait de rythme et ses limites physiques étaient claires. Lors des deux journées suivantes, il est monté au jeu aux 82e et 62e minutes. A Parme, lors de la cinquième journée, il a été titularisé pour la deuxième fois, toujours comme centre-avant. Il a été remplacé après un quart d’heure en seconde période, toujours aussi décevant. Il fit encore quelques timides apparitions par la suite, mais il a fallu patienter jusqu’à la venue de Chievo, lors de la 16e journée, pour le voir débuter une troisième fois un match. Ce jour-là, en tant que deuxième attaquant aux côtés de ChristianRigano, il fut étincelant. Il délivra l’assist sur le premier but à la 45e minute et doubla la marque à la 70e. On le croyait lancé. Huit jours plus tard, à l’Atalanta, il était dans le onze de départ comme ailier gauche. Toute l’équipe livra une prestation médiocre et il passa littéralement par la fenêtre. A sa décharge, il faut avouer qu’il avait débarqué dans un club appelé à se battre jusqu’à la dernière journée de championnat. Il n’était manifestement pas fait pur ce genre de combats corps à corps. En revanche l’homme est humble, très disponible et n’a jamais fait d’histoire parce qu’il était sur le banc « .

Les infos venant d’Espagne se veulent plus encourageantes : en 2002-2003, il avait disputé dix matches et inscrit un but toutes les 46 minutes.  » Là aussi, il est important de voir quand il a marqué ces buts « , tempère Bucciantini  » Il montait généralement au jeu lorsque son équipe menait 2-0 et que, forcément, il bénéficiait de boulevards. En 2003-2004, il est monté au jeu à 18 reprises, mais il n’a marqué qu’un but. Evidemment, il a frappé tous les esprits le 25 février 2003 lors de la 4e journée du deuxième tour de la Ligue des Champions à Dortmund, lorsqu’il égalisa dans les arrêts de jeu. C’est vrai, ce but a pesé lourd lors du décompte final et a permis au Real de se qualifier pour les quarts avec un seul point d’avance sur le club allemand. Mais bon : ce n’est jamais qu’un but « . (N. Ribaudo)

Daniel Devos et Roel Van den Broeck

 » Il s’en sort en un-contre-un au plus haut niveau, mais pas en UN-CONTRE-TROIS !  » (un journaliste espagnol)

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