Orage de vivre

Pierre Bilic

Très concret, il veut devenir le nouveau puncheur des Dragons.

Il est tombé en admiration en découvrant la Grand-Place de Mons. Zoran Ban adore s’y promener mais n’a pas encore entendu parler du Doudou, de saint Georges terrassant le Dragon. Le nouvel attaquant de l’Albert ignore que sa ville d’adoption a grandi à côté de deux rivières, la Trouille et la Haine.

Des noms qui, la semaine passée, collaient avec les réalités d’un club secoué par des doutes internes. Critiqués par la presse, secoués par leur président, Dominique Leone, les joueurs firent le gros dos avant le voyage à Genk où ils passèrent la dernière soirée d’un été superbement interminable. Pour eux, le temps s’était pourtant gâté depuis le début du championnat. Ils préférèrent ne pas parler en attendant que le ciel se dégage. Le nul de Genk, décroché dans l’orage devant Kris Van de Putte.

A Genk, vous vous êtes retrouvé en face de l’homme auquel vous succédez à Mons : y avez-vous pensé ?

Zoran Ban : Alors là, pas du tout. Ce match a été soigneusement préparé toute la semaine. Ce qui compte pour Mons, c’est le présent. En football, tout va vite et la saison passée, c’est déjà il y a un siècle. C’est quand on n’oublie pas le passé que les problèmes peuvent surgir. Mons doit confirmer sa bonne première saison en D1, ce qui n’est jamais facile. On n’y arrive pas en essayant de répéter tout ce qui a été fait la saison passée. Mons a changé. Les comparaisons poste par poste ne ressemblent à rien : il faudra juger le tout, globalement, en fin de saison. La page Roussel doit être définitivement tournée. Je ne vis pas avec le fantôme de Cédric Roussel dans ma tête et mon jeu.

J’ai déjà dû remplacer Mbo et Emile Mpenza à Mouscron puis Branko Strupar et Souleymane Oularé à Genk, alors… Grâce à Mons, Roussel a réalisé une saison assez exceptionnelle. Tant mieux pour lui mais il va peut-être se rendre compte après coup, si ce n’est déjà fait, de ce que ce groupe lui a apporté. Mons n’était pas synonyme de Roussel comme l’Inter ne brillait pas que par Ronaldo. Le Brésilien est parti au Real, y casse la baraque depuis la saison passée mais l’Inter est toujours là, peut-être plus fort qu’avant, ce qui lui a permis de gagner 0-3 à Arsenal en Ligue des Champions. Mons n’est ni le Real Madrid ni l’Inter, bien sûr, mais un seul départ ne peut pas fragiliser un club. Du moins quand il y a une vision tactique comme c’est le cas à Mons.

Le problème mental de Mons

Mais, quoi que vous fassiez, on vous comparera à Cédric Roussel jusqu’en fin de saison…

Ce serait le regard des autres, pas le mien. Cela va s’estomper. Notre ambition à court terme est facile à cerner : signer une bonne performance à Genk, battre ensuite le Cercle Bruges. La moitié du chemin a été parcourue. Si nous arrivons à nos fins, ce dont je ne doute pas, face à notre prochain adversaire, ce sera le déclic. Une petite série positive relancerait ce groupe pour de bon. A mon avis, plus que le départ de Cédric Roussel, Mons a déploré un problème mental. L’Albert s’est probablement grisé tout au long de la saison passée. Tout le monde s’est dépassé, a joué à du 150 % car il y avait beaucoup : l’avenir d’un club néo-promu, des jeunes qui découvrent l’élite et des anciens à qui on a accordé une nouvelle chance. A mon avis, c’est épuisant sur le plan mental et il faut remettre tout de suite le couvert. Mons n’a pas le petit brin de chance qui aurait facilité son début de saison. Si la qualité et la rage n’étaient pas là, ce serait grave mais ce n’est pas le cas : il y a du talent à Mons. La difficulté devient un atout quand on la franchit. Mouscron a eu du mal à se remettre du départ des frères Mpenza. Je suis arrivé au Canonnier à ce moment-là. Pas évident. Hugo Broos a souffert, a cherché, mais tout s’est mis en place et ce club est désormais une valeur sûre de la D1. Tout le monde traverse des crises de croissance. A Genk, ce ne fut pas évident non plus quand Souleymane Oularé et Branko Strupar sont partis. J’étais là, on a sué mais à la fin de la saison, Genk remportait la Coupe de Belgique. Mons doit passer les mêmes caps.

La qualité du noyau de Mons a-t-elle été un facteur essentiel au moment où vous avez opté pour Mons ?

Evidemment. Je sais depuis longtemps que le matériel de base est bon. J’ai eu de premiers contacts avec Mons en avril dernier. Marc Grosjean voulait absolument m’engager. Il y eut encore d’autres discussions plus tard mais des détails nous empêchèrent de finaliser avant le début de la saison. Le courant est tout de suite passé avec le coach. Le groupe est à fond avec lui. Il a le c£ur sur la main mais quand il se fâche, c’est pas rien. Ce fut le cas au repos du match contre Lokeren.

Vous n’avez finalement pas pris part à la campagne de préparation : était-ce un handicap ?

En fait, mon problème ne se limitait pas à cela. Vu les problèmes que j’ai eus à Mouscron, et sur lesquels je ne reviens plus, je n’avais pratiquement plus joué depuis un an. A 30 ans, c’est grave. C’est dur sur le plan mental quand on ne peut rien faire pour changer le cours des choses. J’étais dans les meilleures années, tant sportivement que financièrement, de ma carrière et tout s’était refermé. Il y avait une possibilité en Chine mais l’épidémie de SRAS annula cette piste. On me cita en Turquie et en Israël mais cela ne se finalisa pas. A la fin du compte, je me suis entraîné avec mon ancien club, Rijeka. Mais s’entraîner, même si l’intensité était évidente, ce n’est pas jouer. Physiquement, je n’ai pas pris un gramme mais, compte tenu du retard, il fallait que je retrouve les sensations de la compétition et cela ne s’acquiert que par le temps de jeu. J’ai finalement signé le 18 août. Je trouve que j’ai vite compensé ou gommé ce retard. Cela a été plus facile parce que le coach me connaissait. Marc Grosjean a toujours estimé que je pouvais lui apporter ce qu’il cherchait. Il a eu le même raisonnement pour Cédric avec le résultat qu’on connaît. Quand il est revenu d’Angleterre, Roussel était cependant plus loin que moi : il était oublié.

En parallèle avec la vision de Marc Grosjean à mon propos, il y avait aussi ma parfaite connaissance du football belge. Il y a sept ans que je joue en Belgique, ce n’est pas rien. Je perçois aussi une estime à mon égard. Cela fait plaisir. Mons me plaît, j’ai découvert une mentalité latine, de très belles choses, un centre-ville qui vaut le coup d’£il et du plaisir dans le regard des gens. Je me suis tout de suite senti à l’aise à Mons. Le premier coup d’£il a suffi. Mouscron, par exemple, est un gros village, ce qui a du charme aussi, et c’est totalement différent par rapport à une ville.

 » Se battre pour le nul n’est pas un déshonneur  »

A Genk, vous étiez seul en pointe, seul pour remplacer Roussel ?

Non. Le problème ne se pose pas de la sorte. C’est l’équipe qui a obtenu un point. Cela nous fait un bien fou. J’ai joué à la Juventus. Giovanni Trapattoni était notre coach. Je me souviens d’une période difficile en championnat. La méthode de la Juve pour retrouver le sourire était simple, même chez un adversaire modeste : fermer la porte, attendre, garder au moins un point, prendre éventuellement les trois sur un bon coup. Si la Juventus l’a fait avec Fabrizio Ravanelli et Roberto Baggio, pour ne citer qu’eux, quand c’est difficile, pourquoi ne serait-ce pas possible dans notre cas ? Se battre pour ne pas encaisser de but n’est pas un déshonneur. En Italie, c’est un art, une obligation. Ne pas accepter ce choix passager, c’est faire preuve d’arrogance et de suffisance.

L’humilité est la clef à pas mal de problèmes. Quand on défend bien, il y a toujours tôt ou tard une occasion de l’autre côté : il ne faut pas la rater. Nous avons examiné la cassette vidéo de Genk au Standard. Les Limbourgeois y furent d’abord défensifs, misèrent sur les contres, ont pris les trois sans se poser de questions. C’était à nous de les bloquer, cette fois, en leur posant des problèmes de circulation de la balle au centre du terrain. J’étais seul en pointe mais je ne suis pas le seul attaquant montois. Il y en a au moins quatre dans le groupe : Louis Gomis, Jean-Pierre La Placa, Emmanuel Kenmogne et moi-même. Cela fait plus de combinaisons possibles que la saison passée. Ce sont des atouts. Tout ne peut pas être bâti sur un joueur car le jeu devient alors prévisible et plus facile à lire pour tous les adversaires.

Les statistiques dévoilent que vous avez marqué 43 buts pour 107 matches en D1 belge tandis que Roussel en est à 35 buts en 73 matches. Un but toutes les 224 minutes pour vous, un toutes les 187 minutes pour lui…

Ce sont de bons chiffres dans les deux cas. Si cela colle avec les courbes des résultats du groupe, c’est parfait. Mais ça, on verra plus tard. Ces statistiques ne m’obsèdent pas du tout. Je préfère mal jouer et gagner que le contraire. Dès que nous serons stabilisés, la qualité reviendra car Marc Grosjean est un entraîneur offensif.

Après une grosse saison, n’est-ce pas difficile à accepter ?

Peut-être. Mais ce sont des moments de transition. Sur un terrain de football, il faut aussi chercher à être malins. C’est utile dans le doute. Ce noyau a tout. Je l’avais déjà vu au Standard. Les Liégeois se sont largement imposés mais, ce jour-là, Mons a aussi été battu par lui-même. Il y a de tout à Mons : de la technique, du physique, de la taille, du métier, de la jeunesse. L’ambiance est, de plus, extra entre les joueurs.

 » Je m’adapte partout  »

Avec le recul, et en considérant que vous avez joué à la Juventus, votre carrière répond-elle aux attentes que vous en aviez ?

J’aime la découverte. Après Rijeka, je me suis retrouvé à la Juventus. J’avais 19 ans, c’était très jeune. Je n’y suis resté que deux ans mais j’y ai tellement appris. C’est une autre planète, le max. Au Portugal, j’ai retrouvé un style de jeu proche de celui pratiqué dans les pays de l’ex-Yougoslavie. En Belgique, il faut être prêt à 100 % physiquement pour bien défendre ses chances. Je m’adapte partout.

Votre famille reste à Rijeka : est-ce un problème ?

Nous avons fait des choix. Nos filles ne pouvaient plus changer sans cesse d’école car cela posait des problèmes. Elles risquaient de se perdre entre le français, le néerlandais, le croate. Dès lors, il était impératif pour elles de se fixer à Rijeka. Les grands-parents s’occuperont d’elles et ma femme profitera de… Ryanair qui a une liaison entre Charleroi et Trévise qui n’est pas loin de Rijeka. Ce n’est pas évident mais je n’ai pas vraiment d’autre choix. Leur avenir est en jeu et cela vaut des sacrifices.

 » A la Juve, même avec Ravanelli et Baggio, Trapattoni jouait le nul quand c’était la crise « 

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