» ON N’A JAMAIS AUTANT PARLÉ DU FOOTBALL BELGE DANS LE MONDE « 

Jusqu’en juin 2014, l’Union Belge et son CEO, Steven Martens, ont vécu un véritable conte de fées. Mais durant la Coupe du monde au Brésil, de gros nuages se sont subitement amoncelés et au cours des mois suivants, l’URBSFA a même encaissé quelques sérieuses gifles.

Il y a trois bonnes années que Steven Martens (50) a quitté le monde du tennis pour celui du football. Dès son arrivée, un vent nouveau souffla sur la Maison de Verre de l’Avenue Houba De Strooper et l’Union belge fut plus prospère que jamais. Le succès des Diables Rouges se conjuguait avec de belles campagnes de marketing et la vieille dame semblait soudain plus sexy. Tout le monde était diable ou, à tout le moins, supporter de l’équipe nationale.

Après la Coupe du monde, cependant, le CEO fut de plus en plus souvent décrit comme un individu ne pensant qu’à se remplir les poches. La semaine dernière, ce n’est que de toute justesse qu’il parvint à éviter une grève du personnel. De plus, les Diables Rouges se mirent à galvauder des points et la quatrième place au classement FIFA perdit un peu de son éclat.

C’est dans son joli bureau situé au troisième étage du bâtiment fédéral que Martens nous reçoit. Son bras droit, le directeur commercial Bob Madou, nous rejoint au dernier moment. Pendant l’entretien, il se concentrera surtout sur son smartphone.

Quel bilan tirez-vous de cette année sur le plan sportif ?

Ce fut l’une des meilleures années de l’histoire. Il ne faut pas se laisser envahir par ce qui s’est passé au cours des dernières semaines. Nous espérions battre le Pays de Galles mais le nul ne doit pas influencer notre raisonnement. Nous avons très bien préparé la Coupe du monde et nous avons remporté tous nos matches au Brésil, à l’exception du quart de finale face à l’Argentine. A l’exception du nul contre le Pays de Galles, la campagne de qualification pour l’Euro 2016 se déroule comme prévu également. II n’y a donc pas de quoi paniquer. Nous cherchons encore un style de jeu mais, pour ce qui est des résultats, nous n’avons pas à nous plaindre. On n’a jamais autant parlé du football belge dans le monde. De nombreux pays nous considèrent comme novateurs et notre football suscite l’intérêt un peu partout. Tout le monde se demande comment un aussi petit pays peut compter autant de bons joueurs.

C’est au Brésil que les premières critiques se firent entendre.

Depuis la Coupe du monde, on ne nous regarde plus de la même façon. Nous sommes quatrièmes au classement mondial, nous ne sommes plus des outsiders. Nous devons marquer davantage, surtout sur les phases arrêtées. Nous devons pour ainsi dire remporter chaque match avec au moins deux buts d’écart. L’aspect sportif n’est pas mon dada mais je pense que c’est la conséquence logique du succès. On attend davantage de nous et les médias soulignent des choses qui ont peut-être un fond de vérité mais qui sont exagérées. On dit que le coach n’est plus capable de ceci ou de cela, qu’il travaille trop peu tel ou tel aspect. Tout prend des proportions énormes.

 » Certains ont vraiment tendance à tout exagérer et à noircir le tableau  »

En gros, bon nombre de médias affirment que le sélectionneur n’a pas suffisamment d’étoffe pour diriger un groupe de ce niveau. Cela vous tracasse-t-il ?

Effectivement, nous y songeons. Les coaches ne sont pas éternels. Marc Wilmots a un contrat de quatre ans et nous pensons à ce que nous devrons faire au terme de celui-ci ou avant s’il se passe quelque chose. Nous essayons d’ouvrir grand nos yeux et nos oreilles mais on exagère beaucoup et cela finit par rejaillir sur le sélectionneur. C’est un homme. Il doit écouter les différents avis et trancher. C’est propre à un sport comme le football et plus encore au niveau d’une équipe nationale. Cela ne se passe pas qu’en Belgique. Mais nous n’avons de toute façon pas l’impression que nous devons intervenir.

Les médias se trompent-ils donc lorsqu’ils voient, dans les récentes déclarations de Courtois et De Bruyne, des critiques à l’égard du sélectionneur ?

Je suis en contact avec les joueurs et je parle également avec ceux qui partagent la vie du groupe. Ce sentiment est inexact. Il provient du fait qu’on a lié une déclaration d’après-match à d’autres affaires. Courtois a dit quelque chose au moment où le livre de De Bruyne sortait et on a associé les deux. J’ai lu des choses dont je sais qu’elles ne ressemblent pas à ces deux hommes. Je le répète : certains ont tendance à tout exagérer et à noircir le tableau.

Mais il y a également eu tous ces changements au sein du staff : la presse a-t-elle exagéré là aussi ?

Soyons honnêtes : certaines remarques sont exactes. Il n’est pas anormal que des changements se produisent au sein d’un staff sportif mais on ne doit pas faire les comptes. Le départ d’une personne chargée de la logistique n’a pas le même impact que celui du responsable du staff médical. Certaines choses nous interpellent et nous allons en parler au sélectionneur mais c’est lui le responsable et nous le soutiendrons toujours.

Jusqu’à la Coupe du monde, il n’y eut que des bonnes nouvelles à annoncer. Par la suite, ça s’est gâté.

C’est vrai et c’est dommage car la fédération ne s’est jamais aussi bien portée que maintenant, tant sur le plan sportif que structurel, qui n’a jamais été aussi clair. Les rentrées financières sont plus importantes que jamais, on reparle du centre national de football et nous avons beaucoup progressé au niveau de la digitalisation des services. Le nombre de membres a augmenté de trente, trente-cinq mille en trois ou quatre ans. La plupart des sports n’en comptent pas autant. Il y a pratiquement autant de femmes qui jouent au football que de hockeyeurs dans tout le pays. Or, on parle d’un sport en pleine expansion. Beaucoup de choses positives se sont passées mais on donne de nous l’image de dépensiers, de mauvais gestionnaires, de gens froids au niveau de la gestion des ressources humaines. Tout cela à cause de quelques dossiers qui ont jeté une ombre. Des dossiers regrettables, certes, mais soyons clairs : certains les utilisent parce qu’ils n’ont pu atteindre ce à quoi ils aspiraient.

 » Au Brésil, on a voulu faire plaisir aux fans mais ça s’est retourné contre nous  »

Que voulez-vous dire ?

Nous avons réussi à obtenir l’organisation de matches de l’Euro 2020 alors que nous étions le seul pays parmi les 32 candidats à ne pas avoir de stade. C’est quelque chose de positif mais on en a fait quelque chose de négatif, disant qu’on faussait la loi de la libre concurrence. On noie le poisson, on utilise certains dossiers pour dire que tout est pourri. Ça fait mal.

Passons tous ces problèmes en revue. Tout a commencé avec le camping au Brésil.

Nous voulions transporter à Rio l’euphorie qui régnait au Stade Roi Baudouin. C’était trop ambitieux car le Brésil n’est pas l’Europe. De plus, le Belge n’a pas une âme de campeur. C’est pourquoi nous avions confié cela à une firme hollandaise. Notre intention était de faire plaisir aux supporters mais cela s’est retourné contre nous.

Une fois rentré, il y a eu cette note d’hôtel. Vous n’avez jamais été très clairs à ce sujet.

A un certain moment, on nous a proposé des packages vol + hôtel. Nous avons signalé aux joueurs qu’ils pouvaient en réserver pour leur famille. Après, le dossier a été mal géré. Je ne peux pas en dire plus sans quoi cela pourrait être utilisé contre nous puisqu’il y a litige. On a cité des chiffres qui prêtent à discussion mais je ne peux rien dire de plus. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’une somme importante et que le dossier a été mal géré. Par qui ? C’est de cela qu’on discute mais en tout cas, ça a fait de l’ombre à tout l’aspect positif. Nous sommes en partie responsables également mais nous ne sommes pas seuls. J’aimerais tout vous expliquer mais, hélas, je ne peux pas.

Pour vous, la responsabilité semble clairement établie puisque vous avez licencié quelqu’un.

Ce dossier est traité par le Conseil d’Administration. C’est à ses membres que les managers répondent et ils ont fait leur choix. Au niveau de la perception, c’est le pire de tous les dossiers.

Ce que les gens ont retenu, c’est qu’un employé a été viré tandis que les gros bonnets restaient en place.

Une image de mauvaise gestion.

Et ce n’était pas de la mauvaise gestion ?

Je ne peux vraiment rien dire de plus, c’est très ennuyeux. Ce n’est pas que je ne veux pas mais cela sera utilisé contre moi ou contre la fédération.

 » Avec nous, le mot bonus a soudain pris une connotation négative. Pourquoi ?  »

A cause de ce dossier, on a reparlé des bonus. On en avait déjà parlé avant la Coupe du monde mais personne n’y avait prêté attention.

Le mot bonus me fait repenser à la crise bancaire de 2008. Un crash boursier, des banques en faillite et des managers touchant tout de même leurs bonus. Depuis, ce mot a une connotation négative pour Monsieur Tout-le-Monde. Je suis étonné que cela fasse autant de bruit dans le monde du football, un sport où, justement, les joueurs et les entraîneurs sont payés au point, en fonction des résultats, donc. Sans parler des managers qui touchent un pourcentage sur chaque transaction. Mais quand il s’agit de l’administration d’une société, on n’est pas d’accord. C’est une attaque très facile. La seule chose que j’ai à dire, c’est que nous avons négocié un contrat que le Conseil d’Administration a ratifié. On nous a dit qu’on pouvait nous payer autant par mois et qu’on pouvait encore nous donner quelque chose si tel ou tel objectif était atteint.

On a aujourd’hui l’impression que ces bonus vous seront retirés.

Les bonus sont déterminés par écrit. Nous avons un contrat et il sera respecté. BobMadouabandonneunpeusesSMSetajoute : Ce qui nous a le plus dérangé, ce n’est pas qu’on parle des bonus ou de leur montant. Je pense que ceux-ci sont corrects et couplé à des résultats ou à des objectifs. Mais à un certain moment, on a dit que nous nous étions nous-mêmes octroyé ces bonus. Steven Martens : Ça, je le démens formellement. La direction ne s’est rien accordée. La seule chose que je fais, c’est évaluer les gens qui travaillent pour moi et transmettre cette évaluation au président.

Certains dirigeants ont dit que les résultats commerciaux étaient davantage liés aux résultats des Diables Rouges qu’au travail de la direction.

Un dirigeant de club a le droit de donner son avis en matière de football. Le Conseil d’Administration ne dit pas en fin d’année : vous avez bien travaillé car vous avez atteint ceci ou cela. C’est en début de saison qu’on nous fixe les objectifs sur lesquels nous serons évalués. Il est vrai que nous surfons sur la vague du succès des Diables Rouges. Mais en entreprise, la conjoncture joue également un rôle dans l’obtention des résultats.

Il n’empêche que vous serez désormais contrôlé de façon plus stricte.

C’est encore une autre histoire et ça n’a rien à voir avec les bonus. Nous avons fondamentalement revu toute l’organisation et, à la fin de la saison dernière, nous étions prêts à fonctionner autrement. Ce contrôle plus strict était prévu et heureusement car cela nous permet de débuter immédiatement. Si je dois effectuer des choix qui dépassent un certain montant, je laisse faire le Conseil d’Administration. C’était prévu comme cela et je trouve ça fantastique. Par le passé, il m’est arrivé de devoir prendre des décisions et de prier pour que tout le monde soit d’accord.

 » Les licenciements, aussi regrettables soient-ils, étaient prévus depuis longtemps  »

Vous ne considérez donc pas ce contrôle plus strict comme une motion de défiance ?

Au contraire. Tout était déjà prévu et je me sens bien comme ça. Je suis davantage couvert et chacun porte une part de responsabilité dans les décisions. Les licenciements, aussi regrettables soient-ils, étaient déjà prévus depuis longtemps également.

Vous avez parlé de rentrées financières plus importantes que jamais. A la Pro League, on ne dit pas la même chose. L’Union belge a fait deux millions d’euros de bénéfices la saison dernière mais les recettes ont augmenté de seize millions d’euros. Autrement dit : vous avez beaucoup trop dépensé.

Ça nous amène à parler de la répartition des tâches à l’Union belge. Si notre mission consiste à faire le maximum de bénéfices, nous ne sommes pas d’accord. La Pro League est un groupement d’intérêt de seize clubs qu’elles défend vis-à-vis des autres groupements. Elle commercialise les droits de son championnat dans l’optique d’en retirer un maximum. La fédération a un autre rôle. Elle doit organiser les championnats et promouvoir le football en général. Cela veut dire qu’elle doit engager des entraîneurs et des joueurs de qualité mais aussi soutenir ses clubs de la meilleure façon qui soit. Et ces clubs sont très différents. La plupart travaillent avec des volontaires et quelques-uns sont professionnels. Ils n’ont pas les mêmes besoins. Par le passé, la fédération s’occupait surtout de l’organisation des championnats. Nous avons fait du développement du sport une priorité. C’est écrit dans le texte d’intentions stratégiques que nous avons remis en 2011. Pour avoir des arbitres de qualité et développer le football féminin, il ne suffit pas d’améliorer l’organisation, il faut oser investir. Nous pouvons utiliser l’argent que nous générons pour la promotion du football et nous l’avons fait.

BobMadouintervient ànouveau : Cette histoire de 16 millions de chiffre d’affaires supplémentaire et de deux millions de bénéfices, c’est un raisonnement simpliste. Quand on augmente son chiffre d’affaires grâce à un subside, on dépense automatiquement plus. Pour créer l’aile francophone, il a fallu engager douze personnes. L’argent reçu à cet effet ne peut donc être considéré comme du bénéfice.

Martens reprend : On parle à la fois de visions différentes du développement du sport et du lien qui existe entre recettes et dépenses. On ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs. Les autorités ne nous donnent pas de l’argent pour ne rien en faire.

 » Nous engageons les gens sur base d’une procédure objective  »

Ce ne sont pas seulement les clubs professionnels qui sont fâchés : les clubs amateurs se plaignent aussi. On parle même d’une révolte des provinces wallonnes. Comment expliquez-vous cela ?

C’est une conséquence de la révolte des présidents provinciaux. Pour ce qui est du football amateur, le pouvoir de décision sur le personnel et l’attribution des subsides est conféré aux ailes régionales. C’est avec elles que les secrétariats provinciaux signent les contrats. Les présidents provinciaux sont élus par les comités provinciaux et ont toujours eu le sentiment que les secrétariats leur appartenaient. Mais sur le plan juridique, ce n’est pas le cas. Si le conseil d’administration de leur aile régionale prend une décision, ça les dépasse et ils n’aiment pas cela. On peut comparer cela avec le gouvernement Michel qui décide de relever l’âge de la pension sans l’accord des syndicats. Ici, il se trouve que certains présidents provinciaux ont ameuté les médias et ont ainsi eu une tribune.

Les francophones ont l’impression de ne plus compter. Les huit directeurs de la fédération sont tous Flamands. N’ont-ils pas raison ?

Je comprends que ce ne soit pas bien perçu mais nous engageons les gens sur base d’une procédure objective. Presque tous les directeurs ont vu leur profil analysé par une agence de chasseurs de têtes. Les seules choses qui comptent sont les compétences et les langues. Tous ces gens ont été engagés par moi et notre DRH de l’époque, un francophone. J’ajoute que notre sélectionneur est francophone et celui des Espoirs également. Là aussi, nous avons toujours opté pour le candidat le plus approprié. L’aile francophone s’est développée plus tard que l’aile néerlandophone et doit engager d’urgence un directeur à temps plein. Cela donnerait déjà une teinte plus francophone à la direction. ?

PAR FRANÇOIS COLIN ET JACQUES SYS – PHOTO: BELGAIMAGE

 » Les fameux bonus étaient stipulés par écrit. Ce n’est pas nous qui nous les sommes subitement octroyés.  »

 » On donne de nous l’image de dépensiers et de mauvais gestionnaires alors qu’il y a pas mal de choses positives à retenir et à souligner aussi.  »

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