ON DEMANDE PUNCHEUR

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Les Zèbres sont déséquilibrés : le danger vient beaucoup trop de la deuxième, voire de la troisième ligne.

Dans le bon classement actuel de Charleroi, il y a plus d’un paradoxe. Par exemple, le Sporting est l’une des équipes de D1 qui commettent le moins de fautes et prennent le moins de cartes jaunes, mais c’est aussi celle qui a récolté le plus de cartons rouges. Dans ce club où la pression sur les joueurs est permanente, où le discours est fait d’ambition mais aussi d’agressivité et de frustration (par rapport à l’arbitrage notamment), certains gèrent mal leur impulsivité, se contrôlent bien pendant une partie d’une rencontre puis explosent soudainement. Le match au Germinal Beerschot, avec trois exclusions de joueurs après celle de Jacky Mathijssen, résumait parfaitement la situation.

Autre paradoxe : les Carolos sont mal positionnés au classement des buts marqués, avec une moyenne d’environ 1,5 goal par match. Théoriquement insuffisant pour jouer le haut du tableau, mais le profil des rencontres des Zèbres masque cette lacune : ils s’imposent presque toujours par le plus petit écart et on marque peu de buts dans leurs matches. Leur score fétiche, c’est une victoire 2-1. Les Carolos sont par ailleurs en tête du nombre de corners bottés et jouent la tête du classement des fautes subies. Cela devrait leur valoir une très grosse moyenne offensive, vu que les phases arrêtées sont de plus en plus prépondérantes dans le foot d’aujourd’hui. Mais ils n’en profitent pas.

Une explication tombe sous le sens : Charleroi n’a plus de tueur dans ses rangs. Ce fut Izzet Akgül en 2004-2005 puis François Sterchele en 2005-2006. Au début de cette saison, leur rôle fut repris par Cyril Théréau : trois buts en quatre matches… puis un départ au Steaua Bucarest. Le vide n’a pas été comblé, c’est une évidence. Depuis la fin du mois d’août, les attaquants carolos n’ont marqué, ensemble, que deux pauvres petits buts (par Akgül et Joseph Akpala)… dont un sur penalty (Akgül). Tous les autres goals sont venus de médians, de défenseurs ou d’adversaires maladroits !

Tentative d’analyse du malaise offensif.

Custovic à Mouscron, Ogunsoto à Westerlo, Sterchele au G. Beerschot

Mouscron, Westerlo et le Germinal Beerschot sont, sur le papier, des équipes de la valeur de Charleroi. Mais à l’inverse du Sporting, elles ont toutes un vrai voleur de buts, un gars qui assure près de la moitié de leur production : Adnan Custovic, Patrick Ogunsoto et Sterchele. A Charleroi, le meilleur buteur reste Théréau alors qu’il n’était plus là pour disputer les sept derniers matches. Les meilleurs réalisateurs toujours en activité sont Frank Defays, Tim Smolders et Fabien Camus (tous 2 buts) : un défenseur et deux médians. C’est une statistique rare et anormale. La position du club au classement serait-elle encore plus enviable si Théréau n’avait pas été vendu à Bucarest ? C’est probable. Le Français n’avait eu besoin que de quelques semaines pour démontrer son instinct de buteur. Il n’est pas resté suffisamment longtemps chez nous pour qu’on puisse se faire un avis définitif sur ses qualités, mais il a vite prouvé qu’il ne gaspillait pas les bonnes occasions. Dès qu’il est parti, le club a misé en priorité sur deux piliers du noyau pour faire tourner le marquoir : Akgül et Orlando. Mais ces joueurs sont dans le trou. A l’image de toute la division offensive. Entre blessures et baisses de forme, c’est le compartiment sensible du Sporting.

Penchons-nous sur les grands malades du stade communal…

Izzet Akgül : séquelles israéliennes

Belge/Turc

24 ans

1m88 – 82 kg

A Charleroi depuis juin 2004

Minutes de jeu : 104

Buts : 1 (sur penalty)

Buts avec Charleroi en 2005-2006 : 4

Izzet Akgül, qui venait de D3, a crevé l’écran pour ses débuts en D1, en 2004-2005 : 9 buts. On l’a pour ainsi dire qualifié de nouveau Gerd Müller du Mambourg. Il a prouvé qu’il avait l’instinct de ceux qui savent se placer au bon endroit, au bon moment. Mais la chute fut douloureuse et ne s’est toujours pas arrêtée. Depuis l’été 2005, l’avant belgo-turc a la poisse collée aux crampons : blessures, rechutes, blues, creux de forme que certains expliquent par un mode de vie n’étant pas celui d’un professionnel, etc.

Un Akgül en forme est un emmerdeur des rectangles, un poison permanent. Il connaît les ficelles du métier, sait pousser ou tirer pour se positionner devant son défenseur quand un centre dangereux parvient dans le rectangle. Mathijssen lui a déjà donné beaucoup de crédit. Quand Akgül fut enfin débarrassé de ses problèmes physiques, la saison dernière, l’entraîneur l’a directement remis en pointe alors que Sterchele pétait des flammes à cette place depuis plusieurs mois. Sterchele s’est subitement retrouvé sur un flanc et on l’a alors beaucoup moins vu. Si Mathijssen s’est ainsi privé de son buteur au poste où on est le plus censé marquer, c’est qu’il croyait toujours beaucoup en Akgül. Ce joueur a de nouveau connu sa minute de gloire quand il a marqué sur penalty dans les dernières minutes du match contre Roulers, en septembre dernier. A le voir hurler sa joie, on pouvait penser qu’il était relancé pour de bon. Mais on attend la suite.

Il n’est pas impossible qu’il traîne toujours les séquelles de son été chahuté. La direction de Charleroi avait trouvé dans son dos un accord avec le Beitar Jérusalem pour lui fourguer Akgül contre un gros chèque. Passé le moment de surprise, l’attaquant était finalement partant, il allait multiplier son salaire dans ce pays. Mais, comme c’est la coutume chez les Turcs, il a suspendu sa décision à un conseil de famille, et là, c’est son père qui a fait obstruction : pas question pour un Musulman d’aller jouer chez les Juifs. Akgül est donc finalement resté à Charleroi, où tout le monde n’a pas apprécié sa décision.

Orlando Dos Santos Costa : jamais un buteur

Brésilien

25 ans

1m90 – 82 kg

A Charleroi depuis juin 2004

Minutes de jeu : 810

Buts : –

Buts avec Charleroi en 2005-2006 : 3

Penser qu’on peut compter sur le Brésilien Orlando pour alimenter le marquoir, c’est un leurre. Il n’a jamais été un buteur. Son bilan le démontre. 2004-2005 : 30 matches, 6 buts. 2005-2006 : 30 matches, 3 buts. Ses atouts sont ailleurs. Il use les défenses, fatigue ses opposants, ne les laisse pas souffler une minute. C’est le déménageur de service, le dynamiteur des Zèbres.

Ce travail est intéressant. Un Orlando en forme, même s’il ne marque pas, prend une part importante dans les actions offensives du Sporting. Son principal problème, c’est son manque de régularité. L’hiver, on le voit traditionnellement peu. Cette saison, il est enfin régulier… mais il est régulièrement médiocre. Il a énormément joué mais n’a toujours pas marqué. Pourquoi est-il toujours aussi souvent dans l’équipe ? Soit Mathijssen croit à fond en lui, soit il l’aligne parce qu’il n’a rien d’autre sous la main. La deuxième explication est malheureusement plus plausible. On est pressé de revoir l’Orlando magistral qui a autrefois éclaboussé certains matches de sa puissance et de son jusqu’au-boutisme. On retient de lui quelques raids légendaires, c’est le genre de joueur capable d’arracher un ballon dans le rond central et de parvenir jusqu’au petit rectangle en éliminant trois ou quatre adversaires. Traîne-t-il, comme Akgül, les suites d’un transfert avorté ? En août, il fut à deux doigts de signer au Standard. Les Rouches le voulaient, Orlando ne demandait pas mieux. Mais il y avait des conditions : le Standard devait d’abord vendre et le Sporting devait d’abord trouver un successeur au Brésilien. On était à quelques heures de la clôture du mercato et c’était trop court, si bien qu’il est resté à Charleroi.

Joseph Akpala : simple joker ?

Nigérian

20 ans

1m85 – 78 kg

A Charleroi depuis janvier 2006

Minutes de jeu : 313

Buts : 1

Buts avec Charleroi en 2005-2006 : 2

Quand Joseph Akpala a débarqué du Nigeria en janvier 2006, il fut présenté par la direction comme l’un des plus gros transferts de l’histoire du club. Il allait vite faire de l’ombre à Sterchele et à Akgül, il allait prouver qu’il n’était pas devenu meilleur buteur du Nigeria par hasard, il allait être la nouvelle attraction fatale de notre compétition, il allait, il allait, il allait… Ses premières minutes de jeu chez nous ont laissé croire que ces prévisions avaient du bon : il marqua contre Anderlecht juste après être monté au jeu puis récidiva directement en Coupe contre Mouscron. Akpala possède un coup de rein exceptionnel, son accélération dégoûte parfois les défenseurs du Sporting à l’entraînement.

Pourtant, son bilan après un tiers du championnat n’est pas plus enthousiasmant que celui des autres attaquants. Blessures, creux de forme… la routine pour un avant carolo. Est-il meilleur comme joker que comme titulaire ? C’est en tout cas lorsqu’il est entré en cours de match qu’il a fait le plus mal. S’il n’éclate pas au cours des deux prochains mois, on devra conclure que sa première année en Belgique aura été loin de répondre aux attentes placées en lui.

Mahamadou Habibou : espoir estival

Français

19 ans

1m90 – 75 kg

A Charleroi depuis juin 2007

Minutes de jeu : 215

Buts : –

Mahamadou Habibou a connu pour ainsi dire ce qui se fait de mieux en France, pour sa formation : les écoles de l’INF Clairefontaine et du PSG, c’est du solide. Il est arrivé à Charleroi durant l’été 2005 et a vite montré en Espoirs qu’il en avait sous la semelle. Tout au long de la saison dernière, il a marqué des buts dans cette équipe. Il était vite devenu le protégé de Didier Beugnies, le patron technique de l’école des jeunes du Sporting. L’été dernier, on s’interrogeait sur ses chances de percer avec le noyau A. Il y fut finalement intégré quelques heures avant la reprise des entraînements. Il donna raison à Mathijssen en plantant pas mal de buts dans les matches de préparation. Mais Habibou n’était pas titulaire au début du championnat car le coach choisit de jouer la carte Théréau. Cette décision a-t-elle suffi à faire perdre ses sensations à l’ancien Parisien ? Il n’a en tout cas pas montré grand-chose quand Mathijssen lui a fait confiance dans les matches officiels. Mérite-t-il du crédit ou est-il trop court pour notre D1 ? Il faudra encore attendre quelques mois pour trancher.

Brice Jovial : le sauveur ?

Français

22 ans

1m72 – 67 kg

A Charleroi depuis septembre 2007

Minutes de jeu : 162

Buts : –

Brice Jovial a signé un contrat à Charleroi à la fin du mois de septembre dernier, après avoir été longuement visionné. Cet autre Français a fait ses débuts en championnat de Belgique dans le match de fous au Germinal Beerschot, après avoir goûté une première fois de l’équipe A lors du match de Coupe contre Hamme. C’est peut-être de lui que pourrait venir le salut offensif des Zèbres. Il a en tout cas vite démontré qu’il avait un sens du but aiguisé. Il déploie une activité énorme : Jovial remue, crée, provoque des espaces, contrôle, centre, frappe,… Actuellement, c’est le seul attaquant carolo qui a vraiment la cote et porte de gros espoirs à court terme.

Julien Guérenne : vrai renard ardennais

Belge

20 ans

1m86 – 80 kg

A Charleroi depuis septembre 2006

Minutes de jeu : 63

Buts : –

Julien Guérenne a été extirpé du groupe des Espoirs et intégré au noyau A en septembre dernier. C’est un grand gabarit qui n’a pas encore montré au Sporting les qualités de buteur affichées dans le passé au Lorrain Arlon. On le considérait là-bas comme un vrai renard des surfaces, capable de marquer dans toutes les positions. Sa saison 2005-2006, passée dans le noyau des Espoirs des Zèbres, n’a pas été simple. A cause de problèmes physiques essentiellement. Il y a quelques mois, il fut d’ailleurs question de le laisser retourner dans les Ardennes, mais le Sporting l’a finalement conservé et il vient donc de franchir un palier en montant dans le noyau professionnel. On l’a vu pour la première fois en équipe Première à Mons, il y a un bon mois. Il est évidemment trop tôt pour le juger.

Guérenne correspond en tout cas au profil de renforts recherchés par Mathijssen durant l’été. Le coach carolo voulait des joueurs capables de mettre la tête sur les phases arrêtées. Les transferts de Dennis Souza (1m90), Théréau (1m89) et Smolders (1m92) répondaient à cette exigence. En début de championnat, les Zèbres ont très mal exploité leurs corners et coups francs. Ils ont beaucoup travaillé ces phases dans l’intervalle et la situation s’est quelque peu améliorée. S’ils parviennent à encore mieux en profiter et se découvrent un vrai buteur, ils effaceront une partie de leurs paradoxes et auront toutes les chances de poursuivre leur aventure dans le premier tiers du classement.

PIERRE DANVOYE

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