Né pour coacher

Il n’a pas 40 ans mais entraîne depuis 18 ans. Il doit faire gagner Ostende.

« Il y a douze ans, quand je suis arrivé à Gand, je portais des lunettes pour me vieillir. Maintenant, je porte des lentilles pour faire plus jeune… »

Aaron McCarthy, le coach américain qui a succédé à Lucien Van Kersschaever à Ostende, est chargé de remporter des prix. L’homme est plutôt sûr de lui, au point de friser l’arrogance. Mais c’est surtout à sa philosophie du basketball qu’il voue une totale confiance. « Pour avoir acquis une telle réputation en Europe, je ne dois pas être mauvais… » McCarthy a souvent dirigé des joueurs plus âgés que lui : « Sans problème car ils savaient qui était le patron ».

Aaron McCarthy lui-même n’était pas un mauvais distributeur. Collégien, il a été élu Most Valuable Player de l’Utah et a obtenu une bourse à la Weber State University. Marqueur, il est devenu un passing pointguard : « Ça influence ma conception du rôle des distributeurs: ils doivent chercher la passe avant de tirer et ne jamais perdre de vue l’aspect défensif ».

McCarthy n’était pas un véritable leader. A vingt ans, il savait qu’il ne serait pas joueur professionnel mais entraîneur : « Mon père était un coach fantastique, à l’université où j’étudiais. Il m’a transmis le virus. Son analyse et la préparation des matches me fascinaient. Je me rappelle les petites feuilles jaunes sur lesquelles il composait son équipe et prenait des notes sur tous les joueurs. J’ai progressivement compris que je voulais l’imiter ».

Toutefois, les deux hommes n’ont pas la même conception du basket : « Mon père est d’une autre génération. Il est plutôt coach des coaches. Je suis comme Phil Jackson. Je m’intéresse à la psychologie du joueur. Ce qui motive quelqu’un peut avoir un effet négatif sur un autre ».

Aaron McCarthy est un bâton de dynamite pendant un match. L’Américain Bob Peterson, ancien sélectionneur de la Finlande, l’a comparé à Rick Pitino, l’ex-coach des Boston Celtics. « Tu sais exactement ce qu’il veut, comment il faut attaquer et défendre, et tu vis chaque instant, m’a-t-il dit. C’est un compliment. Je suis perfectionniste. Je vis le match comme les joueurs, je transpire autant qu’eux. Je pense que mon implication me vaut leur respect ».

Aaron McCarthy ne visait pas la NBA : « Je voulais diriger une équipe, qu’importe son niveau ». A l’université, il coachait un groupe de jeunes de 12 à 13 ans : « Une expérience fantastique. Ces gamins comprenaient tout ce que je leur expliquais. J’en avais un tout bon. Les autres travaillaient mais étaient dépourvus de talent. Nous perdions plus souvent qu’à notre tour mais après chaque match, je les emmenais au McDonalds ».

Au terme de ses études, McCarthy est devenu entraîneur à la highschool de Saint-Joseph. Il est passé comme coach dans un college puis a déménagé en Europe. Le Bobcat Gent de Carlos Sierens lui offrit un contrat en 1989 : « J’avais rencontré les Gantois pendant des matches de démonstration à l’université d’Utah, où j’étais entraîneur-adjoint. Je ne savais même pas qu’on jouait au basket en Europe ». A cette époque, McCarthy cherchait un poste en Amérique mais partout, il entendait la même réponse: il était trop jeune et n’avait pas encore été entraîneur principal. L’Europe lui offrait donc l’occasion d’acquérir de l’expérience avant de retourner au pays : « Mais je suis tombé amoureux de la Belgique. Les gens étaient fantastiques, les joueurs s’entraînaient dur et nous gagnions. Je n’ai plus quitté l’Europe ».

Il a refermé le chapitre gantois en 1993 avec amertume : « Nous étions d’accord de prolonger mon séjour mais nous ne l’avions pas couché par écrit. Le club a engagé un autre coach pendant l’entresaison, John Van Crombruggen. Par après, on m’a expliqué que Bobcat, le sponsor, trouvait que j’avais gagné assez d’argent, que Gand avait une bonne équipe et qu’un entraîneur moins cher obtiendrait les mêmes résultats. Il avait menacé de couper le robinet si je n’étais pas remplacé. Carlos Sierens était placé devant une décision difficile mais le sponsor s’est trompé, car Van Crombruggen n’a pas obtenu de résultats. Enfin…, ça fait partie des risques du métier ».

McCarthy réalise un interim de six mois aux Castors Braine et en 1994, il rejoint un club allemand, Steiner Bayreuth. « Nous avons atteint les demi-finales de la Bundesliga et il m’a proposé un contrat de trois ans. Le club n’a pas voulu garantir la dernière année. Or, je voulais un engagement total, pour construire quelque chose ».

Cette année-là, Helsinki lui témoigne quelque intérêt : « La Finlande n’a pas d’argent ni de grand championnat mais le défi me plaisait. Donnez-moi une équipe et j’en ferai quelque chose ».

McCarthy a passé cinq ans en Finlande. Il y a remporté trois titres, deux coupes et il a dirigé l’équipe nationale pendant trois ans et demi. « Nous avons gagné vingt matches sur trente. Ce n’est pas mal pour un pays où on ne pense qu’au hockey sur glace. L’an dernier, j’ai reçu cinq offres de l’étranger, mais aucun club ne voulait que je continue à diriger l’équipe finlandaise. Or, je ne lâche pas ce que je commence ».

Son contrat avec la Finlande a expiré en janvier dernier. McCarthy souhaitait prendre de longues vacances avant de chercher un nouveau poste. « Je voulais voir grandir mes enfants. J’ai dit à ma femme, qui est Allemande, que nous pouvions aller n’importe où, où elle le voulait. Elle m’a dit: -Pourquoi pas en Belgique? Nous avons loué un appartement à Ostende. J’aime la mer, la ville est agréable et l’équipe de basketball est bonne ». Mais c’est le drame…

En décembre, une de ses jumelles, Linda, est décédée. Elle aurait eu deux ans en février. « Nous avions été manger des frites, comme souvent après une promenade. L’une d’elles l’a étouffée. On l’a placée sous assistance respiratoire pendant cinq jours mais son cerveau était gravement endommagé. Elle n’est jamais sortie du coma. Sa mort a bouleversé mon univers. Je ne savais même plus si je voulais continuer à entraîner. J’ai remis ma profession en question. Je passais mon temps à prier. Je demandais à Dieu de m’indiquer ma voie. Devais-je rester entraîneur, devenir scout de la NBA, retourner à l’université ou lancer une affaire? Heureusement, il nous restait Natasha. Elle m’a donné la force de me lever, chaque matin ».

Ostende s’est présenté à la mi-février : « Je ne savais pas si j’étais prêt. Ma femme m’a conseillé d’accepter : – Saisis ta chance. Si ça ne te plais pas, dans quatre mois, tu seras libre. J’ai vite compris que ma vocation était intacte. J’ai reçu ce talent, je dois en faire usage. Le basketball m’a rendu à la vie ».

Aaron McCarthy a reçu un héritage difficile mais au bout d’une semaine, direction et supporters ont soupiré d’aise. Il a perdu contre Salonique (74-62) mais contre Charleroi (89-73), ce fut la fête. Cinq jours plus tard, Ostende a battu le Partizan Belgrade 94-88 puis Anvers, dans sa propre salle (66-75).

Ostende a connu son premier revers contre Pesaro, avec 118 points à la clef. « La défense n’était nulle part. Je me suis demandé à quoi la préparation avait servi car les joueurs n’ont pas appliqué les consignes ». Ils se sont ressaisis contre Alost (96- 77), avant de rechuter contre Lulea (99-88). Heureusement, l’adversaire était plus faible. « Les joueurs voulaient-ils étaler leur talent individuel? Comme nous avions gagné, ils auraient pu penser qu’une bonne défense n’était pas indispensable ».

Ce n’était pas tout: le paisible Virginijus Praskevicius a rué dans les brancards et JR Holden n’en a plus fait qu’à sa tête.  » VP n’a pensé qu’à ses statistiques personnelles en Suproligue. Et JR n’a pas cru bon écouter lors d’un time-out dans la dernière seconde. Des comportements inacceptables. Ils le reconnaissent maintenant ».

Ces deux joueurs étaient les protégés de Lucien Van Kersschaever… « Je travaille différemment. A mes yeux, tous les joueurs sont égaux. La force d’un groupe se mesure à celle de son dixième homme. Je remettrai vite à leur place ceux qui se croient supérieurs car si c’est pour perdre, je préfère que ce soit dignement, avec des joueurs comme Menama, Van de Keere ou De Bel« .

Le message n’était pas bien passé car lors d’un déplacement à Hasselt, qui n’aurait dû être qu’une formalité, ce fut un revers 91-89 et une demi-crise à la côte. McCarthy: « Nous avons cru que ce serait trop facile face à l’avant-dernier, privé en outre de deux titulaires. La direction et moi-même n’avons pas mâché nos mots mais les joueurs ont bien réagi. J’ai traversé une période de ce genre en Finlande. L’équipe ne jouait pas bien en défense. J’ai proposé un défi aux joueurs: ne pas concéder plus de septante points à leur adversaire, que nous gagnions ou pas. Tous les joueurs ont signé cet accord. Je l’ai affiché dans les vestiaires. Au cours des dix-huit matches suivants, aucune formation n’a inscrit plus de septante points contre nous. Les joueurs ont compris que la défense est une constante, si on veut gagner. Nous avons remporté le titre, la coupe et atteint le Final 16 ».

Pourquoi ne pas appliquer la recette à Ostende? McCarthy : « Une signature n’a de valeur que si son auteur est convaincu, ce qui n’est pas encore le cas de cette équipe. Ils opinent quand je parle mais personne ne dit: -On va essayer. Pendant sept mois, ils ont appliqué une autre tactique. Il n’y avait plus d’équipe, on n’insistait ni sur la défense ni sur l’attaque. C’est pour ça que la direction a changé d’entraîneur ».

Le changement a été accompagné de hauts et de bas. « C’est normal. La direction le sait et Van Kersschaever ne va pas revenir, contrairement à ce qu’on entend. Je vais achever la saison. Les joueurs savent ce que je vise : le succès » .

Inge Van Meensel

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