Les liaisons dangereuses entre sport et services secrets russes
Les services secrets russes apparaissent à plusieurs reprises dans l’épais rapport de l’Agence mondiale antidopage qui accable la Russie et son athlétisme. Ces hommes du FSB, successeur du KGB, sont pointés du doigt pour leur omniprésence dans le laboratoire qui effectuait les contrôles antidopage.
Bureaux placés sur écoute, visites régulières d’agents, employés interrogés sur leurs activités, mais aussi « atmosphère d’intimidation »: le rapport présenté lundi à Genève a jeté une lumière crue sur le rôle et « l’influence du FSB » dans le sport russe. Il évoque notamment ces « hommes se présentant comme ingénieurs dans le laboratoire alors qu’ils appartenaient aux services de sécurité », ou les rendez-vous hebdomadaires entre le directeur du laboratoire et un agent du FSB chargé de « prendre la température du laboratoire antidopage ».
« Je ne pense pas qu’on puisse dire avec certitude qu’il n’y ait eu aucune manipulation » dans ce laboratoire, a résumé dans une jolie pirouette rhétorique Dick Pound, responsable de l’enquête qui a révélé le système de corruption et de dopage dans le sport russe. « Il est difficile d’imaginer quels intérêts nationaux on peut chercher dans de l’urine d’athlètes », a ironisé l’ex-président fondateur de l’AMA, alors que les Russes sont notamment accusés d’avoir fait disparaître des échantillons.
Le rapport ne précise pas quel rôle les services spéciaux ont joué mais il n’empêche: que faisaient-ils dans un laboratoire chargé d’analyser les échantillons d’urine et de sang des sportifs ? Les autorités russes ont-elles mis au service de la performance sportive les très puissants services de sécurité russe ?
Le FSB, acronyme du « Service Fédéral de Sécurité », est l’héritier du KGB de l’époque soviétique. A l’image du pays qui s’est effondré avec la dislocation de l’Union soviétique en 1991, les services secrets russes ont connu une traversée du désert dans les années 1990 jusqu’à l’arrivée au pouvoir en 2000 de Vladimir Poutine, lui-même ancien agent du KGB en Allemagne de l’est puis directeur du FSB. Depuis, les hommes du FSB, et plus généralement les responsables des « structures de force », une expression russe désignant les ministères de la Défense, de l’Intérieur et de la Justice, se sont taillés la part du lion dans les ministères, les administrations et la sphère économique.
Parallèlement, le sport est redevenu une priorité et l’organisation d’événements sportifs, comme les Jeux olympiques de Sotchi en 2014 ou la Coupe du Monde de football en 2008, un enjeu stratégique.
Andreï Soldatov, spécialiste des services secrets et éditeur du site Agentura.ru, rappelle ainsi le rôle du FSB lors des Jeux de Sotchi. « Ils étaient supervisés par le numéro deux du FSB, Oleg Syromolotov, un spécialiste du contre-espionnage, pas de la lutte anti-terroriste », explique M. Soldatov en soulignant que « toutes les méthodes du FSB ont été utilisées ».
« Il y a une vieille tradition de liens entre le KGB puis le FSB et le sport », rappelle Soldatov.
Comme la Stasi, la police secrète est-allemande, le KGB avait un service qui s’occupait du sport. Ses agents étaient chargés d’empêcher les défections des sportifs soviétiques lors des tournois à l’étranger, mais aussi de les aider dans leurs problèmes de carrière voire personnels. Sans évidemment parler du volet performance et dopage des équipes est-allemande et soviétique.
Aujourd’hui, ces liens incestueux persistent. Le volley-ball, par exemple, bénéficie des largesses de l’Etat parce qu’il s’agit du sport préféré de l’ancien patron du FSB, Nikolaï Patrouchev.
Les services secrets conservent également des liens avec le club du Dynamo Moscou. Le chef actuel du FSB siège même au conseil d’administration du club. Et le président du club est passé par les services des garde-frontières, une division du FSB.
Mais depuis la publication du rapport de l’AMA, ni le FSB, ni le Kremlin, ni le ministère russe des Sports n’a commenté cette « influence » prêtée au FSB.
Seul le président en exercice de l’Agence russe antidopage, Nikita Kamaïev, a évoqué la question, en la tournant en dérision. « J’ai un étui pour mon arme, un pistolet et tous les soirs je me rends dans les caves de la Loubianka », le siège du FSB, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. « C’est du grand n’importe quoi. Ceux qui pensent ça se croient à l’époque des premiers James Bond ».