Les 10 étapes du sauvetage

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Objectif atteint pour les Loups.

La Louvière fut l’équipe la plus contrastée du championnat. Entre les errements du début de saison et le sprint qui a débouché, le week-end dernier, sur le maintien, les bouleversements ont été nombreux. Le sauvetage a plusieurs explications: l’arrivée de nouveaux joueurs en cours de compétition, la prise de pouvoir de Daniel Leclercq, l’apprentissage progressif aux réalités de la D1, la prise de conscience des joueurs,…

Dix acteurs en vue reviennent sur les grandes dates du championnat des Loups.

6 septembre: la casquette contre le GBA

Le GBA et Marc Degryse se promènent sur la pelouse du Tivoli et donnent une leçon de football aux promus. Ce 0-5 fait très mal et confirme que les Loups n’ont pas encore trouvé leurs marques en D1.

Vincent Jonaitis: « On aurait dit que nous avions perdu toutes nos qualités en trois mois. C’était incompréhensible. Le problème était surtout dans les têtes et il touchait tout le noyau. Marc Grosjean avait beau essayer de nouvelles solutions chaque semaine, la situation ne s’améliorait pas. Moi-même, je me suis demandé si nous pourrions gagner un match dans ce championnat. Nous prenions un coup au moral chaque semaine et il n’y avait plus aucun optimisme dans ce groupe. Vu que rien n’allait, plusieurs joueurs se sont mis à jouer pour eux, pour le public et pour les managers qui étaient dans la tribune. Notre état d’esprit n’avait plus rien de collectif ».

30 septembre: la première victoire

Les Loups s’imposent enfin, contre St-Trond, lors de la huitième journée: 1-0, but de Buelinckx. Grosjean a commencé à faire le ménage. Plusieurs titulaires du début de saison sont relégués sur le banc.

Yves Buelinckx: « Huit jours plus tôt, nous avions vraiment touché le fond à Alost. Le président est venu dans le vestiaire durant la semaine. Il a surgi à l’improviste, après un entraînement. Il nous a montré de quel bois il se chauffait et mis devant nos responsabilités. Pour lui, il était hors de question de continuer dans cette médiocrité. Le changement était déjà perceptible dans notre match contre St-Trond. Ce n’était pas encore du football de haut niveau, mais pour la première fois de la saison, nous avons montré que nous étions capables de jouer en équipe, en formant un bloc qui voulait la victoire. Je croyais que nous étions enfin lancés, que le discours de Monsieur Gaone avait provoqué le déclic que nous attendions depuis plus d’un mois. Nous avons malheureusement prouvé, lors des matches suivants, qu’il n’en était rien. Nous sommes directement retombés dans nos travers. En tant qu’attaquant, j’ai très mal vécu le premier tour. Marc Grosjean estimait qu’il n’avait pas de joueur capable de marquer des buts et il ne s’en cachait pas quand il rencontrait la presse. Avec Daniel Leclercq, j’ai quelque part l’impression de retrouver Hugo Broos: ils savent être très durs avec leurs joueurs, mais leurs critiques ne franchissent pas la porte du vestiaire ».

4 novembre: les Loups éliminent Bruges

C’est LA surprise des seizièmes de finale de la Coupe. Bruges a remporté ses onze premiers matches de championnat. La Louvière, dix-septième, est déjà à 27 points des hommes de Sollied. La magie de la Coupe frappe sous les yeux de Benoît Thans, récemment arrivé de Beveren mais pas qualifié pour ce match.

Benoît Thans: « Dès mon arrivée, j’ai remarqué que ce groupe n’était pas vraiment concerné. La victoire contre Bruges était belle, mais il n’y a eu aucun prolongement en championnat. Je retrouvais chaque jour des braves gars qui venaient faire leur boulot, rien de plus. Des amateurs, dans le bon sens du terme. Ils reportaient toujours les échéances en disant qu’il y avait des équipes moins fortes en D1 et que La Louvière finirait bien par s’en sortir. Mais à partir du moment où on n’a pas des qualités au-dessus de la moyenne, il faut faire la différence via un état d’esprit exceptionnel. Cela manquait cruellement dans notre noyau. Marc Grosjean avait voulu récompenser les héros de la saison précédente en leur donnant une chance en D1, mais ces joueurs ne voulaient pas prendre conscience de leur chance. Il vaut mieux jouer cinq matches en D1 que quinze en D2. Certains ne le comprenaient pas. Moi, je ne voyais pas pour quelles raisons il n’était pas possible de faire avec La Louvière ce que nous avions fait avec Westerlo lors de la première saison de ce club en D1. Les circonstances paraissaient aussi favorables ici que dans mon ancien club.

J’ai senti une première envie de se rebeller à la trêve. Nous avons fait un très bon stage à Spa. A ce moment-là, je me suis dit que rien n’était perdu. Pendant toute cette semaine, j’ai travaillé avec des gars qui se respectaient et avaient envie de réussir quelque chose ensemble. Cela me rendait optimiste mais je me demandais si ce groupe serait assez fort mentalement pour surmonter les coups durs qui allaient inévitablement se présenter au deuxième tour. On a vu que c’était bel et bien le cas. Nous avons aussi raté des matches depuis février, mais l’ambiance ne s’en est jamais ressentie. Et personne n’a plané après nos victoires. Daniel Leclercq veille à ce que personne ne s’emballe. Il met beaucoup de pression en semaine, mais la relâche complètement à l’approche du match du week-end. Presque tous les entraîneurs font l’inverse: ils laissent aller en semaine puis s’excitent à partir du vendredi… »

16 décembre: le bilan à la trêve

Après la dix-septième journée et le déplacement à Mouscron, c’est la cata et un retour promis en D2. Les Loups sont avant-derniers avec 9 points sur 51, une seule victoire, 12 buts marqués, 31 encaissés.

Rudy Moury: « J’étais quand même plus optimiste à ce moment-là qu’un mois plus tôt. Nous avions aligné deux prestations valables: un nul contre Gand chez nous en étant volés par l’arbitre, et un autre nul encourageant à Mouscron. Pour la première fois, j’avais l’impression que certains commençaient à prendre conscience des réalités de la D1. Beaucoup de monde, dans le club, avait été beaucoup trop optimiste en début de championnat: des joueurs, mais aussi des dirigeants qui visaient la dixième place. Ils ne savaient pas qu’entre la D2 et la D1, il n’y a pas un fossé mais un ravin! Des attaquants et des médians de notre noyau ne comprenaient pas non plus la différence entre les deux divisions. En D2, ils pouvaient se permettre de ne penser qu’à leur jeu offensif. Quand je leur faisais remarquer qu’ils devaient aussi aider à la récupération, ils me snobaient. Il manquait une bonne dose de professionnalisme dans notre noyau. Quand on vient s’entraîner avec un club de D1, on ne peut plus mettre l’accent uniquement sur le plaisir. Le foot n’est plus un hobby mais un combat permanent. Il a fallu du temps à certains pour en prendre conscience. Malgré tout cela, j’étais persuadé qu’il y avait des équipes plus faibles que la notre dans ce championnat. Nous avons prouvé notre vraie valeur au deuxième tour. On peut aujourd’hui tirer son chapeau à tous les joueurs, alors qu’au premier tour, certains auraient dû bouffer leur chapeau! C’est malheureux d’avoir dû lutter jusqu’à la fin du championnat alors que nous avions assez de qualités pour viser un classement très intéressant. On peut parler de gâchis ».

28 janvier: la dernière de Grosjean

Lors de son premier match de l’année, La Louvière a bu la tasse contre le Standard: 0-4. Passe encore face à des Liégeois survoltés par l’arrivée de Michel Preud’homme. Mais la défaite suivante est inacceptable et dramatique: 0-2 contre un Harelbeke plus que moyen. Le lendemain, Marc Grosjean et La Louvière se séparent.

Marc Grosjean: « En lisant la presse, j’ai aujourd’hui l’impression, très désagréable, que Marc Grosjean était responsable de tous les malheurs de La Louvière. Tous les joueurs sont prêts à enfoncer un peu plus l’aiguille… On oublie une chose: je n’ai pas pu compter sur les trois renforts que tout le monde considère maintenant comme les grands artisans du maintien. Qui a marqué les buts du sauvetage? Ante Simundza, que j’ai fait venir mais qu’on ne m’a pas donné le temps d’utiliser. Nous avions aussi des occasions au premier tour, mais personne pour les mettre au fond. Je n’ai pas pu compter beaucoup sur Benoît Thans non plus car il a été blessé et suspendu. Et Domenico Olivieri est resté sur la touche pendant plusieurs mois. Avec ces trois gars-là dans mon équipe, je peux vous garantir que notre bilan aurait été différent en décembre. Ils forment la colonne vertébrale de La Louvière. Sans eux, le maintien n’aurait pas été possible. Mais je ne l’ai jamais déclaré quand j’étais encore entraîneur car j’avais évidemment un devoir de réserve et je devais maintenir l’espoir.

Cela dit, je tire un grand coup de chapeau aux joueurs et à Daniel Leclercq. Leur bilan en points au deuxième tour est remarquable et cela veut dire qu’ils ont abattu un magnifique travail. Mon expérience à La Louvière m’a fort enrichi. Sur le plan de la gestion des hommes par exemple. J’étais naïf et je croyais que tous mes joueurs allaient se battre pour moi. Ils ne l’ont pas fait. Je reviendrai en D1 en me faisant beaucoup moins d’illusions sur la mentalité des footballeurs ».

9 février: le début de la série fantastique

Le Club Brugeois déteste le Tivoli. Il y perd de nouveau des plumes, en championnat cette fois (1-1, but de Turaci). Daniel Leclercq est arrivé mais n’est pas encore sur le banc. Alain Roland, l’ex-adjoint de Grosjean, termine son dépannage tandis que La Louvière a entamé contre les Flandriens une série de huit matches sans défaite.

Onder Turaci: « Marquer mon premier but en D1 contre Bruges, c’était formidable. C’est l’époque où tout le groupe a commencé à croire que nous avions une chance de nous sauver. Ce n’était pas seulement dû à l’arrivée du nouvel entraîneur, mais à un état d’esprit qu’on n’avait jamais observé au premier tour. L’ambiance a totalement changé dès le moment où il y a eu cette prise de conscience. Chaque joueur était subitement bien dans sa tête. J’en ai personnellement profité pour m’affirmer comme un vrai titulaire en D1. Ce n’est jamais simple de se révéler dans une équipe qui lutte pour sa survie, mais j’ai pu compter sur des coéquipiers qui s’intéressaient à ma progression malgré les problèmes sportifs qu’il fallait régler chaque semaine. Cela aussi illustre la vraie mentalité de notre noyau ».

17 mars: Simundza, l’homme-buts

Westerlo est balayé: 3-1 avec trois buts de la tête de Simundza. En une heure et demie, il rembourse son transfert.

Ante Simundza: « En quittant Maribor, je luttais pour le titre. En arrivant à La Louvière, je devais subitement me concentrer sur un objectif beaucoup moins ambitieux. Mais il faut le même fighting spirit pour mener ces deux missions à bien. Je suis venu ici pratiquement au même moment que Daniel Leclercq. Il m’a pris à part et expliqué que nous étions dans le même bateau, que tout le monde attendait de nous que nous soyons les sauveurs de La Louvière. C’était excitant. J’ai voulu montrer directement à mes coéquipiers que j’étais capable de relever le niveau de l’ensemble et j’ai aussi fait le maximum pour m’intégrer. Je parlais déjà slovène, serbo-croate et allemand; je me suis directement mis à l’apprentissage du français. De leur côté, les autres joueurs ont tout fait pour me mettre dans les meilleures conditions ».

5 mai: la victoire de tout un groupe

La Louvière bat Genk (2-1) après avoir été menée au score. Cela devient une habitude. Titulaire en début de saison, Jean-Jacques Missé Missé monte au jeu après une heure, à 0-1. Il fait la différence en étant impliqué dans les deux buts victorieux. C’est le joker de luxe de la fin de saison.

Jean-Jacques Missé Missé: « Ce n’est pas toujours facile d’être réserviste, mais je le supporte beaucoup mieux qu’il y a quelques années. Depuis que je ne suis plus attaquant et que je me suis reconverti comme médian, en fait. Quand on est jeune, on veut tout prouver, se montrer, faire une belle carrière. Avec l’expérience et les années, on change. J’ai près de 500 matches de D1 dans les jambes, si je compte ceux que j’ai joués au Cameroun: on relativise plus facilement après un aussi long parcours. Je préfère sincèrement donner un assist que marquer un but. J’ai ainsi l’impression de faire le bonheur de deux personnes.

Pour moi, c’est beaucoup mieux d’être réserviste d’une équipe qui gagne que titulaire d’une équipe qui perd. Daniel Leclercq motive les réservistes à fond. Il ne donne sa sélection que deux heures avant le match, et tout le monde reste ainsi concentré sur son travail jusqu’au dernier moment. Nous ne sommes pas des imbéciles, nous avons déjà, en semaine, une idée de l’équipe qui entamera le match. Mais il reste toujours deux ou trois points d’ombre et tout le monde se bat pour montrer à l’entraîneur qu’il mérite de jouer. Ceux qui sont montés en cours de match ont fait plus d’une fois la différence en fin de championnat. Alors qu’au premier tour, tous les réservistes râlaient ».

12 mai: La Louvière reste en D1

Le nul arraché à Gand est finalement inutile. La défaite de Harelbeke à Lokeren sauve d’office les Loups. Daniel Leclercq, le héros de toute la région du Centre, respectera sa promesse: il sera toujours louviérois la saison prochaine.

Daniel Leclercq: « Ce soir, je suis encore plus heureux que le 9 mai 1998, le soir du titre avec Lens. Parce que le défi relevé avec La Louvière était bien plus difficile. C’est bien d’avoir assuré le sauvetage une semaine avant le dernier match car cela va nous permettre de travailler directement sur le recrutement. Je promets aux supporters 34 journées de plaisir la saison prochaine, mais pour cela, il me faudra des renforts. Il serait impossible de tenir, avec le groupe actuel, tout un championnat sur le rythme que nous avons maintenu depuis trois mois. Nous avons joué tous nos matches sur le fil du rasoir et on ne peut pas le faire pendant une saison complète si on n’ajoute pas une dose de talent. Le caractère des joueurs a permis de sauver La Louvière. Maintenant, il faut davantage de qualités footballistiques pures. Je n’ai jamais douté du maintien mais j’ai parfois eu des moments d’agacement par rapport à certaines attitudes. Avec un peu plus de talent, nous aurions tué plus tôt notre match à Gand. Le président et le manager de ce club sont ambitieux, mais je le suis encore plus. Je suis un perfectionniste, je peux même être chiant… J’ai aussi des exigences au niveau des installations. Quand je vois le stade de Gand, ça me fait rêver. Je compte sur mon président: c’est un Italien, il doit connaître de bons maçons (il rit)… »

Et maintenant?

Quel visage offrira l’équipe en début de saison prochaine? Un transfert avait déjà été réalisé, le week-end dernier: celui d’Olivier Suray. Jean-Claude Verbist, le manager, avait la délicate mission d’annoncer à quelques joueurs toujours sous contrat qu’ils pouvaient se chercher un autre employeur.

Jean-Claude Verbist: « Il devrait y avoir une dizaine de départs: Lucas, Aliaj, Di Tullio, Moury, Vanderheyden, Bembuana-Kévé et Dugbatey s’en iront presque à coup sûr. Nous allons négocier avec Tilmant: il veut un nouveau contrat de trois ans mais nous ne souhaitons lui offrir qu’un bail d’une saison. Missé Missé voudrait monnayer sa fin de carrière et nous lui avons promis d’être conciliants en n’exigeant pas une trop forte indemnité de transfert. Proto intéresse toujours Anderlecht, mais le Standard s’est aussi mis sur les rangs. Nous aimerions le garder car il pourrait devenir notre gardien titulaire dans un ou deux ans au maximum. Van Steenberghe est toujours sous contrat mais nous ne nous opposerions pas à son départ. La location de Turaci vient à échéance, mais il aimerait rester et nous souhaitons le conserver. Simundza dit qu’il va devoir discuter avec nous, mais son contrat stipulait clairement qu’il resterait à La Louvière en cas de maintien.

Nous avions un budget de 100 millions et il est en équilibre. Le but est de le faire passer à 135 ou 140 millions la saison prochaine. Des sponsors nous avaient fait des promesses en cas de maintien. Nous avons par ailleurs instauré un dialogue constructif avec la Ville, qui nous a garanti par écrit que le terrain d’entraînement en synthétique serait opérationnel dès la fin juin. Daniel Leclercq souhaitait aussi que l’on améliore le cadre de travail et le club va assumer les frais de plantations diverses autour des pelouses d’entraînement. Nous voudrions aussi que toutes nos tribunes soient couvertes pour le début du prochain championnat. Le maintien devrait faciliter pas mal de choses ».

Pierre Danvoye

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