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LE NOUVEL ELDORADO

Le 3 mars, Guizhou Hengfeng Zhicheng et Liaoning FC donneront le coup d’envoi de la Super League chinoise. Le lendemain, ce sera au tour d’Axel Witsel d’effectuer ses débuts avec Tianjin Quanjian. Passage en revue pour que le foot ne soit plus du chinois.

Voici peu, Voetbal International racontait une histoire étonnante. L’hebdomadaire hollandais s’était rendu à Middlesbrough en vue d’un reportage sur l’international Marten de Roon (25 ans), que l’Atalanta Bergame était venu chercher à Heerenveen pour 1,3 millions d’euros à l’été 2015. En tête du classement des tacles et des interceptions, il avait été tout surpris qu’un an plus tard, Middlesbrough, promu en Premier League, le transfère pour 14 millions d’euros.

Lorsqu’il avait raconté à sa mère que son agent devait négocier son salaire, celle-ci l’avait arrêté :  » Ça suffit, il y a quelque chose qui ne va pas.  » Il était l’un des joueurs les moins bien payés de Premier League mais estimait également que quelque chose ne tournait pas rond. Pire : il n’osait pas dire à ses meilleurs amis combien il gagnait. Sa carrière avait pris un pli incroyable mais il roulait toujours dans une vieille camionnette de déménagement et, lorsqu’il se rendait au tea-room, il présentait toujours sa carte de fidélité afin d’avoir un café gratuit lorsqu’elle serait pleine.  » Les plus beaux moments de ma carrière, c’est à mes débuts au Sparta que je les ai vécus « , disait-il.

Lui, ce qu’il aimait, c’était le foot. Formé à ASHW, un club de Hendrik-Ido-Ambacht, il se retrouvait dans le plus grand championnat du monde et jouait devant des stades pleins. Il se demandait à quoi pourrait bien servir tout cet argent s’il ne remplissait pas les poches des joueurs.

Pratiquement au même moment, Axel Witsel déclarait dans De Tijd que les négociations avec la Juventus étaient sur le point d’aboutir mais que la proposition de Tianjin Quanjian était tellement élevée qu’il ne pouvait pas la refuser.  » J’ai fait le meilleur choix possible. Avec l’argent que je vais gagner, j’assure l’avenir financier de ma famille pour plusieurs générations.  » Le Liégeois ne s’est pas posé de question. Son conseiller, Alain Goblet, ajoutait que le choix de Witsel n’était pas uniquement financier et que les chiffres cités – une somme de transfert de 20 millions d’euros et un salaire annuel de 18 millions – n’étaient pas exacts.  » C’était moins que ça.  »

Six mois plus tôt, l’Italien Graziano Pellé, passé de Southampton à Shandong Luneng en échange de 15 millions d’euros, avait été très clair :  » J’ai choisi ce club pour l’argent uniquement.  » Son salaire était de 15 millions d’euros par an, soit 288.461 euros par semaine, 41.208 euros par jour ou 1.717 euros par heure. À ce tarif, il a tout de même inscrit quatre buts en douze matches…

La Super League chinoise, c’est tout sauf du football. Un record est à peine établi qu’un autre lui succède. Shanghai Greenland Shenhua verse ainsi 37,5 millions par an à Carlos Tevez (33 ans) qui, après avoir longtemps bourlingué en Europe, était retourné à Boca Juniors, le  » club de son coeur « , auquel il s’est empressé de tourner le dos.

L’attaquant argentin est le joueur le mieux payé de Chine (et du monde). Il devance largement deux confrères de Shanghai SIPG : Oscar (ex-Chelsea) touche 24,4 millions par an tandis que Hulk (ex-Zenit) empoche 20 millions. À la quatrième place du classement établi par Finance Football, on retrouve Axel Witsel avec 16 millions par an – un peu moins de la moité de Tevez… Ensemble, les vingt plus gros salaires touchent 245 millions par an, soit une moyenne de 12,25 millions.  » Ces montants engendrent des attentes énormes « , dit Simon Chadwick, professeur en management du sport à l’université de Salford, interrogé par The Guardian.  » Dépenser de l’argent pour de grands noms, c’est aussi engager des héros, des icônes qui seront idolâtrées à leur tour.  »

GRANDE PUISSANCE ?

 » Ce qui se passe en Chine est dangereux pour tous les clubs du monde « , a déclaré Antonio Conte, manager de Chelsea, lorsqu’on a appris que Cristiano Ronaldo avait refusé une offre mirobolante. Le Real Madrid aurait pu toucher 300 millions d’euros pour vendre le Portugais qui, selon Jorge Mendes, son agent, aurait gagné 150 millions d’euros. L’an dernier, les seize clubs de Super League chinoise ont dépensé 420 millions d’euros pour transférer une quarantaine de stars étrangères, soit 17 fois autant qu’en 2013. Et ce montant sera encore largement dépassé en 2017, la Chine se classant désormais derrière l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie mais devant la France, le Portugal et la Russie.

Au pays du Soleil-Levant, the sky is the limit mais pourquoi ? La seule raison, c’est que le président Xi Jinping veut faire de la République populaire de Chine une grande puissance footballistique. Un pari ambitieux car, actuellement, la Chine n’occupe que la 86e position au classement FIFA, derrière des pays comme le Cap Vert, l’Ouganda ou St. Kitts et Nevis… En phase éliminatoire de la Coupe du monde 2018, elle a perdu contre une équipe de Syrie décimée par la guerre (0-1) ainsi que contre l’Ouzbékistan, se retrouvant dernière de son groupe. Même le Global Times, le journal nationaliste chinois, se pose des questions quant aux idées du président.  » Oublions le football. Nous ferions mieux de nous consacrer au ping-pong.  »

Après cette double défaite, le sélectionneur fédéral Gao Hongbo a été remplacé par le vétéran italien Marcelo Lippi, qui avait offert trois titres champions (2012 à 2014) et La Ligue des Champions asiatique (2013) à Guangzhou Evergrande.

 » Au cours des dernières années, nous avons dépensé beaucoup d’argent pour amener des entraîneurs étrangers et des vedettes en Chine mais qu’est-ce que cela nous a rapporté ? L’équipe nationale n’est nulle part et les jeunes Chinois talentueux sont barrés par des étrangers surpayés « , dit le journaliste sportif Ting Wai-kit. Sur China Sports Insider,Mark Dreyer, ex-Sky Sports, est tout aussi critique :  » Les énormes investissements dans le football chinois et l’engagement personnel du président Xi Jinping ont créé des attentes irréalisables.  »

La seule fois que la Chine s’est qualifiée pour une phase finale de Coupe du monde, c’était en 2002. Versée dans un groupe avec le Brésil, la Turquie et le Costa Rica, elle n’avait pas pris le moindre point et n’avait même pas inscrit un seul but. Mais en 2012, lorsqu’il devint secrétaire-général du Parti Communiste, Xi Jinping dévoila son plan pour le football : se qualifier, organiser et gagner la Coupe du monde. En 2020, 20.000 centres d’entraînements et 70.000 terrains devaient être prêts.

Des hommes d’affaires chinois ont tenté d’obtenir ses faveurs en rachetant des (grands) clubs européens et en investissant dans la Super League chinoise (CSL). On n’a rien sans rien… En octobre dernier, Ti’ao Dongli, une entreprise du secteur des médias spécialisée dans la retransmission de manifestations sportives a déboursé 1,2 milliards d’euros pour acquérir les droits de retransmission de la CSL et des équipes nationales masculine et féminine chinoises jusqu’en 2020.

NOUVELLES RÈGLES

 » L’arrivée d’entraîneurs et de joueurs étrangers s’est faite de façon trop drastique « , dit, dans Newsweek, Sun Jihai (39 ans), meilleur joueur chinois de l’histoire (il a joué à Manchester City de 2002 à 2008).  » Il faut surtout jeter des bases : former des joueurs et des entraîneurs, aménager de bons terrains pour les jeunes. Les enfants doivent apprendre à aimer le football. C’est bien plus important que d’engager quelques stars qui n’apporteront jamais autant que ce que leur contrat leur rapporte.  »

Vincent van Sas, de YourSoccerCoach, qui travaille avec six entraîneurs en Chine, a des mots très durs dans Het Financieele Dagblad :  » L’arrivée de Tevez ne rendra pas ses partenaires meilleurs, au contraire : après quelques matches, c’est lui qui descendra au niveau de l’équipe.  »

Le fait que les médias aient déclaré que les propriétaires de clubs chinois étaient fous de dépenser bien plus que le prix du marché pour acheter des joueurs a été mal perçu en Chine, où les bonzes du parti craignent l’image que le monde capitaliste occidental se fait d’eux. À la mi-janvier, à moins de deux mois du début du championnat, la fédération chinoise a donc changé les règles, affirmant que les montants de transferts et les salaires seraient plafonnés. Mais c’est assez vague.

Ce qui est clair, c’est que les clubs peuvent toujours engager un maximum de cinq étrangers mais que seuls trois d’entre eux – contre cinq l’an dernier – peuvent figurer sur la feuille de match. Par contre, il n’est plus nécessaire qu’un des cinq au moins soit asiatique.  » Cela aura surtout des conséquences pour les clubs de K-League sud-coréenne qui équilibraient leur budget en vendant leurs joueurs en Chine « , dit Kim Dong-jun, un agent asiatique, dans USA Today.

La limitation du nombre d’étrangers doit permettre aux joueurs chinois de progresser plus rapidement. Mais même dans un pays qui compte 1,4 milliard d’habitants, les bons joueurs sont rares.  » Les clubs alignant les meilleurs Chinois gagneront et la valeur des joueurs chinois va augmenter « , dit Kim Dong-jun.

L’an dernier, Tianjin Quanjian, le club de Witsel, qui évoluait encore en D2, a dépensé 9,8 millions d’euros pour acquérir le gardien Zhang Lu. Un record qui a été battu cette année par l’extérieur droit Chengdong Zhang, transféré pour 20,4 millions par Hebei China Fortune, qui a également sorti son chéquier pour Yuhao Zhao (17,8 millions), Hongbo Yin (9 millions) et Mingjian Zhao (11 millions). Soit près de 60 millions d’euros pour quatre internationaux d’un pays qui est 86e au classement FIFA…

 » C’est de la gestion à court terme « , écrit le journaliste écossais Cameron Wilson, qui vit à Shanghai, dans son blog Wild East Football.  » Les Chinois ont de grands projets mais, à la base, la formation, on fait n’importe quoi. Les clubs font de la surenchère rien que pour figurer dans le livre des records. Cela me fait penser aux night-clubs en Chine, où on indique sur un tableau géant quelle table a dépensé le plus d’argent.  »

À partir de cette saison, les clubs doivent inscrire au moins deux joueurs de moins de 23 ans sur la feuille, dont un titulaire.  » Que cette mesure soit bonne ou mauvaise, elle a été prise trop tard « , dit Mads Davidsen, entraîneur-adjoint de Shanghai SIPG.  » Certains clubs, par exemple, avaient déjà engagé plusieurs étrangers avant qu’elle ne tombe.  »

DEUX VITESSES

Le niveau de la Super League Chinoise est moyen. Hein Vanhaezebrouck a pu s’en rendre compte pendant la trêve lorsque La Gantoise a affronté Yanbian Funde, 9e sur 16 l’an dernier pour sa première saison en CSL. Les Buffalos l’ont emporté… 11-0. Techniquement, les Chinois n’étaient pas mauvais du tout mais ils étaient lents et leur sens tactique était peu aiguisé.

 » C’était du niveau d’une D3 belge en première mi-temps et d’une première provinciale après les remplacements « , dit Vanhaezebrouck. Rien de surprenant à cela. Nikola Petkovic, qui avait quitté Westerlo en janvier 2016 parce qu’il ne jouait pas, a ensuite disputé 22 matches avec Yanbian, où on trouve un autre joueur européen, Richárd Guzmics, un Hongrois acquis pour un million d’euros au Wisla Cracovie. Ce nom vous dit quelque chose ?

Un championnat à deux vitesses, donc, dominé depuis six ans par Guangzhou Evergrande, où Luiz Felipe Scolari n’a pu ajouter que quelques Chinois et un Sud-Coréen libre de transfert à son quatuor sud-américain : Alan Carvalho, RicardoGoulart, Paulinho (ex-Tottenham) et Jackson Martínez (ex-Porto et Atlético Madrid). Guangzhou Evergrande est pourtant à nouveau considéré comme l’un des favoris cette saison, même si neuf des vingt joueurs les mieux payés évoluent dans les deux clubs de Shanghai (SIPG et Shenhua). C’est dans cette ville de 24 millions d’habitants, la plus grande de Chine, que l’on trouve le plus d’annonceurs. Car tout tourne autour de ça : Tevez, Oscar et Hulk sont les panneaux publicitaires ambulants d’un empire footballistique artificiel.

PAR CHRIS TETAERT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Les clubs font de la surenchère juste pour figurer dans le livre des records  » CAMERON WILSON, JOURNALISTE ÉCOSSAIS VIVANT À SHANGHAI

 » Tevez ne rendra pas les autres joueurs meilleurs, au contraire.  » VINCENT VAN SAS, YOURSOCCERCOACH

 » Oublions le football et faisons tous du ping-pong.  » GLOBAL TIMES, JOURNAL NATIONALISTE CHINOIS

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