L’anti-compromis

Pour le président des Zèbres, l’image n’a aucune importance. Seul le résultat compte.

« Je déteste les compromis, et ça, c’est un problème quand on travaille en Belgique « , lance Abbas Bayat (60 ans). Est-ce simplement à cause de son tempérament carré que le président du Sporting de Charleroi est un poil à gratter du football belge ? Adversaires, arbitres, supporters, Fédération, médias : les prises de bec ont succédé aux clashes depuis qu’il a repris le club, en août 2000. Autre caractère dominant chez le businessman iranien : il a l’art de faire la Une pendant une longue période, puis de se faire oublier durant un bon moment, ensuite de venir à nouveau sous les spots. Actuellement, il traverse un passage où on le voit beaucoup dans la presse. Pourquoi ?

Abbas Bayat : Beaucoup de médias m’ont sollicité avant le match contre Bruges, tout cela parce que Jacky Mathijssen revenait à Charleroi. Je n’avais rien demandé. Je me sens mieux dans l’ombre que dans la lumière. Le Sporting n’est pas une entreprise hollywoodienne.

Vous êtes déjà revenu sur le devant de la scène en fin de saison dernière, quand vous avez convoqué la presse pour apaiser les relations tendues qu’elle avait avec votre club.

Je voulais que chacun se remette à faire son boulot et seulement son boulot. Le Sporting est là pour jouer et gagner des matches. Les journaux sont là pour traiter l’actualité sportive, pas tout ce qui se passe dans les coulisses des clubs.

Certains entraîneurs et certains patrons d’entreprise ont besoin de conflits pour se sentir bien dans leur peau. Vous êtes un peu comme ça, non ?

Il y a une différence entre le conflit et la compétition. Je ne recherche pas les conflits mais j’ai besoin de compétition pour avancer. Je me suis lancé un défi quand j’ai repris le club : le positionner dans le Top 5 endéans les cinq ans, tout en le stabilisant financièrement. Charleroi vient de terminer deux fois cinquième en l’espace de trois saisons et la stabilité financière a été atteinte. Maintenant, il est logique que je vise plus haut : il faut gagner quelque chose. Nous avons construit une équipe capable de remporter le championnat et elle montre depuis le début de la saison qu’elle peut y arriver. Avec 20 % de réussite en plus la saison dernière, nous aurions déjà terminé dans le Top 3. Mes objectifs sont rationnels et logiques.

C’est mal parti pour le titre, avec 9 points de retard sur le leader après 9 matches.

Nous devons encore jouer deux fois contre le Standard. Il nous reste aussi les deux matches contre Genk. Le parcours du Standard me fait penser à celui de Genk l’an passé. Les Liégeois ne vont jamais tenir ce rythme pendant toute la saison. Vraiment, je crois toujours au titre. Bruges et Genk ne sont qu’à 4 points, Anderlecht à 2.

Vous espériez quand même plus de points après 9 matches ?

Oui mais ça va aller parce qu’il y a eu un déclic chez les joueurs. Ils ont commencé la saison en étant persuadés que Bruges, Anderlecht, Genk et le Standard étaient les quatre grands. Ils ne pensaient pas qu’ils pouvaient les concurrencer. La saison dernière, Mathijssen et la presse ont joué un mauvais rôle en répétant sans arrêt que notre noyau avait des limites. Mais après avoir dominé Bruges et battu Anderlecht, mes joueurs savent qu’ils peuvent y croire.

Ils n’ont quand même pas été capables de battre Mouscron une semaine après avoir gagné à Anderlecht.

C’était un problème de concrétisation. Pendant la première mi-temps, ils ont joué à un niveau plus élevé que ce qu’on fait en Belgique. C’était un niveau européen. Je sais qu’on va encore me prendre pour un fou, mais je le pense vraiment.

Ils ont surtout joué à la baballe et ça s’est retourné contre eux : un manque de maturité ?

Je ne leur demande pas de devenir des jésuites. Il faut qu’ils s’amusent et que le public prenne du plaisir. Mais on doit combiner le spectacle avec l’efficacité, c’est sûr.

 » Camus vaut plus que 5 millions « 

Vous leur avez mis une fameuse pression en déclarant que Charleroi pouvait/devait être champion.

Ils en ont besoin.

Un club qui vise très haut a aussi besoin de joueurs capables de dominer tout le monde.

Mais Charleroi a ces joueurs. Nous avons fait un effort pour conserver notamment Bertrand Laquait, Majid Oulmers et Fabien Camus : ils ont du talent et le fait de les avoir gardés prouve nos ambitions. Nous avons aussi un vrai buteur, Joseph Akpala, qui a mis 6 goals en 570 minutes : c’est pratiquement un par match.

Le Camus de la saison dernière peut jouer le titre mais celui d’aujourd’hui en est loin. Il ne cache pas qu’il est déçu de ne pas avoir trouvé un club plus prestigieux : est-ce l’explication ?

Il a eu des petites blessures mais il revient bien. Il est peut-être déçu, mais pour qu’il y ait transfert d’un joueur toujours sous contrat, il faut que tout le monde soit d’accord : le joueur et les deux clubs.

Vous aviez un accord faramineux avec le Steaua Bucarest et vous poussiez Camus vers la Roumanie, mais il n’en a pas voulu : une sale pilule à digérer ?

Un accord ? Quel accord ? Je n’ai jamais dit que j’accepterais ce que Bucarest nous proposait. Vous m’avez entendu dire ça ? Si d’autres l’ont dit, ça n’engage qu’eux. Je suis le patron pour tout à Charleroi : les achats, les ventes, les contrats. Rien ne se fait sans mon autorisation et je n’aurais jamais accepté l’offre des Roumains, même si Camus était tombé d’accord avec eux. Si Tom De Mul vaut 5 millions quand il passe de l’Ajax à Séville, on peut exiger plus pour Camus parce qu’il est plus complet.

Quelle est, selon vous, l’image que l’on a aujourd’hui de votre club en dehors de Charleroi ?

Cela ne me concerne pas.

Dans le passé, le Sporting avait une réputation de petit club sympathique qui ne se prenait pas au sérieux. Ce n’est plus le cas…

Mon but, c’est de gagner des matches. Pas d’être le plus gentil ou le plus beau. Je ne cherche pas non plus à me faire des amis. Quand je me promène dans la rue à Bruxelles, des gens me félicitent pour ce que je fais. Quand je vais à la finale de Coupe entre le Standard et Bruges, des supporters du Standard me demandent de poser avec eux pour une photo. C’est bien mais ce n’est pas vraiment important. Pour moi, la priorité, c’est d’être le meilleur. Je n’ai rien contre Roger Vanden Stock ou Herman Van Holsbeeck mais je voudrais qu’Anderlecht perde tous ses matches.

C’est plutôt au Standard que vous devriez jeter un sort cette saison.

A partir du moment où Charleroi n’est pas devant, je suis content que ce soit le Standard plutôt qu’une équipe du triangle traditionnel Bruges-Anderlecht-Genk. Ce serait bien que le titre aille une fois à une équipe wallonne.

 » Il y a plus d’un an, je savais déjà que je ne prolongerais pas Mathijssen « 

Jacky Mathijssen a gardé un bon souvenir de votre collaboration et regrette seulement la façon dont elle s’est terminée : vous pensez la même chose ?

Oui. Il a fait son travail à Charleroi, il a réussi ce que je lui avais demandé en organisant puis en stabilisant l’équipe. Mais maintenant, comme je vois plus haut que le Top 5 dans lequel il a installé Charleroi, j’ai décidé que je travaillerais avec un autre entraîneur. Je vais vous faire une confidence : dès le début de la saison dernière, j’avais prévu de ne pas continuer avec Mathijssen, de ne pas prolonger son contrat. Je voulais une équipe qui ose plus. On parle un peu de François Sterchele ? 21 buts la saison passée avec le Germinal Beerschot, seulement 9 chez nous l’année précédente, 3 dans le championnat actuel. Une très bonne saison. Et deux moyennes… avec le même entraîneur. Vous comprenez un peu mieux de quoi je veux parler ? Sterchele ne dépassera peut-être pas le cap des 10 goals à la fin de ce championnat : quand une équipe ne joue pas avec l’intention de frapper très souvent au but, elle marque peu.

Pourquoi n’avez-vous pas dit directement à Mathijssen que vous n’envisagiez pas de continuer avec lui ? Cela aurait clarifié les choses, on n’aurait pas spéculé pendant toute l’année sur son avenir éventuel à Charleroi.

C’était de la cuisine interne. Quand vous avez un problème avec votre femme, vous ne l’étalez pas dans la presse.

Si Mathijssen avait directement su à quoi s’en tenir, tout aurait aussi été plus simple pour lui.

C’est son problème, pas le mien.

On s’attendait à ce que Dante Brogno reprenne l’équipe après l’éviction de Mathijssen, vu qu’il était l’adjoint. Pourquoi n’a- t-il pas eu la place ?

Pourquoi faudrait-il qu’on choisisse systématiquement le T2 quand le T1 saute ? Et Brogno a déjà été l’entraîneur principal du Sporting, non ?

Tout à fait.

Et vous trouvez qu’il a réussi à ce moment-là ? On avait dû le remplacer en cours de saison.

Son équipe joue aujourd’hui la tête du championnat des Espoirs : c’est peut-être de lui que viendra le titre dont vous parlez depuis l’été !

Le titre qui m’intéresse est celui de la D1…

Vous attaquez Mathijssen à l’Union Belge parce qu’il a dit qu’il avait parlé avec le quatrième arbitre à la mi-temps de Charleroi-Bruges : est-ce bien nécessaire ?

Je n’attaque pas Mathijssen, je demande simplement à la Fédération s’il est normal qu’un entraîneur discute avec le quatrième arbitre. Si c’est normal et si ça peut aider, alors je suis prêt à le faire de temps en temps, moi aussi.

Le jour où Mathijssen a été viré, une bonne partie du stade vous a sifflé et insulté pendant tout le match contre Lokeren. Le moment le plus difficile de vos 7 années à Charleroi ?

Oh non ! J’ai vécu avec la Ville des moments beaucoup plus pénibles. Peu de gens savent ce que j’ai enduré avec l’ancien régime de la Ville… et ce n’est pas beaucoup plus facile avec le nouveau ! Je ne peux pas oublier que les politiques ont essayé de me chasser pour reprendre le club, qu’on m’a mis une pression infernale pour que je le lâche, qu’on m’a dit des trucs horribles.

Vous dites qu’on vous a trompé sur la santé financière du club : comment un homme d’affaires de votre niveau pourrait-il ainsi se laisser prendre ?

Quand le bourgmestre, l’auditeur de la Ville, son conseiller et le ministre Président du Gouvernement wallon vous donnent des chiffres, vous pouvez être tenté de leur faire confiance, non ? J’ai été abusé, cela m’a obligé à investir plus d’argent que ce que j’avais prévu au départ, mais ma fierté est d’être quand même parvenu à redresser les finances du club. Je n’ai pas été assez vigilant et j’ai assumé entre-temps.

Vous ne voulez pas reconnaître que la Ville a été généreuse avec vous depuis votre arrivée ?

Mais elle ne m’a jamais rien offert. Rien ! Vous voulez parler de la garantie des emprunts ? Elle avait déjà promis cette faveur à Enzo Scifo avant que je reprenne le club.

Et le terrain synthétique que la Ville a essayé de vous financer en imaginant un montage d’achat de places ?

Ce terrain lui appartient et tout notre complexe d’entraînement est nul. Le synthétique est calé dans un coin et plus de 10 équipes l’utilisent.

Droits TV : Belgacom coincé

Parlons finances : avec tout ce que vous avez encaissé en transferts depuis un peu plus d’un an, vous pourriez rembourser vos gros emprunts bancaires en une fois !

Nous avons trouvé l’équilibre dans nos finances mais il suffirait de peu de choses pour que la tendance s’inverse, pour que le club perde à nouveau de l’argent sur l’ensemble d’une saison. Si Charleroi termine quatrième et ne vend personne en fin de championnat, par exemple, nous pourrions être à nouveau déficitaires.

Les négociations pour les nouveaux contrats des droits TV vont bientôt commencer : on s’attend à ce que les clubs belges ne touchent plus jamais ce qu’ils ont aujourd’hui.

Qui a dit ça ? C’est complètement faux.

Belgacom TV ne mettra plus jamais autant d’argent sur la table.

Et pourquoi ? Les droits vont continuer à exploser, nous aurons toujours plus. Les montants augmentent continuellement en Angleterre, en France, aux Pays-Bas, etc. Même les clubs norvégiens touchent 4 fois plus que les belges. Le foot a plus de valeur qu’Hollywood.

Vous ne pouvez quand même pas comparer le foot anglais et un foot belge qui n’arrête pas de régresser.

Non, mais nous avons droit à plus que ce que nous avons maintenant. Les chaînes ne peuvent pas vivre sans le football et elles doivent donc mettre le prix. Un club anglais de D1 reçoit autant que toutes les équipes belges. Il faut qu’on cesse de sous-estimer la valeur du football belge, il a droit à beaucoup plus d’argent. Vous payez combien pour cette interview ? Rien !

Pardon ? Je vais retourner le problème, alors. Si vous faites payer vos interviews et celles de vos joueurs, les journaux ne vous en demanderont plus, on verra sans doute moins d’articles et de photos de Charleroi et vos sponsors vous offriront moins d’argent…

Pas de problème, je n’ai pas besoin d’être dans les journaux. Si on n’y voit plus le Sporting, les gens iront encore plus sur notre site Internet.

Chez Belgacom, on doit se dire que l’investissement n’a pas été rentable.

C’est de leur faute si le produit foot n’est pas rentable. S’ils l’emballaient mieux, ça leur rapporterait plus. Ils ne montrent rien en semaine, leur offre se limite aux matches du week-end. Qu’ils aillent prendre des leçons en Angleterre et ils verront comment on habille des programmes de foot. Sky s’intéresse aussi à la D3 et à la D4, par exemple.

Si Belgacom TV s’intéresse à la D3 belge, il y aura 15 téléspectateurs !

Mais non, notre D3 est aussi forte que la D3 anglaise ! Le problème de cette chaîne, c’est qu’elle a laissé tomber les bras beaucoup trop vite. Et le système est boiteux : vous avez besoin d’une ligne fixe et d’une connexion Internet pour pouvoir capter les programmes de Belgacom TV. C’est anormal. Je suis sûr que Belgacom ne va pas se retirer parce que cette entreprise a investi beaucoup trop d’argent pour tout arrêter dès la fin de cette saison. Ils ont besoin du foot, et s’ils arrêtent, ils perdent tout. Ils savent qu’ils n’ont pas le choix.

par pierre danvoye – photos : reporters / michel gouverneur

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire