La pression sur De Bilde et Mornar

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Georges Heylens, Emilio Ferrera et Etienne Delangre commentent l’actualité de l’été et évoquent le nouveau championnat.

Georges Heylens, Emilio Ferrera et Etienne Delangre seront nos trois consultants tout au long de la saison (voir encadré). Ce choix n’est pas innocent: ils ont l’art de décortiquer ce qui se passe sur le terrain et en dehors. Et de dire tout ce qu’ils pensent, que ce soit bon ou mauvais! La dernière campagne des transferts, par exemple, les a étonnés.

Georges Heylens: Nous avons de nouveau perdu un paquet de stars: Koller, Radzinski, Goor, Van Buyten, Runje, Vermant. Chaque été, c’est le même scénario. Le championnat de Belgique meurt à petit feu et cette tendance ne fera que s’accentuer car le fossé financier qui sépare la Belgique des pays voisins se creuse de plus en plus.

Emilio Ferrera: C’est la première fois que les clubs belges encaissent autant d’argent en vendant des joueurs à l’étranger. On entend sans arrêt que notre championnat ne vaut plus grand-chose, mais les prix payés pour les Anderlechtois et les Standardmen prouvent qu’il y a encore du talent chez nous.

Heylens: J’ai peur pour notre compétition. Par qui a-t-on remplacé les bons joueurs qui sont partis? Par des gars qui ont encore tout à prouver. Je ne vois pas grand-chose de consistant dans ce que nos clubs ont transféré.

Ferrera: C’est facile à dire. On ne trouve pas comme ça des remplaçants pour des champions comme Koller, Radzinski ou Runje. Le marché est limité. Même la Juve, avec ses énormes moyens, ne trouve personne pour reprendre le rôle de Zidane. Anderlecht ne s’est pas mal débrouillé. Notamment avec Mornar, un des meilleurs attaquants de Belgique.

Heylens: Mais Mornar correspond-il à la philosophie anderlechtoise? Depuis deux ou trois ans, le Sporting s’était remis à acheter des joueurs collant à son label de beau jeu. Sauf peut-être dans le cas de Koller, qui a toujours été discuté et le sera toujours. Si vous parlez avec Goethals, il vous dira que, Koller, il faut lui couper la tête, les pieds et les jambes! Mornar n’a pas, au départ, le profil anderlechtois…

« L’argent fait débloquer les footballeurs »

Etienne Delangre: N’oublions pas De Bilde!

Heylens: Il est déjà redevenu le chouchou du public. Mais pour combien de temps? S’est-il assagi une fois pour toutes? S’il débloque encore une fois, plus personne ne lui fera confiance et sa carrière sera terminée. Il va abattre une carte cruciale.

Ferrera: Anderlecht qui transfère un joueur n’ayant plus rien réussi de valable depuis deux ans, c’est du jamais vu.

Comment expliquez-vous l’échec de De Bilde à l’étranger?

Heylens: L’argent fait débloquer beaucoup de joueurs.

Delangre: Il est à l’abri depuis plusieurs années s’il a bien géré ce qu’il a gagné. Cela influe sur la motivation. Aujourd’hui, les footballeurs réussissent une bonne saison, puis ils sont presque sûrs de décrocher de bons contrats pendant les dix années suivantes. Les temps ont bien changé. Il y a quinze ans, seules les stars belges recevaient une chance à l’étranger. Un défenseur devait compter cinquante sélections en équipe nationale pour faire l’objet d’une bonne offre. Si j’avais touché à mon époque les salaires qui circulent aujourd’hui, je ne devrais plus travailler. A mes débuts en équipe Première du Standard, je touchais 4.000 francs… par mois. Et 2.000 francs par point. Roger Petit avait été clair: c’était ça ou rien. Aujourd’hui, un joueur dispute trois bons matches, puis il peut faire ses valises et il part gagner une fortune à l’étranger. Qu’est-ce que Delorge a prouvé à La Gantoise? Il a fait une dizaine de matches valables, puis les Anglais lui ont proposé 300.000 francs nets par semaine.

Heylens: Quand j’étais en fin de carrière à Anderlecht, je gagnais 2 millions bruts par an. Van Himst touchait un peu plus. Après déduction des impôts, il me restait un bon million. On jouait toute sa carrière pour pouvoir se payer sa maison. Ceux qui ont joué avec moi à Anderlecht ont presque tous fait bâtir au même moment.

Anderlecht en Ligue des Champions: inch Allah

L’argent facile brise-t-il des carrières?

Heylens: Incontestablement. Personne ne prend le temps d’apprendre aux jeunes comment ils doivent gérer leur argent. En France, on les éduque. Les clubs belges sont responsables de ce qui ne va pas.

Ferrera: C’est le rôle des parents avant d’être celui des clubs…

Delangre: On a souvent dit que De Bilde avait reçu le Soulier d’Or trop tôt et que cela lui était monté à la tête. Mais Scifo l’a eu au même âge et il a fait une autre carrière. Ces deux joueurs n’avaient pas été éduqués pour réagir de la même manière face à la gloire.

Heylens: De Bilde avait été mal conseillé, ou pas conseillé du tout. Il était peut-être un peu caractériel au départ, mais cela n’excuse en rien tous ses débordements.

Qu’avez-vous pensé de la saga Radzinski?

Heylens: Il faut voir si la version d’Anderlecht était la bonne. Le Sporting est une maison fermée et j’ai l’impression que, dans l’affaire Radzinski, on nous a de nouveau caché pas mal de choses.

Delangre: Radzinski était jaloux de la réussite de Koller.

Heylens: Je ne le condamnerais pas aussi systématiquement. C’est peut-être son manager qui n’a vu que son profit personnel et a voulu faire croire que Radzinski était prêt à tous les chantages pour quitter le Sporting.

Le duo Mornar-De Bilde semble loin de la paire Koller-Radzinski.

Ferrera: Pour décrocher le titre en Belgique, il suffit de posséder le meilleur duo ou trio offensif. Huit joueurs normaux et deux cracks devant suffisent. Il y a quelques années, Mouscron a failli être champion avec une équipe qui n’avait rien d’extraordinaire. Mais il y avait les Mpenza en attaque. Ces deux dernières années, ce sont Koller et Radzinski qui ont fait la différence pour Anderlecht. Si Mornar et De Bilde trouvent leurs marques, le Sporting terminera de nouveau en tête.

Delangre: Je ne suis pas d’accord. Une équipe est encore plus redoutable quand le danger vient de partout.

Ferrera: La saison passée, le danger venait de partout à Bruges, son système était fabuleux, mais c’est Anderlecht qui a remporté le championnat. Parce que le Club n’avait pas d’attaquants capables de tuer un match. Je ne parle pas des rencontres face à Westerlo ou Beveren, mais des duels de haut niveau. Entre Koller et Radzinski d’un côté, Verheyen, Mendoza, Sillah, Lange et Sandy Martens de l’autre, il n’y avait pas photo.

Anderlecht est-il capable de refaire la même campagne en Ligue des Champions?

Ferrera: Non.

Delangre: Ce sera difficile.

Heylens: Inch Allah…

Delangre: L’avantage du Sporting, c’est qu’il a énormément d’argent en caisse et n’hésitera pas à faire un gros transfert en cours de saison si l’équipe ne tourne pas. Mais ce serait idiot de tout claquer du jour au lendemain. Qui peut jurer que le Sporting va passer le troisième tour préliminaire de la Ligue des Champions? Les économies sont vite parties et Constant Vanden Stock n’a sûrement pas envie d’effacer chaque saison une ardoise de 200 millions, comme il a déjà dû le faire dans le passé.

« Le Standard au mieux troisième »

Michel Preud’homme a connu une préparation délicate, marquée par plusieurs départs.

Delangre: Il faut s’y faire, c’est le football moderne. Pour un entraîneur, la vérité d’un jour n’est plus jamais celle du lendemain.

Ferrera: Le Standard suscite chaque année les mêmes questions. Les ambitions sont toujours élevées, mais on comprend chaque fois, après cinq matches, qu’il faudra encore patienter au moins un an de plus. Je ne vois pas cette équipe terminer à une des deux premières places. On ne peut pas viser le titre quand on se sépare de ses trois meilleurs joueurs. Runje, Van Buyten et Mornar étaient les trois qui faisaient le plus peur à l’adversaire.

Heylens: Le Standard a pourtant tout pour jouer le titre. Dont les meilleurs supporters. Mais ils pourront déjà être contents si leur équipe parvient à consolider sa troisième place.

Comment interprétez-vous le retour de Walem?

Heylens: Il ne m’étonne pas. A l’approche de la trentaine, tous les Belges expatriés ont envie de revenir au pays, de retrouver leur famille et leurs habitudes. Walem sait aussi que Waseige suit plus régulièrement les matches du Standard que ceux de l’Udinese.

Ferrera: Avec la petite saison qu’il a faite en Italie, il n’a pas non plus reçu 75.000 offres.

Delangre: Il y a aussi une explication financière. Il y a quinze ans, un joueur belge actif en Italie ne serait jamais revenu ici car la différence de salaire était énorme. Elle s’est réduite entre-temps et on peut maintenant gagner autre chose que des clopinettes en Belgique.

Bruges comme Pavarotti?

Qui a fait la meilleure campagne de transferts?

Heylens: Bruges. Seul Vermant est parti. Le meilleur transfert, c’est d’avoir conservé pratiquement tout le monde, et surtout Verheyen, qui est déterminant sur le terrain mais aussi en dehors.

Le Club n’a pas impressionné lors de ses matches de préparation.

Ferrera: Comme disait Beenhakker, on ne juge pas Pavarotti quand il chante sous sa douche…

Gand, renforcé par Anic, peut-il confirmer sa quatrième place?

Heylens: Le 7-1 du PSG a remis les pendules à l’heure!

Ferrera: C’est une bonne équipe, difficile à jouer. Quand les résultats sont plus ou moins les mêmes en déplacement et à domicile, cela veut dire que l’ensemble est solide. C’est le cas à Gand.

Ferrera n’envie pas Broos

Mouscron franchira-t-il enfin un palier supplémentaire?

Ferrera: Le gros problème de ce club, c’est le discours de son président. Il dit que l’Europe est une ambition mais que rien ne presse. Conséquence: Broos n’est pas sous pression. Et quand un entraîneur n’a pas de pression, il ne peut pas être vraiment performant. Je n’aimerais pas travailler dans les mêmes conditions que Broos parce que j’ai besoin d’une certaine obligation de résultats.

Heylens: Broos sait aussi qu’il restera en place aussi longtemps que Jean-Pierre Detremmerie sera là.

Delangre: Le fait qu’un entraîneur ait un contrat de longue durée ne doit pas dissuader les dirigeants de le virer. A Mouscron ou ailleurs.

On parle d’usure du pouvoir à Mouscron.

Delangre: Cette usure n’est pas une question de temps mais de personnalité de l’entraîneur. Il y en a dont les joueurs se lassent après six mois: s’ils sont austères et malhonnêtes, s’ils prennent les joueurs de haut, s’ils mettent un masque.

Heylens: Plus important que tout cela, il y a le soutien de tout le staff et de la direction dans les moments difficiles. Quand un entraîneur constate que son entourage n’est plus solidaire, il doit partir. A Anderlecht, c’est très difficile pour le coach qui ne se sent pas soutenu à 200%. Verschueren lui taille un costard s’il ne l’a pas lui-même présenté… Verschueren ne s’est plus mêlé des transferts au cours des deux dernières années, et comme par hasard, Anderlecht a fait de grands résultats. Je respecte son travail, mais il doit faire confiance à l’entraîneur pour le recrutement. Anthuenis a pu donner son avis et on voit ce que cela a donné.

« Charleroi restera toujours un volcan »

L’état d’esprit semble avoir changé à Charleroi.

Delangre: Ce club restera toujours un volcan. J’ai connu la mentalité hennuyère quand j’étais aux Francs Borains. On est content après deux bons matches, on s’enflamme, puis boum!

Heylens: Les dirigeants s’enflamment et le public suit. Le supporter devient comme on l’élève… Si le président lui parle d’Europe, il y croit. Même si c’est utopique. Et cela finit par se retourner contre l’entraîneur. Un coach ne peut pas durer si ses dirigeants ne sont pas cohérents.

Delangre: Une chose est sûre: le Sporting n’aura pas de problèmes cette saison.

Ferrera: Il ne manquerait plus que ça!

Enzo Scifo a tiré les conclusions de la saison dernière: il est plus distant et plus dur avec ses joueurs.

Delangre: Un entraîneur doit rester naturel, c’est la première règle pour faire du bon travail. Cela vaut pour Scifo et pour tous les autres.

Heylens: C’était une erreur monstrueuse de virer Manu Ferrera après les résultats qu’il avait obtenus. Aussi monstrueuse qu’au moment du limogeage de Peruzovic par Anderlecht.

Ferrera: La différence, c’est que les dirigeants d’Anderlecht n’ont pas eu de raisons de regretter leur décision. Ils ont appelé Boskamp, qui a terminé l’oeuvre de Peruzovic en conduisant Anderlecht au titre, puis a encore offert plusieurs trophées au club par la suite. A Charleroi, on a remplacé un coach qui gagnait, puis ce fut une catastrophe.

« Le sauvetage des Loups n’était que logique »

La Louvière pourra-t-elle poursuivre sur sa lancée?

Ferrera: Son sauvetage n’était que normal. Quel autre club menacé a les moyens de s’offrir autant de renforts en cours de saison? En général, ces équipes-là n’ont plus d’argent. A La Louvière, on a fait venir Olivieri, Thans et Simundza, qui ont complètement redressé la barre.

Heylens: Et Daniel Leclercq est arrivé avec son auréole de champion de France. Il a su prendre la distance qui n’existait plus entre Marc Grosjean et ses joueurs.

Delangre: Une fois qu’un entraîneur a une relation privilégiée avec ses joueurs, tout se complique. Mais le président l’a soutenu très longtemps et cela prouve que les sentiments peuvent encore exister en D1. C’est rassurant.

Le RWDM s’embarque pour un défi compliqué.

Delangre: Là aussi, l’aspect humain a joué. On a fait confiance à Patrick Thairet, un gars du club. Mais le RWDM va souffrir. Une équipe qui monte doit prendre des points dès le début, sans quoi elle se retrouve vite dans une spirale négative.

Ferrera: Les difficultés du RWDM me font penser à celles que je rencontre à Beveren. Je ne suis guère mieux loti, avec 13 joueurs qui n’ont pas encore joué une seule minute en D1 belge, et 16 sur 24 qui n’ont jamais évolué ensemble. Il ne me reste que quatre titulaires de la saison dernière. Normalement, les entraînements et les matches sont les deux soucis majeurs des footballeurs. Chez nous, ce sont les cinquième et sixième points de la journée… Le match du week-end, on ne commence pour ainsi dire à y penser qu’au coup d’envoi. Les joueurs se demandent d’abord s’ils seront payés et si le club va subsister. Et je ne peux pas les enguirlander car leur réponse est toute prête: -Que le club honore d’abord ses obligations.

Pierre Danvoye

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