La fin des cacahuètes

L’ancien facteur a posé son sac au Tivoli après une difficile expérience de capitaine à Alost.

Les Loups viennent de passer une petite semaine en pleine campagne, dans un bled entre Anvers et la frontière hollandaise. L’occasion de souder un groupe totalement relooké. Difficile de mettre directement un nom sur tous les nouveaux visages, aussi nombreux que les faces connues: 17 joueurs ayant porté le maillot louviérois en cours de saison dernière ont entre-temps changé d’air!

En quittant la table, un de ces renforts se tient l’arrière de la cuisse et fait la grimace: Georges Arts paye aujourd’hui la note de la catastrophique gestion alostoise.

« Mon organisme digère difficilement cette campagne de préparation et c’est tout à fait compréhensible », explique-t-il. « A partir du mois de janvier, nous ne nous sommes plus entraînés qu’une seule fois par jour avec l’Eendracht. Et ma saison était terminée dès le début du mois d’avril, vu que j’avais refusé de jouer pour des cacahuètes ».

Ce défenseur a signé à La Louvière avec l’ambition d’un jeune premier, malgré son âge avancé (33 ans). La D1, il ne la connaît que depuis trois saisons.

Georges Arts: Entre 17 et 30 ans, j’ai toujours joué en D3 et cela me convenait car mes clubs jouaient systématiquement la tête du classement. Je faisais partie d’équipes ambitieuses et j’avais un boulot très sûr à la Poste, d’abord comme facteur, ensuite derrière un guichet.

Evidemment, tout joueur a envie de devenir professionnel. A 19 ans, j’avais reçu une offre du Cercle de Bruges, mais on ne m’y donnait pas de vraies garanties et j’aurais dû signer pour le salaire minimum. Dans ces conditions, j’avais préféré rester amateur tout en gagnant honnêtement ma vie à la Poste. Je n’étais pas sûr non plus d’avoir le niveau de la D1. Mais je l’avais regretté par la suite et je me disais que je n’aurais sans doute plus jamais une chance pareille. Quelques années plus tard, j’avais encore reçu une proposition pour débuter en première division, mais mes dirigeants réclamaient dix millions de francs et l’affaire avait évidemment capoté.

Comment vous êtes-vous finalement retrouvé à Alost?

Avec le RC Gand, nous étions dans la série d’Ingelmunster, dont l’entraîneur était Jan Ceulemans. Je l’avais impressionné lors de nos matches contre son équipe et il m’avait proposé de le rejoindre là-bas. Au moment où nous en discutions, il a signé à Westerlo et il m’a demandé si je ne voulais pas tenter l’aventure avec lui. Il voulait me convaincre que, si je ne relevais pas le défi, je le regretterais toute ma vie. Mais j’ai finalement atterri à Alost parce que Patrick Orlans a été plus rapide pour me proposer un contrat en bonne et due forme. Depuis cette époque, Jan Ceulemans m’a toujours suivi à la trace. Cet été encore, il a essayé de me transférer à Westerlo. Avoir l’estime d’un monument pareil est une des plus grandes fiertés. »15 heures par jour à Alost »

Un footballeur qui découvre la D1 à 30 ans n’a-t-il pas des lacunes irrécupérables?

Si j’en avais tant que ça, je ne me serais pas fait une place à ce niveau… En trois saisons à Alost, je ne me suis pas retrouvé une seule fois sur le banc. Et je ne sais pas ce que sont les matches de Réserves de la D1. J’ai toujours joué en Première quand je n’étais pas blessé ou suspendu. Et je n’ai été remplacé qu’une seule fois en cours de match, après m’être bloqué le dos. J’ai connu quatre entraîneurs à Alost et ils m’ont tous fait confiance: Hulshoff, De Coninck, Manu Ferrera et Limpens. Ils m’ont tous dit que j’avais commis une grosse erreur en ne croyant pas plus tôt en mes chances de m’imposer en D1. Lors de ma première saison à l’Eendracht, Peter Van der Heyden, Davy Cooreman et Harold Meyssen étaient régulièrement sur le banc. Mais Georges Arts était sur le terrain! Alost avait vraiment une belle petite équipe et il y avait beaucoup de concurrence en défense. J’y ai fait tranquillement mon petit bonhomme de chemin et j’y suis devenu capitaine, comme dans tous mes clubs précédents. Mes coaches appréciaient ma faculté à m’adapter rapidement à toutes les circonstances, mon sens de l’initiative et ma mentalité de gagneur. Pour moi, tout résultat autre qu’une victoire est un échec. Quel que soit l’adversaire.

Comment avez-vous vécu la chute aux enfers d’Alost?

Ce fut vraiment très difficile. En tant que capitaine, j’étais en première ligne. Dès qu’il y avait un pépin, les joueurs venaient vers moi en espérant que je pourrais intervenir pour régler leurs différends avec la direction: problèmes de salaire, d’appartement, de voiture. Nous avions assez de talent pour vivre une saison tranquille. Notre tout bon départ en est la meilleure preuve. L’équipe a commencé à se déglinguer dès que les premiers soucis financiers sont apparus. Je ne me suis jamais laissé faire: les dirigeants savaient qu’ils n’avaient pas intérêt à me mentir, à me cacher la situation. Mais le problème était vraiment trop grave pour que le club puisse se sauver financièrement.

Depuis quand n’avez-vous plus été payé?

Mon dernier salaire, c’était celui du mois de janvier. Par la suite, il y a encore eu ces fameux contrats d’intérim de quatre fois une semaine, qui ont été honorés. J’ai toujours veillé à ce que tous les joueurs soient traités sur le même pied. Au moment où la direction a proposé de ne plus retenir qu’une quinzaine de joueurs, j’ai refusé au nom de tout le groupe. J’ai assisté à des situations poignantes. Comme celle de Marcos Lucas, dont la femme venait d’avoir un enfant. Marcos n’avait pas un franc de côté et venait pleurer chez moi pour que je fasse quelque chose. Il ne parvenait même plus à payer ses frais de médecin. Je passais parfois 15 ou 16 heures par jour au club pour essayer de trouver les meilleures solutions avec les liquidateurs. Si j’avais eu dix ans de moins, je n’aurais pas été capable de garder mon calme face à des aberrations comme celles que j’ai rencontrées. Des joueurs étrangers se retrouvaient à la rue du jour au lendemain parce que le club ne payait plus leur appartement. Un jour, mes enfants sont rentrés de l’école en panique: ils m’ont demandé si j’allais encore pouvoir joueur au football, parce que leurs copains étaient au courant que le club allait disparaître. Au moment où la situation de l’Eendracht devenait de plus en plus catastrophique, ma petite fille s’est retrouvée à l’hôpital avec une infection intestinale et 40 de fièvre. Mais je devais m’accrocher. Si je n’avais pas eu une femme compréhensive, je serais aujourd’hui divorcé parce que des problèmes financiers provoquent vite des disputes et débouchent souvent sur une séparation. »Tu peux encore te payer à manger? »

Quelles leçons avez-vous tirées de cette expérience?

Cette affaire m’a surtout appris qu’en football, il ne faut jamais faire de plans à long terme. On doit prester de semaine en semaine en étant conscient qu’un contrat tout ce qu’il y a de plus officiel ne vaut plus rien.

Je suis furieux quand je repense au comportement de la fédération dans cette affaire. S’il y avait eu un tout bon joueur belge à Alost, il aurait été mobilisable pour l’équipe nationale. C’est une obligation d’être à tout moment disponible pour les Diables Rouges. Par contre, l’Union Belge se retire dès qu’il y a des problèmes financiers. Après avoir pris soin, toutefois, d’encaisser les dettes fédérales. Les mêmes dirigeants alostois vont pouvoir repartir en D3 parce qu’ils se sont mis en ordre avec la fédération. Mais les salaires impayés, les grands patrons du football belge s’en balancent. Ils ont une excuse soi-disant inattaquable: les salaires ne sont pas des dettes fédérales. Pour eux, les choses étaient très simples: nous devions continuer à jouer parce qu’il ne fallait surtout pas fausser le championnat. Nous devions monter sur le terrain chaque week-end et achever le championnat. Mais, savoir si les joueurs d’Alost auraient quelque chose dans leur assiette en rentrant chez eux après l’entraînement, ce n’était pas le problème de ces messieurs! Dans certains clubs aussi, on a paniqué. A Anderlecht notamment. Si le club avait été radié avant la fin du championnat, tous nos résultats auraient été annulés et le Sporting n’aurait plus profité des points que nous avions pris contre Bruges et Genk. En pleine lutte pour une qualification en Ligue des Champions, cela a effrayé Michel Verschueren. Il a téléphoné aux dirigeants d’Alost en leur expliquant que nous devions absolument achever le championnat.

Même des joueurs d’équipes adverses ont profité de notre situation. Certains ont essayé de nous intimider en pensant que nous étions fragiles mentalement à cause de nos problèmes financiers. Un joueur de Charleroi m’a demandé, ironiquement: -Tu as encore assez d’argent pour te payer à manger ce soir? Je lui ai répondu que nous mettrions les choses au point à la fin du match. Ce jour-là, nous avons pris un point et c’était une grosse contre-performance pour Charleroi face à un adversaire condamné à disparaître! Pour moi, cette réponse sportive suffisait et je n’ai plus cherché à m’expliquer avec l’attaquant qui s’était moqué de nous.

Vous aviez gagné pour la dernière fois à La Louvière, lors de la septième journée: vous revenez aujourd’hui sur le terrain de l’ultime exploit alostois!

Nous jouions la tête et ça rigolait pour nous. Les premiers problèmes financiers sont apparus peu de temps après. Mais notre tout dernier exploit, je le situe plutôt dans le match à domicile contre Bruges, au mois de mars. C’était un dimanche soir, dans un stade plein à craquer et en direct à la télévision: nous avons pris un point alors que nous méritions carrément de gagner. Le lendemain, Alost était mis en liquidation.

Pierre Danvoye

« En trois ans à Alost, je n’ai pas été une seule fois réserviste »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire