« Je ne démissionnerai jamais »

Provocateur, autosatisfait, agaçant, souvent ? Oui, tout cela. Mais aussi plus motivé que jamais et généreux en interview. Le sélectionneur le plus impopulaire de l’histoire du foot français donne sa version des faits et règle quelques comptes. Où il est question de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports, d’Eric Cantona, du philosophe Alain Finkielkraut, d’argent, de sifflets, de demande en mariage et d’une certitude : peu importe que 4 Français sur 5 réclament sa démission, il n’est pas, mais alors pas du tout, prêt à renoncer au voyage en Afrique du Sud…

Avez-vous été surpris par l’ampleur de la polémique à propos de la main de Thierry Henry ?

Raymond Domenech : Oui, et cela m’a rendu fou de rage que l’on puisse traiter Thierry de cette façon. Je n’ai pas dormi pendant deux jours et je commence à peine à m’en remettre. Quand la France a écopé d’un carton rouge injustifié contre les Serbes, la Serbie n’a pas lancé une campagne pour dénigrer son équipe.

Il ne s’agissait pas du dernier match de qualification…

Ce qui fait le football et attire les gens au stade, c’est justement l’intensité dramatique du dernier match. Il y a eu une injustice ? Oui, assurément, mais elle correspond à un fait de jeu, non à une tricherie. La vraie erreur, c’est celle de l’arbitre. Tous les anciens joueurs le reconnaissent. Les autres sont des donneurs de leçons qui ne connaissent rien au foot ni au sport de haut niveau. Des qualifications in extremis, on en a connu d’autres dans le football. Gérard Houllier, l’ancien sélectionneur, me le disait l’autre jour : – Pour avoir le bac, il suffit d’avoir la moyenne.

Même en trichant un peu ?

Nous n’avons pas triché. Nous avons bénéficié d’une erreur d’arbitrage.

Des politiques aux intellectuels, beaucoup de personnalités se sont exprimées…

Mme Bachelot me demande de me  » mobiliser « . Moi, je ne m’occupe pas de gérer un ministère, je ne m’occupe pas de la santé. Si c’est tout ce qui inquiète Mme Bachelot en France, qu’elle se rassure : je suis mobilisé. Quant à Alain Finkielkraut, c’est bien ce philosophe persuadé qu’il y a trop de Noirs dans l’équipe de France, n’est-ce pas ? Allons… Le seul à avoir adopté une attitude honorable, c’est le président. Il a dit : – Laissez-moi à ma place, et il a eu raison. Que chacun reste à sa place.

N’est-ce pas une victoire amorale ?

Mais pourquoi faire à tout prix du foot une affaire de morale ? Ce sport a des règles qu’il faut respecter, bien sûr, mais il est aussi le reflet de la vie. Les intellos crient au scandale, mais, à ma connaissance, Thierry n’a pas commis un crime. Dans les vestiaires, les questions que se posaient les gars n’étaient pas d’ordre moral. Eux connaissent les erreurs d’arbitrage, ils en ont parfois été victimes. Leur priorité était plutôt de se dire : – Si on va au Mondial en jouant ainsi, on n’y fera rien ! C’est cela, et rien d’autre, la préoccupation des gens qui sont vraiment dans le milieu du foot.

 » Réglons le problème de l’arbitrage, c’est cela, le vrai débat « 

Bixente Lizarazu, champion du monde en 1998, appartient au milieu et il a exprimé son malaise…

C’est bien gentil, les leçons de Bixente Lizarazu… Il est sympa, il a gagné quelque chose et j’en suis heureux pour lui, mais il ne doit pas oublier que lui aussi a vécu des moments difficiles, en 2002 par exemple. Lizarazu prétend aussi que je refuse de parler football, tactique et technique. Il a tort. J’en parle, mais avec mes joueurs, pas avec lui. De toute façon, il ne pose pas de questions, il se contente de donner des avis. Les anciens joueurs qui se comportent comme des entraîneurs alors qu’ils n’ont jamais dirigé une équipe me laissent indifférent.

Et Eric Cantona, pour lequel vous êtes le pire entraîneur depuis Louis XVI ?

Je ne savais pas que Louis XVI avait été sélectionneur… Je mets Cantona dans le même lot que les autres. Il est entraîneur de beach-soccer et n’a pas réussi à qualifier son équipe pour la Coupe du Monde. Qu’il fasse preuve de décence !

Ne pensez-vous pas, comme une partie des Français, Arsène Wenger et Henry lui-même, que la solution la plus équitable aurait été de rejouer le match ?

Non, cela aurait été impossible. Ou alors il faudrait le faire après chaque faute non signalée. Réglons le problème de l’arbitrage, c’est cela, le vrai débat.

Henry, qui s’est dit bouleversé par la polémique, a-t-il vraiment failli quitter les Bleus ?

Non, je ne le crois pas, mais quand je l’ai appelé, il était comme nous tous : abattu, surpris, sonné. J’ai un immense respect pour l’homme et le footballeur. Titi est l’un des joueurs les plus capés de l’histoire du foot français. Il nous qualifie pour le Mondial. Voilà des mois que, malgré sa blessure, il participe à tous nos matches, au risque de se faire engueuler par son club de Barcelone. Les Bleus, c’est sa raison de vivre de footballeur, et on lui tombe dessus ! C’est difficile à admettre, pour lui comme pour nous.

Ne pouvait-il pas reconnaître sa faute auprès de l’arbitre ?

Au cours de la rencontre ? J’ai vu cela une fois, c’était au tennis : le Suédois Wilander, sur une balle de match. Mais il menait au score, il avait une marge de sécurité. Et puis il était seul. En sport collectif, on entraîne tout le monde, les conséquences de tel ou tel acte rejaillissent sur beaucoup de gens. Cette forme d’idéalisme me fait sourire. Pour atteindre un objectif exceptionnel, on n’agit pas toujours de manière exceptionnelle.

Le montant de votre prime de qualification (862 000 euros, selon France Football) fait, lui aussi, jaser…

En sortant du terrain, nous n’avions pas la moindre idée du montant de la prime qui nous était promise. Je ne le connais toujours pas, d’ailleurs. Ma seule certitude, c’est qu’il est inférieur au chiffre annoncé dans la presse. Le malaise suscité par l’argent dans le foot m’étonne toujours un peu. Au tennis, au golf, les sommes sont affichées et personne ne s’en offusque. En football, parce qu’il s’agit d’un sport populaire, on considère toujours l’argent gagné comme du vol. Pour quelle raison ? Après la qualification, le patron du café d’en bas de chez moi m’a lancé : -Merci d’avoir pensé à mon chiffre d’affaires ! Un Mondial, c’est une excellente nouvelle pour toute l’économie.

 » Je pratique une forme d’agressivité. Je peux agacer, il m’arrive de m’agacer moi-même ! « 

Il n’empêche que votre impopularité pèse considérablement sur l’image des Bleus…

Pas plus que pour Aimé Jacquet, six mois avant la Coupe de 1998. Le climat autour du football est toujours passionnel. Il y a une frange anti-Domenech, je ne le nie pas, mais je peux sans problème prendre le métro ou aller au restaurant. De toute façon, je n’ai jamais rêvé d’être populaire. Le premier match que j’ai disputé pour Lyon, j’ai été hué pour avoir brisé la jambe d’un Niçois alors que je n’y étais pour rien. J’avais 18 ans, ça forge le caractère. Mon job, c’est de gagner, et ma fierté, d’être apprécié par les gens qui me connaissent vraiment. Les autres… Je préfère cela plutôt que d’être populaire et le roi des cons par-derrière.

Après la qualification, avez-vous eu envie, comme Diego Maradona, de régler vos comptes brutalement ?

Non, parce que je suis déjà tourné vers l’Afrique du Sud. Je n’ai pas d’esprit de vengeance. Quand d’anciens sélectionneurs me parlent, alors là, oui, j’écoute, j’enregistre, même les reproches. Mais les autres ? Pourquoi se révolter contre des gens capables d’écrire tout un jour et son contraire le lendemain ?

Pourquoi en faire un combat entre les médias et vous ?

Mais ce n’est pas moi qui en fais un combat ! A la limite, si on pouvait m’oublier, ce serait génial. Ce sont les joueurs qui disputeront la Coupe du monde. Moi, je vais juste les guider, les diriger et si, le 11 juillet, ils sont champions, j’applaudirai des deux mains.

En conférence de presse, vous jouez la comédie ?

Je suis dans un rôle : celui de sélectionneur. Je pratique une forme d’agressivité, je le reconnais. Je peux agacer, ça aussi, je le conçois. Il m’arrive de m’agacer moi-même ! Avant une conférence de presse, je devine déjà les questions. Alors oui, je fais un peu d’humour, de la provoc, je joue parfois les cyniques, j’utilise ma palette de comédien pour ne pas exposer mes joueurs.

Vous faites des petits dessins aussi, comme à Dublin dernièrement. Que représentaient-ils ?

( Il sourit) Des smileys, des bonshommes qui rient et d’autres qui font la tête. Ça m’est venu comme ça…

Ça avait l’air d’agacer Henry.

Pas du tout Il me connaît par c£ur. Après chaque conférence de presse, il me glisse : -Coach, vous êtes fou ! Les autres aussi sont habitués à ma personnalité. Quand il ne se passe rien, ils sont étonnés.

Les critiques vous touchent-elles ?

Oui, mais je dois faire abstraction. Les dégâts collatéraux ne sont pas sur moi : c’est mon métier, je suis payé pour ça. Mais j’ai des enfants, une femme, de la famille, des gens qui souffrent, car ils ne peuvent rien faire, eux.

Une telle hostilité est tout de même inédite dans le sport français.

C’est parce que je suis là depuis longtemps. A un moment, les anti se fédèrent et constituent une force. Les sifflets, je ne les entends plus, de toute façon. Je sais comment ils fonctionnent.

 » J’ai une âme de missionnaire « 

Vous les évoquiez en septembre dans le journal Metro, en comparant les siffleurs à des cons.

( Etonné) Je n’ai jamais dit ça. En général, j’évite d’être vulgaire dans les interviews. Je me souviens, en revanche, d’avoir expliqué comment fonctionnent les foules, en m’inspirant des écrits du sociologue Gustave Le Bon. La foule se nivelle par le bas. Dans un stade, on voit des types en costume-cravate se métamorphoser. Trois individus s’infiltrent, lancent des slogans hostiles, et tout bascule. Je n’invente rien : ce genre de manipulation existe en politique. Pourquoi pas dans le foot ? Je me demande juste à qui profite le crime.

Comprenez-vous qu’un grand nombre de supporters ait mal accepté votre maintien après l’Euro 2008 ?

Alex Ferguson a failli être viré dix fois avant d’obtenir son palmarès avec Manchester United. Après la défaite de leur sélection contre nous lors de la Coupe du Monde 2006, les Espagnols voulaient la peau de Luis Aragones. Sa fédération a tenu bon et, deux ans plus tard, son équipe était championne d’Europe ! Pour moi et les dirigeants de la Fédération, l’essentiel, c’est de s’inscrire dans la durée.

En 2008, votre fédération, justement, avait décidé de vous recadrer. En avez-vous tenu compte ?

Je ne me suis pas senti encadré. On m’a demandé d’arrondir les angles. Je sais écouter les conseils quand ils sont cohérents.

Cela concernait surtout votre communication…

Je ne suis pas payé pour communiquer, mais pour que les Bleus aillent le plus loin possible. Je pense être un bon communicant interne. Ma relation avec eux est bonne, ils savent clairement ce que je pense. A l’extérieur, si c’est nécessaire, je m’exprime. Si ça ne l’est pas, je coupe. Et si cela ne sert pas l’équipe, je m’en fous. Les résultats parlent : deux qualifications de suite pour la Coupe du Monde, une finale disputée, ce n’est pas si mal ! Mes prédécesseurs avaient eu droit au même reproche sur leur communication.

Vous est-il tout de même arrivé, au plus fort des attaques, de vous demander ce que vous faisiez dans cette galère ?

Non. J’ai une âme de missionnaire. Evidemment, il m’est arrivé d’être fatigué. Et puis je dors et, le lendemain, c’est reparti. Jamais je n’ai démissionné, jamais je ne démissionnerai. Plus la pression est forte, plus je suis motivé. L’adversité est mon élément. Quand règne le calme plat, je m’ennuie, je m’inquiète, même.

Reconnaissez-vous au moins des erreurs ?

Voilà une question qui a le don de m’agacer. Mais c’est quoi, une erreur ?

 » Mon père était contestataire, révolté. J’ai hérité de son tempérament, mais j’ai pu le canaliser « 

Par exemple, contre l’Irlande, laisser Henry s’imposer comme tireur de coups francs à la place de Gourcuff, ce qui a été interprété comme une prise de pouvoir par les joueurs.

Thierry compte plus de 100 sélections. C’est un patron sur le terrain. S’il sent certaines choses, c’est mon rôle de l’écouter. Et si l’on me dit que c’est un retour à la  » République des joueurs « , je le revendique. ( il tend le poing en un geste révolutionnaire) Moi-même, quand j’étais footballeur, je ne voulais pas être l’exécuteur des décisions d’un entraîneur. J’oriente, je discute, mais je ne suis pas un dictateur.

C’est votre passé anar qui se réveille ?

Il y a un peu de ça, oui. Sans le désordre complet. Mais si, à l’intérieur d’une équipe, il y a une énergie qui bouge, quitte à provoquer parfois des étincelles, je dis bravo.

Après le fiasco de l’Euro 2008, plusieurs cadres, dont Patrick Vieira et Franck Ribéry, vous avaient soutenu. Depuis, on ne les entend plus. Que vous inspire ce silence ?

Ils font bien de se taire. Des joueurs qui soutiennent publiquement un sélectionneur, c’est rare et c’est risqué, car, après, ils sont obligés d’assumer leur choix au-delà des changements de direction possibles.

La demande en mariage adressée en direct à votre compagne, Estelle Denis, après l’élimination contre l’Italie, en 2008, n’était-elle pas une autre erreur ?

Oui, sans doute, mais comment peut-on regretter d’avoir dit à quelqu’un qu’on l’aime ? Pendant une seconde, j’ai oublié le football. Je comprends que les supporters n’aient pas eu envie de m’entendre sur ma vie privée. Mais on oublie de dire qu’avant j’avais fait le bilan de l’Euro pendant trois minutes. Le moment était mal choisi, certes. Mais, ce jour-là, j’ai humanisé le football et £uvré pour l’intérêt féminin pour ce sport. C’est beau, non ? ( Sourires)

Votre compagne, elle, n’avait pas du tout apprécié…

J’ai commis l’erreur une fois de mettre en avant ma vie privée. On ne m’y reprendra plus. Je suis très discret, je ne vais jamais dans les soirées people. Je ne vais même plus aux premières de cinéma.

Vous êtes le fils d’un Catalan antifranquiste réfugié en France lors de la guerre civile espagnole. Quelle est l’influence de cette histoire familiale sur votre manière de gérer les conflits ?

Ce passé a forgé en moi une grande force de caractère et une révolte permanente. Mon père était contestataire, révolté, provocateur. J’ai hérité de son tempérament, mais j’ai pu le canaliser grâce à mon métier. Je ne baisse jamais les bras. Quand j’ai une conviction, je m’y tiens.

Compte tenu des conditions de la qualification et de l’hostilité du public, ne serait-il pas plus élégant, plus sage aussi, de vous retirer ?

Permettez-moi d’inverser le raisonnement. Ne penserait-on pas alors : quel trouillard ! Il choisit la fuite ! ? Partir maintenant n’aurait aucun sens. Cela voudrait dire que j’ai rempli ma mission et que je me fiche de la suite, ce serait donner raison à mes détracteurs. Il faut que les gens arrêtent de rêver : je ne suis pas quelqu’un qui abandonne ! Avec les joueurs, nous voulons réussir quelque chose de grand en Afrique du Sud. On va laisser passer un peu de temps, noter ce que disent les uns et les autres, et puis on va repartir.

Vous êtes rancunier ?

Non, j’ai juste de la mémoire. Mais je ne me montre jamais agressif à l’encontre de mes adversaires. Méprisant, parfois, peut-être. Il m’arrive même de leur sourire. Et puis je passe à autre chose.

Le jour où vous publierez votre autobiographie…

Jusqu’ici, j’ai dit non, et ce n’est pas faute d’avoir été sollicité. Après 2010, peut-être… L’idée de livrer ma vérité me titille depuis un moment. J’écris surtout pour ne pas oublier. Presque tous les soirs, je m’installe à mon ordinateur afin de retranscrire à chaud les événements tels qu’ils se sont réellement passés.

Enfant, vous rêviez de devenir président de la République. A la réflexion, le métier de sélectionneur n’est-il pas plus exposé encore ?

La différence, c’est qu’un président, à moins d’une catastrophe, est sûr de rester cinq ans. Un sélectionneur, lui, peut être obligé de passer à autre chose du jour au lendemain.

 » Autre chose « , pour vous, cela pourrait être quoi ?

Président de la République ! Syndicaliste, aussi. J’ai déjà pratiqué, mais je pense qu’il me reste assez d’énergie pour reprendre le combat.

par philippe broussard et géraldine catalano /photos : l’express

« Ma fierté est d’être apprécié par les gens qui me connaissent. Les autres… »

« Les anciens joueurs qui se comportent comme des entraîneurs alors qu’ils n’ont jamais dirigé une équipe me laissent indifférent. »

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