JASON KING

En une semaine, les Diables Rouges sont passés du paradis à l’enfer mais ils ont trouvé un défenseur central supplémentaire. Portrait de Jason Denayer, qui fêtera ses 20 ans la semaine prochaine.

« Que veux-tu gagner dans la vie ? « , lui demande pour la deuxième fois le responsable du scouting de Manchester City, en 2012. Et pour la deuxième fois, le jeune Jason Denayer lui répond :  » Everything « . Tout ! II n’a que 17 ans et n’a pas encore disputé de match à onze contre onze sur grand terrain. Ses conseillers, Jesse De Preter et Dirk Geuens (de l’agence de management AtticusSportsManagement), qui l’accompagnent, ne sourcillent même pas. Ils savent que Denayer n’a peur de rien et ne sait même pas ce que signifie le mot stress. Quelques années plus tard, le fait d’être titularisé pour la première fois avec les Diables Rouges au Stade de France ne lui fait absolument rien non plus.

Jason Denayer a ses propres références. Lorsqu’il disputa la Champions League Youth Cup avec Manchester City, on lui demanda quel stade l’avait le plus impressionné.  » Le stade de Lokeren « , répondit-il le plus sérieusement du monde. Il y avait remporté un tournoi de jeunes avec Anderlecht et ça lui était resté en mémoire. Une fois seulement il s’est montré un peu plus excité. C’était en 2013. Jason avait envoyé un SMS à ses deux conseillers pour qu’ils viennent le voir lors de son tout premier passage avec les Espoirs belges, face à la Serbie.

 » Avant le match, Johan Walem lui a dit : Jason, tu joues contre Mitrovic. Pas de stress, hein !, raconte Jesse De Preter. Denayer a répondu : C’est qui, Mitrovic ? (il rit). Quand on lui a dit qu’il s’agissait du joueur d’Anderlecht, il m’a regardé d’un air interrogateur : Pourquoi devrais-je stresser ? A l’entraînement, je joue contre SergioAgüero. Ça, c’est Jason tout craché. Et ce n’est pas de l’arrogance. Simplement, il n’est jamais nerveux.  »

Place Anneessens

Denayer est un véritable Bruxellois. Né d’un père belge et d’une mère congolaise, il grandit à Ganshoren et joue souvent avec ses amis sur la place Anneessens, au coeur de la capitale. Ce qui explique pourquoi, aujourd’hui encore, lorsqu’il inscrit un but, il forme la lettre A avec les doigts de la main, référence à ce quartier. A l’époque, Anthony Van den Borre, qui est déjà une star à Anderlecht, va souvent jouer dans cet agora avec les meilleurs jeunes.

A six ans, le petit Denayer s’affilie au club de football local, le FC Ganshoren. Son premier entraîneur, Patrick Willeborts, ne s’intéresse plus trop au football aujourd’hui.  » C’est mon fils qui m’a fait remarquer qu’un certain Denayer jouait au Celtic. Alors, j’ai fait le lien « , dit-il. Willeborts dit avoir été directement sous le charme de notre Diable qui s’était affilié en même temps que son ami, Dilhan Necipoglu (qui évoluait à Alost l’an dernier, aujourd’hui sans club)  » Jason avait de la poudre dans les pieds. Il jouait et frappait des deux pieds. Ses corners et ses coups francs étaient phénoménaux. Ma tactique était simple : je demandais à Dilhan de lui donner le ballon le plus vite possible et il devait tirer au but. Pas besoin de lui donner des consignes. Il ne prenait jamais de risque. S’il n’avait personne à qui donner le ballon, il le passait au gardien, comme il le fait aujourd’hui chez les Diables Rouges. Il était plus grand que les autres et les adversaires demandaient souvent s’il n’était pas trop âgé pour jouer en Diablotins. Il fallait voir la tête des entraîneurs lorsque je leur montrais sa carte d’identité. Lors d’un tournoi de jeunes à Ganshoren, il a été repéré par Anderlecht qui envoyait même des scouts chez les tout petits.  »

Pinanti is pinanti

Dilhan et Denayer partent à Anderlecht en même temps.  » Jason allait jouer avec les nationaux et moi, avec les provinciaux « , dit Dilhan Necipoglu.  » Ils me trouvaient trop frêle pour les nationaux. Jason était déçu mais il a poursuivi sa route.  » Les deux gamins de Ganshoren atteignent tout de même le Top 10 du Brabant flamand et de Bruxelles au concours Pinanti is Pinanti.

 » Le but consistait à transformer des penalties contre Geert De Vlieger au Stade Constant Vanden Stock mais ce n’était pas évident. Jason a un coeur d’or, il est très réservé. Quand on ne le connaît pas, il peut paraître froid mais quand on est entre amis, il peut être très drôle. Aujourd’hui, nous nous voyons moins mais lorsque mon père est décédé, l’an dernier, il fut l’un des premiers à me téléphoner et à me demander si j’avais besoin de quelque chose.  »

En parcourant le pays, les scouts de la nouvelle académie de football à Tongerlo remarquent Denayer, qui évolue alors en attaque à Anderlecht. Mais comme ils sélectionnent avant tout les joueurs qui ont le plus de technique, ils lui préfèrent encore Dilhan. Jean-Marc Guillou n’éprouve aucune difficulté à emmener les deux joueurs à Tongerlo. A Anderlecht, on ne considère d’ailleurs pas Denayer comme un des joueurs les plus doués de sa génération. De plus, son père n’est pas convaincu que sa meilleure place soit devant.

Mais l’argument le plus intéressant présenté par l’académie, c’est le nombre plus élevé d’heures d’entraînement : quatre heures d’école pour quatre heures d’entraînement. Et le tout au même endroit !

City au lieu du Lierse

Ce n’est pas Jason mais Dilhan qui est le plus doué de cette première génération d’académiciens. Sur le plan technique, du moins. Balle au pied, on le décrit comme un magicien. Aujourd’hui, les carrières des deux joueurs ont pris des trajectoires diamétralement opposées.

Lorsqu’il avait quitté Anderlecht, Denayer n’était pas considéré comme un grand talent. A 17 ans, lorsqu’il quitte le Lierse, les choses ont changé.  » Sur le plan technique, la formation reçue à l’Académie est parfaite « , dit Jesse De Preter.  » Du point de vue physique, par contre, il y a encore du travail. Dilhan devrait être en équipe première au Lierse et Mouad Tauil, qui n’a même jamais été repris la saison dernière, aurait pu se retrouver dans un club comme Barcelone. Ils seraient tous les deux beaucoup plus loin s’ils avaient été bien conseillés au niveau physique. L’avantage de Jason, c’est qu’il avait déjà du physique lorsqu’il est arrivé. C’est un athlète.  »

En principe, Jason aurait dû être le premier joueur de l’Académie à arriver en équipe première au Lierse. A l’époque, De Preter et Geuens auraient envoyé à l’époque des dizaines d’e-mails à la direction du club pour rappeler qu’à l’Académie, on lui avait promis de lui proposer un contrat pro le jour de ses seize ans. Un an et demi plus tard, il n’avait toujours pas signé alors, il s’est imposé un défi plus compliqué.  » Il savait qu’à City, il devrait prouver dix fois plus mais il ne voulait pas choisir la voie de la facilité « , dit De Preter.

Chelsea, la préférence

Jason veut à tout prix aller en Angleterre. Sa préférence va à Chelsea mais ses conseillers lui enlèvent cette idée de la tête en lui faisant remarquer que, des U19 à l’équipe première, les Blues comptent déjà énormément de défenseurs centraux.

 » Selon nous, deux clubs lui convenaient « , dit Jesse De Preter.  » Liverpool n’avait pas de bons défenseurs et Manchester City pouvait faire mieux sur ce plan.  » C’est ainsi qu’un beau jour, Jason prend l’avion pour l’Angleterre. Quelques heures plus tard, Manchester City lui demande de jouer un match sur grand terrain, à onze contre onze. Pas n’importe quel match puisqu’il s’agit du derby U19 contre United. Son opposant direct est international anglais U19.  » Après cinq minutes, Jason faisait passer le ballon par-dessus la tête du gars et le dribblait encore. C’était bon. Le centre de formation de City est fantastique. Son entraîneur, c’était Patrick Vieira. Il a joué un rôle très important dans son évolution.  »

Après une journée entière de tests médicaux, le joueur et ses conseillers se retrouvent à l’hôtel. Denayer est fatigué mais il demande à Dirk Geuens de lui prêter son ordinateur.  » Je pensais qu’il voulait discuter avec ses amis ou regarder son mur Facebook. Après une demi-heure, je suis allé le voir. Il n’était pas sur Facebook mais sur le site de Nike, occupé à créer ses propres chaussures. Ça aussi, c’est tout lui.  »

Finalement, City prête Denayer au Celtic. Le coach, Ronny Deila, le repère lors d’un match amical entre City et Aberdeen. Il croit beaucoup en lui. Au départ, City ne veut pas le prêter. Le Celtic a été éliminé de la Ligue des Champions mais est repêché sur le tapis vert parce que le club polonais qui l’a battu a aligné un joueur non qualifié. Le club écossais doit donc rentrer sa liste de joueurs avant le 23 août. Lorsque l’entraîneur du Celtic appelle De Preter, il ne reste que huit heures. De Preter appelle Denayer, qui saute dans la voiture avec son père et l’affaire est conclue juste à temps.

L’ami Faysel

Son père déménage à Glasgow également. Virgil van Dijk, un autre défenseur central, prend le jeune homme timide sous son aile. Denayer n’est pas du genre à hausser la voix. Le premier jour, le capitaine l’accueille en lui demandant : Tu veux une bière ? La réponse l’étonne :  » Non, je ne bois pas d’alcool « . A Noël, lorsque l’équipe prend la direction de Londres pour le traditionnel Players’ Christmas, une grosse guindaille qui dure trois jours, Denayer reste chez lui mais personne ne lui en veut car il est bien intégré au groupe.

 » C’est logique car Jason joue avant tout en fonction du collectif « , dit De Preter.  » Il ne sort pas inutilement, il ne fonce pas comme un fou au duel. Ses points forts sont la vitesse et la détente dans le jeu aérien, bien qu’il ne soit pas très grand pour un défenseur central. Et puis, il a une très bonne technique. On peut toujours lui donner le ballon, il en fera bon usage. Et il ose prendre des risques à la relance.  »

Ce qui surprend le plus Dirk Geuens, c’est la vitesse à laquelle les choses évoluent.  » En U19, avec Gert Verheyen, il sortait du lot, tout comme Divock Origi. Mais je suis quand même étonné qu’il ait été appelé chez les Diables après avoir joué cinq matches seulement avec le Celtic.  » De Preter, lui, se dit stupéfait par le calme affiché par Denayer.  » Il n’a pas encore vingt ans mais il est si raisonnable…  »

Ses amis de l’Académie ne sont pas surpris par l’envol que prend la carrière de Denayer. Faysel Kasmi, meilleur joueur du Lierse en fin de saison dernière, l’a deux fois par semaine au téléphone.  » Nous parlons des domaines dans lesquels nous devons progresser « , dit celui qui a rencontré Denayer à l’âge de 12 ans, au cours d’un tournoi. Il évoluait alors au Germinal Beerschot et Jason, à Anderlecht. Plus tard, à l’Académie, ils ont partagé la même chambre.

Paris FC

 » Au début, c’était difficile pour lui : il était le seul joueur un peu costaud parmi toute une bande de petits techniciens. Mouad Tauil, surtout, lui en faisait voir de toutes les couleurs. Pendant les trois premières années, il s’est contenté de suivre le mouvement. Le déclic s’est produit après un stage au Paris FC où il a pu s’entraîner comme un professionnel pendant une semaine. Sur le plan physique, à l’époque déjà, il était prêt à jouer contre des hommes.

Lorsqu’il est rentré, il était métamorphosé. Il était capitaine de l’équipe car c’est un leader naturel. Il nous protégeait, surtout lorsque nous affrontions des équipes dont les gars avaient deux têtes de plus que nous. Nous étions toujours plus rassurés lorsqu’il était là.  »

Kasmi affirme que Denayer encaissait très bien la critique.  » On pouvait crier, le casser… Cela ne lui faisait rien, il continuait à jouer. Il taclait rarement, pour ne pas dire jamais. Au fil du temps, il a beaucoup progressé dans les espaces courts. Lors des derniers mois à l’académie, nous faisions beaucoup de un contre un. Nous étions toujours les derniers à quitter le terrain. Avec Bongonda. Une fois c’était l’un qui gagnait, une autre fois c’était l’autre. Un jour, il faudra qu’on le refasse pour déterminer qui est le plus fort.  »

Théo Bongonda, qui évoluait la saison dernière à Zulte Waregem et porte désormais le maillot du Celta Vigo, est son ami intime. Ils s’appellent chaque jour. Evelyne Petit, la mère de Bongonda se souvient que Denayer logeait souvent chez elle.  » Jason et Théo partaient le matin avec un ballon et ils ne rentraient que le soir. Jason était un garçon charmant et bien éduqué. Il avait un fameux appétit. Son plat préféré ? Les pains perdus et les crêpes. Chez nous, il n’y avait pas de choco alors il mangeait ses crêpes avec du sucre candi.  »

Pour maman Bongonda, il est faux de prétendre que Denayer ne craignait rien ni personne.  » Un jour, on m’a donné un grillon et je le lui ai montré. Il a hurlé, il n’avait jamais vu cela.  » A se demander s’il ne préfère pas affronter Gareth Bale. ?

PAR GEERT FOUTRÉ ET ALAIN ELIASY – PHOTOS : BELGAIMAGE

Lorsque le responsable du scouting de Manchester City lui a demandé ce qu’il voulait gagner, il a répondu : Tout.

 » On pouvait crier, le casser… Cela ne lui faisait rien.  » Faysel Kasmi

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